Page images
PDF
EPUB

rêteroit-il la tendance naturelle du corps gislatif à la suprématie, sans irriter ce sentiment populaire d'indépendance, qu'il est impossible de détruire, et qu'on n'émeut jamais en vain? S'il osoit l'entreprendre, ne succomberoit-il pas infailliblement dans un combat si inégal? S'il ne l'osoit pas, que deviendroit la constitution?

«Que votre majesté en juge par sa propre expérience. Les travaux constitutionnels s'avancent ; quelle précaution a-t-on prise pour assurer l'exercice de l'autorité qu'on lui laisse ? loin de-là, ne dépouille-t-on pas pièce à pièce, la monarchie de ses attributs essentiels, et n'est-il pas évident qu'on travaille moins à organiser le pouvoir royal qu'à le rendre nul? Ne va-t-on pas jusqu'à mettre la réalité du pouvoir exécutif entre les mains de la législature, en rendant le corps législatif juge suprême des contestations survenues entre le monarque et ses subordonnés ? Enfin le spectacle que présento dans tout l'empire la foiblesse du gouverne→ ment n'est-il pas un triste présage de ce. qu'on doit attendre pour l'avenir? »

Dans une telle extrémité, Mirabeau ne
Tome VI.

G

trouvoit point d'autre moyen que de faire sortir le roi, de Paris, et de le placer dans un lieu du royaume d'où il pût en sûreté présenter les modifications qui seroient jugées indispensables, et forcer ainsi à soumettre à un examen réfléchi, l'ensemble de la constitution, dont les diverses parties n'avoient pas de rapports assez directs avec le tour ni avec le bien général du royaume.

[ocr errors]

Le roi ne se détermina qu'avec peine à adopter ce projet. On fit quelques essais pour en préparer l'exécution; mais bientôt après Mirabeau mourut. Des hommes qui jouissoient de la plus grande popularité 'furent appelés par le monarque pour le remplacer dans sa confiance, et ils adoptèrent ses projets en succédant à sa faveur.

Un certain nombre de membres de l'Assemblée, revenus de la première chaleur des factions et de cette terreur qu'inspira longtems le fantôme de la monarchie, commençoient à concevoir des armes sur la durée d'un gouvernement dont les principaux ressorts se heurtant sans cesse avec la même violence, mais avec une puissance inégale devoient nécessairement se briser à la pre

mière secousse imprévue, et penchoient alors ·vers l'établissement d'une seconde chambre. Ils la regardoient comme nécessaire pour tempérer la fougue inséparable d'une assemblée législative unique, assurer la constitution contre les atteintes qu'elle devoit recevoir de deux pouvoirs essentiellement rivaux, fortifier le gouvernement lui-même, en transférant à cette seconde chambre ce veto si-né

cessaire et cependant si effrayant pour la fiberté, et populariser ainsi le roi, en qui l'on ne redouteroit plus un despote lorsqu'il seroit réduit aux fonctions d'exécuteur passif des volontés nationales.

Mais ces idées si simples, et en ellesmêmes si populaires, avoient été présentées au peuple comme un piège qui lui étoit tendu par l'aristocratie, et il étoit d'autant plus difficile de changer sur ce point l'opinión pu blique, que la multitude ne raisonne pas que dans une révolution tout est signal de parti, et qu'une expression seule, consacrée ou réprouvée par une faction, a plus d'influence sur ses sentimens. s que tous les argu mens de la raison.

. Qn résolut cependant de faire une tenta

[ocr errors]

tive sur l'esprit du peuple, et ce fut l'abbé Syéyes qui osa l'entreprendre. Il composa une déclaration qu'il proposa à signer aux citoyens, pour s'assurer, disoit-on, dans un préambule très-flatteur, des sentimens des véritables patriotes. Elle contenoit trois articles. On déclaroit dans le premier qu'on vouloit être libre, tous, et non pas seul; le second rouloit tout entier sur l'acceptation de deux chambres dans la législature ; enfin les signataires, au nombre desquels on comptoit quelques patriotes des plus ardens, tels qu'Achille Duchâtelet et plusieurs autres, déclaroient qu'ils vouloient être soumis aux loix. C'est ainsi qu'on cherchoit à préparer les esprits au grand événement qui alloit décider du sort de la France.

La fuite prochaine du roi ne fut bientôt plus un mystère que pour la multitude, qui dans le présent et le passé, sait rarement apercevoir l'avenir. Les aristocrates et les républicains résolurent également d'en profiter, les premiers pour l'entraîner au de-là de ses mesures, les seconds pour chasser la dynastie régnante, et si la fortune secondoit leurs efforts, abolir entièrement la royauté.

Les journées du 28 Février et du 18 Avril furent concertées par la faction aristocratique, qui vouloit enlever le roi sans sa participation. Mais tous les partis, et le roi luimême, trouvèrent dans Lafayette un obstacle insurmontable. U y a lieu de croire qu'il fut instruit d'avance des projets des héros du 28 Février pour la journée du 18 Avril, il avoit eu à tems des renseignemens si précis, qu'il avoit envoyé des hommes affidés sur la route par où devoient passer les ravisseurs, et qu'il avoit pris les mesures nécessaires pour leur enlever leur proie. Le chagrin de perdre une si belle occasion d'assurer sa popularité par un service éclatant, ne fut pas une des moindres causes de celui qu'il fit éclater à l'occasion de l'insurrection du peuple et de l'insubordination de la garde nationale. Il vouloit alors la république, et ses dissentions avec les Lameth ne lui permettoient pas de se rallier avec eux sous les mêmes enseignes. Louis, qui n'avoit jamais eu confiance en lui, résolut de poursuivre, contre son gré, une entreprise dans laquelle il lui étoit impossible de compter sur ses seccurs, mais qu'il regardoit comme

[ocr errors]

1

« PreviousContinue »