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dissoudre faisant appréhender que la fête ne perdit beaucoup de son éclat, avoit déterminé à la différer. Mais plusieurs maires et beaucoup de gardes nationales des lieux voisins, qui s'étoient rendus à la solemnité, ayant observé que dans ce moment de crise ils ne pouvoient être retenus long-tems loin de leur poste, le département jugea qu'il falloit espérer que la pluie cesseroit, et malgré les murmures du préjugé, les frémissemens de l'hypocrisie, malgré un ciel très-orageux, on se mit en marche vers deux heures et demie dans l'ordre suivant :

Un détachement de cavalerie, les sapeurs, tambours, canoniers et les jeunes élèves de la garde nationale avec diverses devises parmi lesquelles on remarqua celle-ci? Qui meurt pour sa patrie, meurt toujours content; les sociétés patriotiques avec des bannières sur l'une desquelles on lisoit ces deux vers, qui donnent toute la théorie de la révolution françoise:

Les mortels sont égaux; ce n'est pas la naissance, C'est la seule vertu qui fait leur différence. Députation nombreuse de la garde nationale, groupe armé des forts de la Halle qui

n'avoient rien ajouté à leur costume ordinaire, que des sabres énormes qui surmontoient leurs immenses chapeaux blancs; les portraits en relief de Voltaire, Rousseau Franklin, Mirabeau et Desilles environnant le buste de Mirabeau; ces bustes entourés des camarades de d'Assas et des citoyens de Varennes et de Nancy; les ouvriers employés à la démolition de la Bastille, portant des chaînes, des boulets et des cuirasses trouvés dans les flancs de cette forteresse; les citoyens du fauxbourg S. Antoine por. tant le drapeau de la Bastille, avec un plan de cette forteresse représentée en relief, et ayant à leur tête une citoyenne en hàbit d'amazone qui avoit assisté au siège et concouru à la prise du fort; un groupe de citoyens armés de piques dont une surmontée du bonnet de la liberté

avec cette devise: de ce fer naquit la li berté; un modèle de la Bastille porté par les anciens gardes-françoises, vêtus de l'uni- › forme de ce régiment; la société des Jacobins (a); les électeurs de 1789 et 1790;

(a) On parut étonné de ne point voir cette soelété réunie avec les autres,

les çent-suisses et les gardes-suisses; députation des théâtres précédant Voltaire, tel qu'il sembloit respirer encore sous le ciseau de Houdon dans cette statue de grandeur naturelle assise sur le fauteuil à bras où médita souvent son génie ; cette statue couronnée de lauriers et portée par des hommes habillés à l'antique, environnée de pyramides chargées de médaillons couverts des titres de ses principaux ouvrages ; les académies, les gens de lettres regnicoles et étrangers, suivoient sans distinction leur patriarche commun; quelques-uns tenoient en main la lyre et la trompette de l'Apollon françois. Au milieu d'eux s'élevoit dans un coffre d'or la collection magnifique des cu vres de Voltaire, qui n'étoit pas la partie la moins brillante du spectacle.

Mais tout sembloit disparoître, tout étoit effacé devant le tableau majestueux qui frappoit ensuite les regards; c'étoit en quelque sorte l'immortalité arrivant sur son char. Un corps de musique vocale et instrumentale ayant des instrumens d'une nouvelle forme et chantant des hymnes nouveaux, transportoit l'imagination dans une sphère

poétique,

poétique, et répandoit l'illusion théâtrale autour du char qu'il précédoit. Ce char portoit le sarcophage de Voltaire sur le sommet très-élevé, ainsi que sur un lit de mort, ou plutôt sur un trône de gloire, étoit étendu le simulacre très-ressemblant du grand homme à qui la renommée, comme suspendue dans les airs, posoit une couronne sur la tête. On lisoit autour : il vengea Calas, Sirven et Montbailly; poëte, philosophe, historien, il a fait prendre un grand essor à l'esprit humain, et nous a préparés à devenir libres.

Ce qui étoit plus remarquable encore que toutes les inscriptions, ce qui approchoit le plus de toutes les idées d'apothéose, ce qui ressembloit davantage à la divinité, ou à la féerie, c'étoit l'attelage du char, composé de douze superbes coursiers blancs, rangés sur quatre de front et conduits à la main par des guides vêtus dans le costume romain. On croyoit voir passer les siècles et les dieux de l'antiquité; on étoit saisi d'un saint respect à la vue de ce monument dont la marche lente ébranloit au loin les rues avec un bruit semblable à

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celui de quelques phénomènes de la nature. Derrière ce pompeux sarcophage qui dominoit sur la capitale et s'avançoit avec tant de majesté au milieu des acclamations du peuple, venoient les députés de l'assemblée nationale, le département, la municipalité, les districts, les tribunaux, les juges de paix, et enfin les braves vétérans dignes de clone, et faits pour orner cette marche triomphale qui s'étendoit sur un espace de plus d'une lieue et demie.

Elle fut suspendue par plusieurs stations ; la première, devant l'Opéra où la statue fut couronnée; la seconde, devant la Comédie italienne où l'attendoient aussi des hymnes et des couronnes; la troisième, devant la maison de M. de Villette. Cette maison étoit décorée à l'extérieur d'une manière élégante et noble et portoit cette inscription: son esprit est par-tout et son cœur est ici. Devant la façade étoit un dôme de verdure au-dessous duquel étoit suspendue une guirlande. Près de-là s'élevoit un amphithéâtre dont tous les gradins étoient couverts de citoyennes et de jeunes personnes vêrues de blanc, un diadême de roses sur

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