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La rivalité de l'école de Lille et de l'école de Tournai paraît avoir été assez vive; les élèves se sentaient attirés de part et d'autre par le talent des professeurs. On en peut juger par une anecdote souvent racontée (1), mais qui peint trop bien l'esprit du temps pour être omise ici. Un chanoine de Tournai, du nom de Gualbert, qui fut plus tard religieux du couvent de St.-Martin, puis abbé dans le diocèse de Châlons, fatigué d'entendre tour à tour exalter l'un et l'autre de ces deux maîtres, alla trouver un devin (2), sourd et muet, mais fort estimé en ce pays. Celui-ci, lorsque l'objet de la consultation lui eut été exposé par signes, montra d'abord l'école réaliste d'Odon et fit avec la main le simulacre d'une charrue qui fend la terre, sans doute pour désigner la fécondité de cette doctrine; puis, se tournant du côté de l'école de Lille, il se contenta de souffler sur son doigt, pour en exprimer la vanité.

Le chroniqueur qui nous renseigne ainsi est naturellement de l'avis du devin et exalte Odon, mais il ne nous cache pas quel tort lui causait le voisinage de Rainbert. D'ailleurs, il ne faut ajouter qu'une demi-confiance à ces moines parlant de l'honneur de leur couvent. Ne voyons-nous pas, à la même époque à peu près, et dans un pays tout voisin, un religieux d'Anchin nous raconter les triomphes que rem porta un de ses abbés, aujourd'hui presqu'oublié, saint Gossuin, sur l'immortel Abeilard. Il est vrai qu'ayant sous sa discipline, au monastère de St.-Médard de Corbie, le grand philosophe, qui venait d'être condamné au concile de Soissons, Gossuin employa comme dernier moyen de persuasion la menace du fouet (3). Il ne faisait on cela qu'appliquer la doctrine d'un autre saint, plus célèbre,

(1) Chronique d'Herimann. Buzelin, qui ne l'a pas fidèlement reproduite. Derode et les autres historiens lillois.

(2) Pythonicum. Chronique d'Herimann.

(3) Vita sancti Gossuini, écrite par un contemporain, et publiée dans plusieurs recueils.

Bernard, qui ne trouvait pas injuste ce mode de réfutation (1) à l'égard de ce même Abeilard.

Au dernier siècle on s'est beaucoup raillé, même à Lille, de la scholastique et de ses discussions. Le chanoine Montlinot (2) s'est fait l'écho de ces reproches.

Un autre religieux, Wartel (3), de l'abbaye de Cvsoing, a répondu à Montlinot que les efforts des philosophes les plus estimés parmi les modernes, n'ont pas été employés à autre chose qu'à chercher la solution de ces mêmes questions qu'agitait Rainbert; les uns comme les autres se sont préoccupés de l'origine des idées et les travaux de nos contemporains n'ont pas plus mis fin aux discussions que ceux du premier professeur de St.-Pierre.

Wartel citait, à l'appui de ces observations, l'autorité de Condillac (Essai sur l'origine des connaissances humaines), qui trouve la thèse des nominalistes très-bonne. Il est certainement fort curieux de voir alléguer une pareille autorité pour la défense du moyen-âge.

Du reste, pour réfuter ce que l'on a dit de l'enseignement de cette époque, il suffit d'en constater les résultats. Des deux écoles rivales que nous venons d'étudier, sortirent de grands philosophes (4), des

(1) An non justius os loquens talia fustibus tunderetur, quam rationibus refelleretur. Sancti Bernardi Epistola CXC ad Innocent. Pap. dicta tractatus de erroribus Abelardi. Tome 2, p. 1454 de l'édition de Mabillon.

(2) Histoire de Lille, depuis sa fondation jusqu'en 1434, par M. C. D. G. P., etc. (Montlinot, chanoine de St.-Pierre). Paris. Panckoucke, 1764, in-12, chap. de Rainbert et de l'école de Lille, p. 77. On peut consulter sur la vie agitée de Montlinot, une notice de M. Silvy, mentionnée dans le second cahier des séances publiques (1807), de la Société d'amateurs des sciences et des arts de Lille, p. 43, au tome I des présents mémoires. Et dans les Archives historiques et littéraires du nord de la France, première série, tome II, p. 133. nouvelle série, tome II, P. 394.

(3) Etienne Wartel, Observations sur l'histoire de Lille, par M. W.

(4) Ce sont évidemment les collégiales de nos deux villes qui ont formé Simon de Tournai, Alain de Lille, et Gauthier de Châtillon. Pour Alain de Lille, voy. Mém. de la Société des sciences, tome I, cahiers des séances publiques, cah. 1, p. 54, cah. 2, p. 52, cah, 4, p. 89, et notre notice, vol. 29 (1849) p. 709, à laquelle

hommes éminents, et on peut attribuer sans hésiter la quantité considérable de prélats (1), de savants, de poètes et d'artistes distingués que Lille et Tournai produisirent au XII. et au XIII. siècles à l'élévation de l'enseignement dirigé par les maîtres dont nous venons de parler. Nous avons dit ailleurs quelle grandeur respiraient les caractères de ce temps.

nous nous proposons de faire de considérables additions. Pour Gauthier de Châtillon, voyez l'Histoire littéraire de France, vol. XV, p. 100, et les Archives du nord de la France, série II, vol. II, un Mémoire de M. Darimon. Du reste, dans l'une et dans l'autre, sérieusement étudié comme poète, il n'est guère apprécié comme philosophe.

(1) Voyez dans les ouvrages historiques qui concernent la collégiale : la vie de Lambert de Guines, évêque d'Arras; Jean de Warnêton, évêque de Thérouanne ; Foulques Van Hutten-Lhove, qui refusa de prècher la croisade contre les Albigeois; Jean, fils de Guy, comte de Flandre, évêque de Metz, puis de Liége, où il lutta avec le peuple contre la noblesse, etc., etc.

DE L'AGRICULTURE ET DES ARTS DE LILLE.

ESSAI

DES ACIDES DU COMMERCE,

Par M. H. VIOLETTE, Membre résidant.

Séance du 21 novembre 1856.

§1. Gay-Lussac a donné l'Essai des potasses du commerce ; son alcalimètre est entre les mains de tous les fabricants. Je propose d'employer le même instrument à l'essai des acides du commerce; il suffit d'ajouter aux réactifs de l'alcalimètre une dissolution de chaux dans l'eau sucrée, autrement dit de saccharate de chaux, et d'opérer avec les mêmes ustensiles et de la même manière que pour les essais de potasse. Ce Mémoire est rédigé sous forme d'instruction.

S2. Le principe du procédé est le suivant: si l'on sature par les quantités b et b' d'une même base les quantités a et a' de deux acides différents et purs, dont les équivalents chimiques sont e et e', on aura le rapport suivant :

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$3. Prenons pour la valeur de a un gramme de l'acide à essayer " et dont l'équivalent est e; prenons pour la valeur de a un gramme d'acide sulfurique monohydraté, dont l'équivalent e' = 612,50; soit

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