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Les abus contre lesquels on réclamait en France, avant la révolution, paraissaient de plus en plus intolérables, à mesure que les idées de liberté se répandaient.

Le désordre des finances mettait le gouvernement dans l'obligation d'user de moyens extraordinaires : il fallait qu'il employât la violence, ou qu'il appelât la Nation à son secours. Ce dernier parti ne fut adopté qu'après avoir vainement essayé du premier : l'exil des parlemens, et le lit de justice du 6 août 1787, démontrèrent que de semblables mesures ne pouvaient remédier au mal. On revint donc à des idées plus raisonnables; mais les différentes assemblées que le gouvernement convoqua, et qui, dans sa pensée, devaient s'occuper exclusivement des finances, portèrent leurs vues sur les autres parties de l'administration; le déficit les occupa beaucoup moins réellement que les abus dont on n'avait point voulu leur confier le redressement.

Cette disposition existait dans les deux assemblées des notables, convoquées successivement en 1787 et 1788; elle parut manifestement dans l'assemblée des Etats-Généraux.

-Les ministères de Calonne et de Necker n'avaient rien produit d'heureux; les discussions sur le mode d'élection des députés aux Etats-Généraux, avaient encore irrité les esprits. Le conseil du roi décida que les députés aux Etats-Généraux seraient au moins au nombre de mille; que le nombre de députés pour chaque baillage serait en raison, composé de la population et des contributions; enfin, et c'était le plus important, que les députés du tiers-état seraient égaux en nombre aux députés des deux autres ordres réunis.

Les cahiers du tiers-état furent rédigés à la hâte : ils demandaient une constitution libre; ils réclamaient surtout que l'ordre fût rétabli dans les finances, et que les dépenses et les recettes fussent régularisées par la loi : en un mot, leurs prétentions se bornaient, à-peu-près, à ce qui forme aujourd'hui la base de notre gouvernement. On ne saurait donc dire qu'elles fussent exagérées en ellesmêmes; mais peut-être les circonstances exigeaient quelques modifications d'ailleurs, la noblesse et le clergé renonçaient à leurs priviléges pécuniaires.

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Le 5 mai 1788, eut lieu l'ouverture de l'assemblée des EtatsGénéraux ; les discours du roi, du garde des sceaux et de Necker parurent dictés par de bonnes intentions; mais ils ne satisfirent pas les députés du tiers-état.

Aussitôt après cette séance, la question de savoir si les Etats voteraient par téte ou par ordre, mit la division dans l'assemblée; la noblesse et le clergé tenaient au mode qui leur assurait le pouvoir; le tiers-état résistait; et après avoir inutilement invité les deux autres ordres à se réunir à lui, il se constitua seul en assemblée nationale; un grand nombre des membres du clergé vint se réunir au tiers-état.

Ce fut le 17 juin qu'eut lieu cette séance mémorable; le 23, le roi se rendit à l'assemblée; il déclara nuls les actes faits. par elle; ordonna que la distinction des trois ordres subsisterait, et fit quelques concessions; mais sans promettre de constitution; au surplus, il ne fut question ni de la participation des Etats-Généraux à la législation, ni de la responsabilité des ministres, ni de la liberté de la presse; enfin l'ordre formel de se séparer fat intimé. Les députés du tiers-état refusèrent d'obéir, et persistèrent dans leurs précédentes délibérations la majorité de l'assemblée du clergé, quelques membres de l'assemblée de la noblesse adoptèrent la même opinion. Il fallut céder : le roi consentit à la réunion des trois ordres en une seule et même assemblée.

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L'assemblée constituante fut donc reconnue; ses premiers décrets abolirent les dimes, et le régime féodal, les annates, les dispenses et les provisions de la cour de Rome : on vit disparaître tour-àtour les priviléges d'ordre de province, de ville, de communauté et d'individus. Une nouvelle division du territoire fut établie. Enfin, la fameuse déclaration des droits de l'homme fut décrétée, pour servir de préambule à la constitution.

PÉCRÉTÉE PAR L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

3 septembre 1791.

Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen.

Les représentans du peuple français constitués en assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernemens, ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre-Suprême, les droits suivans de l'homme et du citoyen.

ART. Ir. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

2 Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi, l'exercice des droits neturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

TOME I.

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5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché; et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

6. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou ́par leurs représentans, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens.

7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l'instant il se rend coupable par la résistance.

8. La loi ne doit établir que des peines strictement et évi demment nécessaires; et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

9. Tout homme, étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable; s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi.

10 Nul ne doit être inquieté pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

12. La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

14. Tous les citoyens ont le droit de constater par eux

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mêmes, ou ou par leurs représentans, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

15. La société a le droit de demander compte à tout agent public, de son administration.

16. Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution.

17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité (1).

CONSTITUTION.

L'assemblée nationale, voulant établir la constitution française sur les principes qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits.

Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinction d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonc

tions.

au

Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun office public. Il n'y a plus, pour aucune partie de la nation, ni pour cun individu, aucun privilége ni exception au droit commun de tous les Français.

Il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions arts et métiers.

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La loi ne reconnaît plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturel, ou à la constitution.

(1) Cette déclaration avait été décrétée en août 1789.

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