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S XXXI.

De la Régence.

Charles V, sur le trône, n'assembla plus ces états qu'il avait eu tant de peine à contenir pendant sa régence. Il les remplaça, comme nous l'avons déjà dit, par des séances parlementaires qui n'en offraient qu'une image imparfaite. Le peuple jouit du repos sous son administration modérée, et il oublia qu'il avait été sur le point d'acquérir une existence politique.

Il était temps de fixer un point, l'un des plus importans sans doute d'une constitution, et presque toujours le plus négligé, parce qu'il est de la nature de la puissance souveraine de s'occuper fort peu du temps où elle doit cesser d'être : je veux parler de la régence.

Sous la seconde race, et au commencement de la troisième, les rois n'étaient majeurs qu'à 22 ans, ou plutôt, comme ils n'étaient tenus pour rois que lorsqu'ils étaient sacrés, il arrivait que les régens retardaient le plus possible la cérémonie du sacre, afin de garder plus long-temps l'autorité. C'était, en général, un principe de ne pas confondre la tutelle et la régence; et l'usage voulait que la première fût conférée à la mère du roi, et la seconde, à l'un des princes de son sang. On vit quelquefois, néanmoins, ces deux qualités conférées, à la même personne; la célèbre mère de Saint-Louis en offre un exemple. Il fut toujours imité depuis Charles V.

Philippe-le-Hardi est le premier de nos rois, qui ait réglé, par une ordonnance, la majorité et la régence; mais ses ordonnances ne reçurent point exécution après lui.

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« La régence a été établie, dit Mézerai (1), de trois façons : 1o quand les rois, sans être pressés de maladies, mais par prévoyance, ou parce qu'ils sortaient du royaume, établis >> saient le gouvernement, qu'ils voulaient que l'Etat eût en leur absence ou après leur mort; 2° celle qu'ils ordon

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(1) Mémoires historiques et critiques, tom. 11.

TOME I.

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naient, près de leur mort, à la hâte, avec l'incommodité qui se trouve toujours aux choses pressées; 3° celle qui est ordonnée par les Etats, au défaut des ordonnances des rois; » celle la est la bonne et légitime.

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Charles V publia, en 1374, deux ordonnances; l'une fixa la majorité à quatorze ans, et l'autre disposa de la régence, en cas de mort du monarque. Il était dit dans la première : Donec decimum quartum ætatis annum attingerint; ce qu'on interprèta, dans la suite, en prononçant : Que l'esprit de la loi était que la quatorzième année fût commencée, mais non accomplie. Au reste, les ordonnances de Charles-le-Sage furent méprisées à sa mort; mais les déclarations conformes que rendit Charles VI, en ont perpétué les principes; et elles sont enfin » devenues, dit le président Hénault, la jurisprudence cons> tante de notre Droit public, en cette matière.

S XXXII.

Louis XI.

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Rien de plus affreux que la situation de la France depuis l'instant où la folie eut fait perdre la couronne à Charles VI, jusqu'à celui où Charles VII l'eut reconquise. Les villes tourà-tour ravagées par tous les partis; les campagnes dévastées par les gens de guerre, ou par les agens du fisc; deux grandes factions, les Bourguignons et les Armagnacs, se disputant de meurtres et de brigandages; toutes les lois foulées aux pieds; une princesse coupable comme femme et reine, comme épouse et mère; un monarque dans l'imbécillité; un dauphin fugitif et proscrit; des grands avilis; des magistrats sans force; un peuple furieux; l'étranger, enfin, admis dans nos murs, et porté sur le trône. Telle fut la France à cette époque; il fallut des miracles pour la sauver; il fallut Jeanned'Arc!

Quand Charles VII fut redevenu maître paisible de son royaume, on put reconnaître qu'il était survenu, dans l'existence de chacun des trois ordres de l'Etat, tels changemens

qui devaient rendre plus faciles les progrès de la couronne
vers le pouvoir absolu. Le peuple se souvenait à peine des
droits qu'il avait exercés, sous le roi Jean, et ne paraissait, par
conséquent, nullement disposé à les revendiquer. Le clergé
avait séparé sa cause de celle des deux ordres, en traitant
avec la couronne, en établissant, relativement à l'impôt, les
dons gratuits; la noblesse, enfin, perdant l'espoir de rétablir
le gouvernement féodal, s'était rapprochée du trône qu'elle
avait long-temps ébranlé; elle demandait une part au gou-
vernement royal, puisque tout le reste avait été emporté par
le temps;
elle attendait en retour de son dévouement pour
cause du monarque, un dédommagement de ce qu'elle avait
perdu en richesses et en honneurs.

la

Les grands acquirent alors une autorité considérable, comme premiers conseillers, ou premiers agens du monarque; ils l'aidèrent à établir une milice permanente, et un impôt perpétuel pour l'entretenir. Ce furent la gendarmerie et la taille.

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que

Le joug de fer de Louis XI pesa presque également sur toutes les classes de Français. Il enleva d'abord aux seigneurs, par ses soldats, ou par ses bourreaux, l'influence que son père leur avait laissé prendré; mais il leur donna une existence politique, sur la fin de son règne, en déclarant son fils, Charles; ne pourrait rien faire d'important, sans le conseil des princes de son sang et des grands officiers de la couronne. Le peuple seul resta donc dans l'état où les règnes précédens et le sceptre tyrannique de Louis l'avaient placé. Il ne vint plus aux Etats, convoqués par son successeur, que pour lui bailler de l'argent à son plaisir, comme disent les auteurs du temps.

S XXXIII.

De l'Enregistrement.

On a vu naître le parlement du sein de la cour du roi. C'était un simple tribunál qui semblait, en quelque sorte,

t

devenir un corps politique, quand le roi venait y siéger avec ses ministres, ses grands officiers, et sa noblesse, mais seulement alors. Voilà ce qu'il était dans l'origine.

Avant Charles VI, le parlement tenait deux sessions dans l'année, et ses membres étaient annuels. Il devint permanent, sous ce prince. L'usage s'établit aussi, à cette époque, de perpétuer les juges dans leur office, pendant toute la vie du roi qui les en avait pourvus; mais ils durent être confirmés par

ses successeurs.

Des vertus et des lumières avaient assuré à ces magistrats une considération qui ne fit que s'accroître pendant les troubles signalés par tant, de crimes. Les rois appelaient quelquefois, plusieurs d'entre eux à leur conseil.

Quand il n'y eut plus d'assemblée nationale pour porter les vœux publics au pied du trône, il est naturel de penser que tous les hommes qu'importunait l'idée du pouvoir absolu, durent tourner leurs regards vers le corps dont la contenance imposante semblait seule susceptible de pouvoir opposer une digue à l'autorité royale. L'opinion augmenta donc encore l'influence dont il jouissait déjà; elle le suscita à se porter pour protecteur naturel du peuple; elle l'investit, en quelque sorte, du droit de remontrances.

Ce droit de remontrances fit que les monarques, et leurs ministres surtout, cherchèrent, avec plus de soin encore à obtenir l'assentiment de la compagnie. Ils la consultèrent sur leurs mesures et leurs arrêts; et, pour constater son approbation, ils introduisirent la coutume de publier les ordonnances dans l'assemblée, et de les faire transcrire sur ses registres. Le parlement fit de cette vaine cérémonie le droit précieux de l'enregistrement.

Ce droit changea totalement la situation politique du parlement; il prétendit successivement que, s'il devait enregistrer la loi, il pouvait l'examiner; que cet examen entraînait la faculté de modifier; que cette faculté forçait, à son tour, le droit de refus; qu'enfin, si l'enregistrement était une qualité

essentielle à la loi, elle n'était loi que quand elle avait subi cette formalité, et qu'elle était jusque-là sans force et sans effet. La compagnie se trouvait ainsi associée à la puissance législative. Malheureusement, la couronne pouvait contester, et contesta toujours aux parlemens cette haute prérogative. Elle pouvait toujours, au moins spécieusement, rappeler à ce corps qu'il n'avait été, dans l'origine, qu'une cour de justice. De-là naquit une lutte, presque perpétuelle, entré l'autorité royale et l'influence parlementaire, où la seconde rivalisa quelquefois avec succès, parce qu'elle était appuyée de toutes les forces de l'opinion.

On a écrit nombre de volumes pour et contre les droits du parlement; mais il semble qu'une réflexion générale qu'on n'a pas faite, décide la question. Un droit politique, en effet, est un principe d'ordre ; on peut dire qu'il est, parce qu'il est : c'est le temps qui le consacre; et chaque jour de durée ajoute à sa valeur première; il devient une légitimité nationale, et' il en est alors comme de la légitimité royale; le titre ne signifie plus rien, c'est le fait seul de la possession qu'il faut considérer.

On voit, en appliquant ces principes aux parlemens, que ses droits étaient respectables et sacrés comme ceux de la dynastie; qu'on ne devait pas plus, en traitant des uns et des autres, remonter aux établissemens de Philippe-le-Bel, qu'à l'avénement de Hugues-Capet, et que les parlementaires, quelle que fût leur origine, étaient devenus les dépositaires et les protecteurs légitimes des débris de nos antiques libertés, par cela seul qu'il n'y avait point de corps qui pût remplir ce rôle. Mais, dira-t-on, le gouvernement put toujours revenir aux anciens principes constitutifs de la monarchie, et opposer les états-généraux aux parlemens? Il le put sans doute, et il le fit, mais trop tard. Il ouvrit l'abîme, et il y fut englouti le premier.

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