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tiques, et jeûner; presque tout ce qui n'est pas noble est serf; tout ce qui est serf courbe le front sous le joug le plus dur et le plus ignominieux; lois, administration, police, tout est dans les caprices du maître. C'est le glaive qui règne!

Tels sont les siècles de la féodalité. Ceux qui n'y voient que la chevalerie, en considèrent le côté poétique, et ne sont pas frappés de l'idée qu'il s'agit du temps où la plus grande partie de la population fut le plus malheureuse. Soyons justes! toutefois cette institution de la chevalerie fut utile à l'humanité: elle affaiblit le brigandage, et y mêla quelques idées d'honneur qui devaient en amener la fin.

Le mal est arrivé à son dernier période. Il faut qu'il dé

croisse.

Comme il n'y avait aucune idée d'ordre et de gouvernement, le pillage seul pouvait fournir aux entreprises, ou simplement à l'existence des seigneurs. Les droits légaux ne furent donc bientôt plus suffisans; ils organisèrent encore, à la tête de leurs hommes d'armes, un système de contributions arbitraires qui mit le comble à la détresse des campagnes, mais d'où l'on vit bientôt après naître leur délivrance.

Le domaine des rois était en proie au même abus de la force. Ne se voyant pas assez forts pour l'extirper par eux-mêmes, ils eurent l'idée d'appeler le peuple à sa propre défense; ils le firent donc aussi contribuer; mais ici ce fut définitivement et pour terminer ses malheurs; ils lui vendirent le droit que la nature et la société lui donnaient, celui de se réunir pour re-. pousser d'injustes aggressions et pour établir quelques règles de police. C'est ce qu'on appelle le droit de commune ou de communauté.

Le nom de Louis le Gros est à jamais fameux dans nos annales, parce que c'est au règne de ce roi que se rapportent les premières chartes d'affranchissement et de création des communes. Ce prince voulut-il faire le bien ou seulement retirer de l'or de ses sujets, c'est ce qu'il est difficile de savoir; mais, dans le dernier casmême, « il faudrait encor le louer,

» dit l'abbé Mably, de ne l'avoir pas pris sans rien accor» der (1) ›

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Ces chartes sont les monumens les plus intéressans de notre histoire. Elles sont les premières conquêtes de l'esprit de la civilisation sur la barbarie. Elles font connaître les âges désastreux où elles naquirent; là est le berceau de notre industrie, de nos arts et de nos libertés.

*

Les communes se multiplièrent rapidement, parce que les seigneurs, n'y voyant qu'un autre moyen d'obtenir de l'argent, vendirent aussi des chartes.

Les communes formèrent les villes.

Les communes purent se choisir des magistrats, créer des compagnies de milice, garder leurs fortifications, et repousser la force par la force. Les rois furent quelquefois, d'abord garans des conventions entre le seigneur et les affranchis, puis médiateurs dans leurs différens, puis enfin souverains uniques des uns et des autres.

Ainsi fut puissamment neutralisée l'action du gouvernement féodal.

S XXII.

Philippe-Auguste. (13° siècle.)

Le pélerin qui entraînait tout l'Occident vers le tombeau. de Jésus-Christ, changeait la face de l'Europe, et portait aux institutions féodales un nouveau coup.

Les croisades ruinèrent plusieurs grands vassaux, et relevèrent les rois, chefs naturels de ces entreprises. Elles opérèrent une espèce de renouvellement parmi les barons de la chrétienneté. On n'a pas remarqué en outre quelle influence dut avoir sur les mœurs et les idées le séjour de l'Orient, et combien le spectacle du despotisme des califes et de la soumission aveugle de leurs sujets, put contribuer à fonder l'autorité royale des princes chrétiens.

(1) Observations sur l'Histoire de France, tom. 11.

Philippe-Auguste est en quelque sorte le premier roi de France de la troisième race.

Voici l'événement qui établit sa puissance. Le roi d'Angleterre était alors vassal du monarque français, parce qu'il possédait plusieurs fiefs dans le royaume. C'était ce Jean-SansTerre, dont la grande charte et les crimes ont éternisé le nom, qui régnait alors dans l'île Britannique. Meurtrier de son neveu Arthur, duc de Bretagne, il fut cité devant le tribunal des grands vassaux de la couronne de France; il refusa de comparaître; le tribunal porta un arrêt de confiscation de tous ses domaines; les grands vassaux aidèrent eux-mêmes Philippe à exécuter cet arrêt fameux; et Philippe, en acquérant la Normandie, l'Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou, le Vermandois, l'Auvergne et l'Artois, cessa d'être l'égal des possesseurs de grands fiefs, put solder une armée, et humilier leur orgueil au moyen de cette grande innovation.

Ici, nous devons nous occuper de l'un des points les plus intéressans de notre ancien Droit public.

S XXIII.

Des Pairs.

C'était une maxime ancienne, comme la monarchie, que chacun devait être jugé par ses pairs. On en trouve la source dans cette autre maxime des peuples germaniques, que chacun devait être jugé d'après sa loi. La première paraît une conséquence naturelle de la seconde.

Quelques traces de ce principe se conservèrent même dans ces temps où il n'y avait guères d'autres règles de justice que les volontés, et cela fut nécessité par l'état des choses même. En effet, le seigneur qui se trouvait juge, parce qu'il possédait quelques tours enceintes d'un fossé, dut être obligé d'appeler au secours de son ignorance ceux qui pouvaient connaître des cas divers sur lesquels il avait à prononcer. Ainsi, dans ses plaids, durent siéger ses vassaux nobles, quand il fut question de matières féodales, des évêques ou des abbés quand il s'agit

d'affaires ecclésiastiques, et plus tard enfin, des membres des communes pour décider sur des points civils. De là, naquirent le jury en Angleterre, et le parlement en France.

Ce fut donc un principe, souvent violé à la vérité, mais fondamental néanmoins, que tout homme avait droit à avoirun tribunal composé de ses pairs, ou du moins suffisamment garni de ses pairs: ce sont les expressions des anciens traités.

Ce mot de pairs doit être également considéré sous un autre rapport.

Il paraît qu'on appelait fort anciennement pairs d'une seigneurie, les vassaux qui en relevaient nuement et immédiatement, qui avaient le même rang, et étaient astreints aux mêmes devoirs. Ils étaient pairs ou égaux, non pas de leur seigneur, mais entre eux.

Les grands vassaux, sous les premiers descendans de HuguesCapet, furent les pairs de la première de toutes les seigneuries: la couronne. C'était le titre qu'ils devaient également porter, puisqu'ils avaient également prêté foi et hommage au monarque.

Mais ce monarque possédait aussi un fief: la force des choses ou la politique des rois, amena un changement d'une haute importance; il arriva que les vassaux immédiats du fief royal, se trouvèrent placés au rang des vassaux immédiats de la couronne, parce qu'il n'y avait non plus aucun intermédiaire entre eux et le roi. Ainsi, ils firent également partie de la cour des plaids du monarque. Les grands vassaux furent quelquefois à la vérité irrités de se voir assimilés aux simples barons du fief royal, et plusieurs refusèrent souvent de siéger à leurs côtés. Mais la volonté des rois triompha de leur résistance; et, sous Saint-Louis, il était regardé comme constant que c'était le fait même de la vassalité immédiate de la couronne qui constituait la pairie. On lit ces mots dans une lettre écrite par ce monarque au chapitre de Beauvais: Quòd episcopus Bellovacensis in baronia, et in feodum hommagü ligi de nobis teneat. apud Bellovacenses, et QUOD PAR SIT EX EO FRANCIE (1).

Marlot, Hist. métrop. Rem., tom. u, pag. 517.

On doit comprendre maintenant, d'après tout ce qui précède, que les grands vassaux formaient seuls, avec le roi, la cour des pairs de la couronne, c'est-à-dire, la seule qui pût connaître de leurs personnes et de leurs différens; que les barons composaient naturellement la cour des plaids royaux, qui ne devait s'occuper. que des vassaux du fief royal, et dont le ressort ne s'étendait pas au-delà; mais que, par une dégradation de la dignité des premiers, les deux cours n'en formèrent qu'une seule, saisie de leurs attributions respectives, et appelée tour-à-tour cour des pairs, du roi ou de France. Toutefois, remarquons bien qu'il y eut une distinction entre les membres égaux de ce tribunal. Les premiers, les véritables pairs, en furent bien justiciables, mais tout autant que les titulaires des grandes vassalités y eussent été appelés, ou, en d'autres termes, que la cour fut suffisamment garnie de pairs (1).

Maintenant il s'offre deux questions intéressantes : quand la pairie devint-elle un établissement fixe? Quand le nombre des pairs fut-il réduit à douze ?

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<< Comment n'a-t-on pas senti, dit à ce sujet un écrivain (2), » que, dans une nation qui n'avait ni lois, ni puissance législative, et où l'inconstance des esprits et l'incertitude préparaient et produisaient sans cesse de nouvelles révolutions, l'établissement des douze pairs doit ressembler aux autres établissemens de ce temps-là, qui se formaient par le hasard, › d'une manière lente et presqu'insensible, et se trouvaient » enfin tout établis à une certaine occasion, sans qu'il fût possible de fixer l'époque précise de leur naissance. »>

K

Ne nous perdons donc pas en de vaines recherches pour fixer une date qui n'existe peut-être pas d'une manière précise. C'est en effet un point fort vague, parce que, comine on l'a vu plus haut, on peut en quelque sorte considérer deux personnages dans le pair: le grand vassal de la couronne, et le

(1) Du Tillet, Des Pairs, pag. 373.

(2) Mably, Observ. sur l'Hist. de Fr., tom. II.

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