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chaque année, les principaux membres du clergé, et de ce que nous pouvons appeler maintenant la noblesse; mais c'était plutôt de la part de ce monarque une marque de déférence, que l'intention de reconnaître les droits de la nation à une portion de la souveraineté.

Charles comprit que, s'il ne parvenait à appuyer ses volontés dans cette assemblée du concours de quelques hommes, non appartenans aux deux classes qui l'avaient jusque-là composée intégralement, ses voeux pour l'amélioration des choses ne pourraient jamais être réalisés. En conséquence, il voulut, et parvint à effectuer que cette majeure partie de la population, appelée depuis le tiers-état, eût des députés dans les Champsde-Mai. Ainsi fut formée cette alliance du trône et du peuple, dont le but fut de faire cesser les suites funestes de la conquête des Barbares, et à laquelle nous verrons les rois de la troisième race rester presque toujours fidèles.

Ainsi fut rétabli momentanément le principe primitif et fondamental du gouvernement français.

Charlemagne établit qu'il y aurait deux assemblées chaque année. La première était le Champ-de-Mai, et la plus solennelle. Là, se délibéraient les grandes affaires et se portaient les lois. L'empereur, pour laisser les députés discuter les intérêts nationaux en toute liberté, ne paraissait parmi eux, dit Hincmar (1), que lorsqu'il en était sollicité pour terminer leurs contestations, ou donner sa sanction à ce qu'ils avaient arrêté. Il présidait au contraire la seconde assemblée, qui se tenait en automne. C'était une espèce de placitum, ou de parlementum, où se préparaient les matières dont il devait être. question dans la grande assemblée nationale.

Ce que fit Charles, pour l'administration de l'Etat, ne fut guères moins important. Il partagea le royaume en districts ou légations, et ces légations en comtés. Ne pouvant détruire l'usage déjà enraciné de regarder les offices de ducs et de

(1) De Ord, pal., chap. 3a.

comtes comme des propriétés, il chercha du moins à affaiblir la tyrannie qui en était la suite, et il créa une institution dont la législation des Lombards lui offrit, dit-on, l'exemple: ce fut celle des envoyés, ou commissaires royaux (Missi dominici), chargés de visiter les légations, de trois mois en trois mois, d'y tenir des plaids, où devaient se trouver tous les personnages notables de chaque district, et qui étaient tour-àtour conseils administratifs et assises de justice.

L'établissement de ces assises fut un palliatif aux maux qui découlaient de l'envahissement de la justice par les seigneurs, et il tendait même à rendre à la couronne cette belle prérogative. Charles porta ainsi un premier coup à tous les abus introduits dans les siècles précédents; mais il fut obligé de tenir une marche prudente pour ne pas révolter les esprits. Une partie des désordres subsistait donc. Le peuple fut satisfait toutefois, et salua son souverain du titre de bienfaiteur << parce que, dit Thouret (1), depuis l'établissement des seigneuries, il avait tellement perdu toute idée de ses droits » et de sa dignité, qu'il était disposé à recevoir, comme une » faveur, tout le mal qu'on voulait bien ne lui pas faire. »

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Les biens confisqués sur l'Eglise, par Charles-Martel, et livrés à ses officiers, étaient alors le sujet de perpétuelles contestations et de graves embarras. Le clergé ne cessait de les réclamer et la noblesse refusait de les rendre. Pepin n'avait fait que suspendre la querelle en consacrant la possession viagère de ces biens, à la charge d'une rente aux anciens possesseurs, qui fut appelée précaire.

Le précaire fut converti, par Charlemague, en dîme; les canons qui consacraient l'élection des évêques par le peuple et le clergé, furent remis en vigueur; les justices ecclésiastiques étendues, le privilége de cléricature, c'est-à-dire de n'avoir, dans toute occasion, d'autre juge que l'évêque, fut

(1) Abrégé des Révolutions, etc.

confirmé, et le clergé satisfait laissa ses biens à ceux qui en étaient en possession.

Ainsi naquit l'impôt de la dime, qui fut dans la suite étendu à tant d'autres terres dont le titre de possession n'était pas marqué du même caractère d'illégimité.

Voilà Charlemagne. La nature parut épuisée après avoir créé un pareil homme dans un âge pareil. On ne voit plus après lui que faiblesse et stupidité. L'empire et la France sont successivement arrachés à son inhabile postérité, et enfin, une nouvelle révolution lui enlève la couronne même, comme elle avait été enlevée au sang de Clovis.

S XVI.

Des Capitulaires.

Ce sont les lois faites par les assemblées nationales convoquées sous Charlemagne et ses successeurs.

y

Ils étaient portés au nom de l'Empereur, mais la nécessité de l'assentiment national, pour leur donner force de loi, est formellement exprimée. Ce principe y est énoncé : lex consensu populi fit et constitutione regis. On voit ensuite que Charlemagne s'était réservé le droit de faire des capitulaires exécutés provisoirement, mais qui ne devenaient lois définitives que lorsqu'ils avaient été consentis par le Champ-deMai.

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Nous avons vu qu'au commencement chaque portion distincte de la population avait conservé ses lois particulières. Ainsi, les lois romaine, salique, bourguignone, furent également maintenues et respectées ; mais l'Etat changeant successivement de face, la législation dut aussi éprouver une pareille métamorphose. Il s'établit, avec le temps, une sorte de confusion entre les lois diverses comme entre les différentes races qui peuplaient le sol. Des usages adaptés au nouvel Etat remplacèrent même souvent les lois. Ainsi ce fut l'esprit de l'ancienne législation, plutôt que cette législation elle-même, qui régit encore le peuple.

Les capitulaires furent politiques, administratifs, ecclésiastiques ou civils; ils furent faits pour completter ce qui subsistait encore de l'ancien ensemble législatif : ils le remplacèrent en quelque sorte.

Or, remarquons que l'objet direct de ces lois nouvelles étant ordinairement la répression des abus qui s'étaient introduits sous la première race; qu'un système plus désastreux encore s'introduisant sous la seconde, par l'imbécillité du monarque et l'audace des grands; qu'en outre, les usages des fiefs s'établissant partout à mesure que les fiefs s'étendaient, les capitulaires durent successivement être annihilés. Il n'en' fut plus question sous la troisième race; il n'y eut plus de droit que les caprices du plus puissant: on ne savait plus ni lire ni écrire. Lois de Théodose, de Clovis ou de Charlemagne, tout était également tombé dans l'abyme!.... Alors, dans les intervalles où l'épée ne fut pas toute la législation, s'introduisirent les coutumes.

S XVII.

Charles-le-Chauve.

Les institutions de Charlemagne n'avaient pas produit une révolution assez complète, et la barbarie avait fait trop de progrès pour que le nouvel ordre fût durable si le génie cessait de diriger le sceptre. Le peuple, tiré un instant de son avilissement, devait y retomber s'il n'était plus soutenu par le monarque. «< Alors (1), si le prince était ambitieux et entre» prenant, il devait en écrasant les grands se rendre despote; » et si ce prince était lâche et faible, les grands devaient en » le dominant rétablir sur le peuple le joug de leurs anciennes » prérogatives.

Le fils du grand Charles, Louis, surnommé le Débonnaire, fut une espèce de moine couronné: il arma également contre lui les deux ordres redoutables que les deux souverains pré

(1) Thouret, p. 96.

cédents avaient su si bien ménager et contenir. Faible et ombrageux, il craignit et cessa bientôt de convoquer ces assemblées où son père venait glorieusement déposer une portion de son autorité. Il laissa les grands devenir les oppresseurs du peuple et du clergé lui-même; il souffrit que la royauté fût dégradée dans sa personne. Tout dépérit en peu de temps

entre ses mains.

Pendant les guerres qui désolèrent la France à la mort de Louis, s'introduisit un changement qui n'était qu'un acheminement à une révolution totale. Les hommes libres purent choisir pour seigneur, entre le roi et les grands seigneurs; ce principe fut consacré par le traité qui se fit entre les trois frères, après la fameuse bataille de Fontenay. Voici quelle en fut la conséquence nécessaire: comme le sceptre ne pouvait plus protéger, les sujets passèrent successivement à une vassalité plus utile. Les possesseurs de fiefs virent ainsi chaque jour augmenter leur puissance, et le roi tomber la sienne.

Les choses étant ainsi, il ne restait plus à faire que ce que Charles-le-Chauve fit.

Ni les fiefs, ni les grands offices n'avaient jamais été jusque-là aliénés à perpétuité, quoique la violence ou la faiblesse eût quelquefois perpétué la possession de quelques-uns. Ils le furent alors. Charles déclara d'abord que les fiefs seraient donnés aux enfans du possesseur; bientôt il fut obligé d'appliquer ce réglement aux offices de comte. Ceux-ci, de délégués du roi, devinrent en peu de temps, par là, assimilés aux maîtres des fiefs, et leurs charges se trouvèrent converties en véritables seigneuries. Il n'y eut plus dès-lors qu'un monarque décoré du vain titre de suzerain, et des vassaux en possession de tous les droits de la puissance souveraine. L'autorité du roi ayant cessé d'être immédiate, elle ne fut plus qu'une ombre qu'un souffle pouvait faire disparaître. On se joua de ses capitulaires et de ses envoyés : la révolution fut consommée, le gouvernement féodal s'établit.

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