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la couronne conférait; mais le désordre et la confusion augmentant d'année en année, de siècle en siècle, un nombre considérable d'alleux se trouvèrent réduits en fiefs ou arrière-fiefs. Des priviléges étaient assignés aux vassaux du roi, on trouvait protection sous son sceptre; on voulut être vassal du roi; alors s'introduisit l'usage de changer son alleu en fief, en donnant sa terre au roi, qui la rendait à titre de bénéfice ou de vassalité. Telle est la formule qui nous a été conservée (1). L'hérédité, pour cette espèce de fief, ne put certainement être contestée; ce fut probablement une raison de regarder, par la suite, toutes les terres connues sous ce nom, comme possédées à titre héréditaire.

On conçoit que la crainte, d'une part, et la violence, de l'autre, le besoin de protection et le désir d'opprimer, créèrent, dans la suite, entre les sujets, un ordre analogue à celui qui avait d'abord existé entre le roi et quelques sujets. « Tout le monde, dit le grand homme auquel il faut toujours revenir, entra, pour ainsi dire, dans la monarchie féodale, parce qu'on n'avait plus la monarchie politique. Je m'arrête ici.

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SIX..

De la Justice.

Le pouvoir, c'est la justice. La société, en effet, n'établit de supériorités que pour fixer des droits et des rapports, pour maintenir les règles par lesquelles elle doit exister. Voilà pourquoi la justice est l'attribut constant de la royauté, ou, dans un sens plus étendu, pourquoi elle émane, dans tout Etat de la souveraineté.

Ce principe fut oublié dans les temps malheureux dont nous nous occupons. C'est un spectacle singulier que de voir la plus auguste prérogative de la couronne partagée et mor- celée, et devenir en quelque sorte, la conséquence immé

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diate de la possession de telle ou telle fraction du sol. Ce spectacle fut alors offert pour la première fois : il est digne de fixer l'attention de ceux qui méditent sur le principe, le but et les résultats des institutions humaines.

Les offices de juges avaient d'abord été occupés par des officiers royaux; inais le désordre qui s'introduisit dans toutes les branches de l'administration, ne tarda pas non plus à gagner la justice : les juges du roi furent remplacés, expulsés. Il fallait que la force fût la loi.

Mais on a expliqué comment fut consommée cette étonnante révolution qui fit de la justice un droit du fief: la composition formait toute la législation des Francs. On payait l'injure faite ou le sang versé la famille était dès-lors dispensée du devoir sacré de la vengeance; et la société conservait un de ses membres, que son audace ou son génie rendaient quelquefois précieux. Mais, outre ce qu'on donnait aux parens pour se racheter, il y avait aussi une amende qui devait être délivrée au juge du territoire où l'action avait ́été commise. C'était, sans doute, dans l'esprit du législateur, une sorte d'expiation publique d'un délit public, faite pour en éloigner le renouvellement. Cette amende était appelée fredum, et proportionnelle comme la composition.

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« Je vois déjà naître la justice des grands seigneurs. Les » fiefs comprenaient de grands territoires, comme il paraît » par une infinité de monumens. J'ai déjà prouvé que les > rois ne levaient rien sur les terres qui étaient du partage des Francs; encore moins pouvaient-ils se réserver des » droits sur les fiefs. Ceux qui les obtinrent, eurent, à cet égard, la jouissance la plus étendue; ils en tirèrent tous les fruits et tous les émolumens; et comme un des plus consi» dérables était les profits judiciaires (freda), que l'on recevait par les usages des Francs, il suivait que celui qui » avait le fief, avait aussi la justice, qui ne s'exerçait que » par des compositions aux parens, et des profits au seigneur. » Elle n'était autre chose que le droit de faire payer les

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compositions de la loi, et celui d'exiger les amendes de » la loi (1). »

Il est bon d'observer toutefois que, si la couronne perdit sa plus belle prérogative, elle en conserva du moins le titre originaire elle ne rendit plus la justice; mais elle dut veiller à ce qu'elle fût rendue : elle put obliger les seigneurs à remplir cette espèce de servitude de leur fief.

Ainsi fut fondé un ordre qui, après avoir été pendant plusieurs siècles un fléau pour les peuples, laissa informe et confus tout notre système judiciaire, jusqu'au temps où il fut frappé dans ses racines.

S X.
Du Clergé.

Le clergé catholique avait admis les Francs; et plusieurs de ses membres avaient favorisé leur conquête, parce que, abandonnés des empereurs, ils redoutaient beaucoup moins la domination de ces païens que celle des Ariens du midi. La raison en est toute simple; les premiers n'étaient point persécuteurs, et on pouvait avoir l'espoir fondé de les convertir au Catholicisme. Il y a même des raisons de penser que les lumières de la foi avaient déjà éclairé plusieurs des Barbares, avant la conquête.

L'Eglise conserva, dans les premiers temps, l'usage des lois romaines. Les évêques, saints vieillards qui offraient d'éclatans exemples de charité chrétienne, en imposaient aux rois barbares. Ils respectaient, avant leur conversion, ces dignes prélats. Devenus chrétiens, ils en firent des conseillers; ceux-ci s'étaient servi de leur influence auprès des rois pour protéger les malheureux vaincus, et exercer une espèce de patronage utile. Quelques-uns, abusant de leur crédit, le changèrent, dans la suite, en une tyrannie odieuse. Grégoire de Tours parle d'un évêque d'Auvergne, qui, dès le premier siècle de la monarchie,

(1) Montesquieu, liv. xxx, chap. 20.

enlevait avec violence des terres qui confinaient son domaine, et faisait mettre en prison un prêtre qui refusait de lui donner son bien.

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Mais ce serait tomber dans une grande erreur que de voir dans la violence la principale cause de l'accroissement rapide des richesses du clergé. Il eut une origine plus pure, les donations ne furent pas toujours extorquées, l'ignorance de ces temps les fit regarder comme des expiations par ceux qui les acceptaient, comme par ceux qui les faisaient : c'était le prix des péchés, est-il dit dans une loi de Carloman. Divers monumens attestent aussi que les vertus des ecclésiastiques furent souvent une heureuse compensation des maux de ces temps désastreux. L'humanité trouva plus d'une fois des pasteurs dans les rangs de l'Église. Peut-on être surpris que les peuples les aieut comblés de bienfaits dont ils faisaient un si louable usage!

Les ecclésiastiques reçurent de la munificence royale des fiscs ou des bénéfices. Ils eurent donc aussi des vassaux, comme les laïcs. Ils les menaient pareillement à la guerre ; mais ce soin était quelquefois confié à leurs advocati (avoués). Ce ne fut que vers le commencement de la deuxième race qu'ils purent se dispenser du service militaire qu'ils devaient comme vassaux du roi.

A mesure que tout décrut, et que la barbarie s'étendit, les membres du haut clergé, seuls hommes à peu près qui conservassent quelques vestiges de l'ancienne civilisation, acquirent un nouveau degré d'influence. Nous indiquerons plus tard d'autres causes et d'autres circonstances qui amenèrent une révolution totale dans l'état du clergé, qui en firent ce qu'il n'avait jamais été sous les Romains, un corps politique.

TOME I.

3

S XI.

Des Assemblées nationales.

Il est remarquable qu'on trouve également chez les Gaulois et chez les Francs, l'antique usage de ces grandes assemblées où la nation était appelée à délibérer de ses plus importantes affaires, et exerçait une haute souveraineté. Mais on le comprend facilement quand on se rappelle que ces deux nations n'avaient été probablement dans leur état primitif que deux branches de la grande tige celtique.

Les assemblées des Francs, dont nous devons surtout nous occuper, se tenaient, chaque année, dans les mois de mars ou de mai; ce qui leur a laissé le nom fameux de Champ-deMars. Tous les hommes libres y venaient avec leurs armes ; le roi y était entouré de ses leudes: c'était à la fois une revue et une diète (1).

Les Francs s'étant dispersés, après la conquête, dans toute l'étendue du sol, soit comme dépositaires du pouvoir, soit comme possesseurs de terres, il devint difficile de les réunir. Les assemblées devinrent dès-lors rares et incomplètes; elles furent même bientôt à peu près remplacées par des conseils composés de leudes et de prélats. On y appellait bien, à la vérité, quelques autres personnages qui n'appartenaient à aucune de ces deux classes; mais comprenons bien que, quand même tous les Francs disséminés sur le sol eussent été convoqués, il n'en est pas moins évident que l'assemblée avait changé de nature. Tous les hommes libres en faisaient partie ancien nement; alors il s'était formé une distinction entre ceux-ci. Les propriétaires d'alleux, qu'ils fussent d'origine romaine ou barbare, formaient une classe nouvelle entre les maîtres et les esclaves: or, cette classe ne fut point appelée dans l'assemblée qui réglait les affaires d'Etat avec le roi.

Le Gouvernement avait donc changé de face: la nation

(1) Legendre, Maurs et Coutumes. Règne de Pepin.

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