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INTRODUCTION.

Dès que les hommes réunis en société ont réfléchi sur

leur état, ils ont dû en sentir les avantages : ce sentiment du bien dont ils jouissaient a bientôt excité le désir du mieux, et leur en a fait entrevoir la possibilité: ils ont compris que l'état de société dont ils goûtaient le bonheur, était susceptible d'une organisation plus ou moins parfaite.

On a vu, dès-lors, les philosophes et les législateurs poser des principes et fonder des institutions, dans la vue d'établir la communauté, de la manière la plus avantageuse à tous ses membres. Telle est l'origine de la politique; tel est son objet.

Nous ne chercherons pas à retracer ici ses progrès successifs, à reproduire les différens systèmes établis par les législateurs anciens et modernes, ni même à rappeler les principes généraux én cette matière; il s'agit de bien faire connaitre l'intention et les avantages de l'Ouvrage que nous publions. En d'autres termes, nous devons exposer les motifs qui nous ont déterminés, marquer le but que nous nous proposons, indiquer enfin la marche que nous avons adoptée.

L'existence de la société suppose nécessairement des engagemens tacites ou exprès entre tous ses membres, par lesquels chacun consent à sacrifier une partie de ses droits pour le bien public. Mais il ne suffit pas que

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ces engagemens aient été contractés; il ne suffit pas même qu'ils soient fidèlement observés; il faut encore qu'aucun des contractans ne puisse s'y soustraire; car, par cela seul qu'une partie pourrait, à son gré, méconnaître ses obligations, le contrat serait vicié. Il faut donc essentiellement, pour la conservation et la durée de toute société, qu'il existe une force capable de contraindre chaque membre à remplir ses devoirs, et de garantir à chacun l'exercice de ses droits; cette force, c'est le gouvernement, quelle que soit sa forme, quelle que soit sa dénomination. «Il faut remarquer, » dit un grand jurisconsulte, sur ce qui regarde les en»gagemens, qu'ils demandent l'usage d'un gouverne»ment qui contienne chacun dans l'ordre de la jus» tice (1).» «Le corps politique, dit Harrington (2), qui » n'est point dirigé par la raison du gouvernement, n'est plus un peuple, une nation, mais un troupeau. »

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Ainsi la nature même des choses veut que chaque société soit soumise à une autorité; et la raison nous montre que cette autorité n'existe que pour l'avantage de la société. Mais tantôt la soumission due au pouvoir légal a été oubliée; tantôt les dépositaires de l'autorité en ont abusé; ces accidens n'ont pu changer les principes; mais ils ont fait voir la nécessité de donner au gouvernement assez de force pour agir, pour se conserver et se défendre, et de renfermer son pouvoir dans de telles limites, qu'il ne pût en faire

(1) Domat, Traité des lois, chap. xi, no 40.

(2) Aphorismes politiques, no 19. Voyez aussi Blackstone, discours prélim. sect. 2.

usage contre l'intérêt de la société (1). Tel est le problème que présente à résoudre la formation ou l'or ganisation de toute société politique; et certes, l'es→ prit humain ne peut se proposer un objet de méditation plus grand et plus utile (2).

En cette matière, il n'est pas de guide plus sûr que l'expérience; et les principes établis par le raisonnement ne reçoivent que de l'application une autorité complete et une certitude irréfragable. C'est là machine dont le géomètre a combiné les ressorts et calculé les forces: il faut la voir agir pour être sûr de son effet. Avant donc d'adopter les théories et les systèmes sur la forme du gouvernement, il ne suffit pas d'en apprécier le mérite d'une manière spéculative, il faut en outre consulter l'expérience, et adopter ou repousser les principes et les institutions, d'après leurs effets dans l'exercice et dans l'application.

Mais dans quelles archives trouve-t-on recueillies les leçons ou les observations de cette expérience, qu'on peut appeler la pierre de touche des institutions politiques? La plupart des historiens ont négligé de montrer en quoi la forme du gouvernement et les institutions politiques ont influé sur la destinée des peuples: ceux même qui ont considéré l'histoire sous ce point de vue, n'exposent pas toujours avec assez d'exactitude l'ensemble des principes et des lois formant la constitution; et c'est plutôt leur opinion sur ces lois que ces lois elles-mêmes qu'ils font connaître. Ainsi, l'histoire de chaque peuple

(1) Locke, du Gouvernement civil, chap. vIII, no io. (2) Voyez la Préface des OEuvres philosophiques et politiques,

de Hobbes.

nous offre rarement les leçons de l'expérience sous ce rapport; mais, si une fois chaque constitution était connue dans toutes ses parties; si toutes les révolutions survenues dans la forme du gouvernement étaient indiquées avec exactitude; alors il serait facile de démêler dans chaque événement, quelle a été l'influence des institutions politiques, et de voir comment les événemens ont réagi sur ces mêmes institutions. Ces réflexions suffisent, sans doute, pour indiquer quelle a été notre intention, en présentant le texte des lois et actes formant la constitution de chaque peuple. Il nous reste à développer le plan que nous avons suivi pour l'exécution.

D'abord, nous n'avons compris dans notre Collection que les institutions des peuples modernes sans doute, les gouvernemens des anciens ont offert souvent d'heureuses applications des principes de la politique. Montesquieu pense que les Anglais ont tiré des Germains l'idée de leur gouvernement politique (1) ; il dit aussi que la manière dont on rendait la justice à Rome, du temps de la république, est à-peu-près suivie en Angleterre (2).

Mais les mœurs, les usages et les circonstances ont tellement changé; les inventions nouvelles, le progrès des sciences ont apporté dans l'état social de si grandes modifications, qu'il serait souvent inutile, et quelque

(1) Esprit des lois, liv. x1, chap. 6. (2) Idem, liv. XI, chap. 18.

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