Page images
PDF
EPUB

PAR suite du désastre de Leipsick, les armées coalisées avaient mis le pied sur le sol de la France; les ministres des cours étrangeres avaient signé, le 1er mars 1814, à Chaumont, un traité de ligue, dans le but de forcer la France à souscrire à une paix qui assurât l'indépendance de l'Europe; les bataillons étrangers s'approchaient tous les jours de la Capitale. Enfin, le 30 mars, les hauteurs de Paris furent attaquées; et le lendemain une capitulation livra la ville aux souverains alliés.

Le 1er avril, le sénat nomma un gouvernement provisoire, et le conseil général du département de la Seine publia, conjointement avec le conseil municipal de Paris, une proclamation, dans laquelle il déclarait qu'il s'affranchissait de toute obéissance envers Napoléon, et manifestait le vœu de voir le rétablissement du gouvernement monarchique dans la personne de Louis XVIII.

Le 3, un décret du sénat prononça la déchéance de l'empereur, abolit le droit d'hérédité établi dans sa famille, et délia de leur serment les Français qui l'avaient prêté.

Tout cela avait lieu pendant que Napoléon, peu instruit de ce qui se passait à Paris, abdiquait à Fontainebleau en faveur de son

fils; mais il apprit peu après les mesures prises envers toute sa famille; et, après avoir refusé naguères une paix avantageuse, il consentit à profiter de la dernière grâce qui lui fut accordée.

Cependant l'empereur de Russie avait, dans une proclamation, invité le sénat à travailler à une constitution, dont la France ne pouvait plus se passer (1). Cette constitution, rédigée à la hâte, fut présentée par le gouvernement provisoire à l'acceptation du sénat le 6 avril.

Par cet acte, la dynastie des Bourbons était rétablie ; mais le roi ne devait être proclamé qu'après avoir prêté, par écrit, le serment constitutionnel.

D'ailleurs la constitution du sénat reposait à peu près sur les mêmes bases générales que celles de 1791; elle portait, en substance, que le peuple français appelait librement au trône LouisStanislas-Xavier de France, frère du dernier roi; l'inviolabilité de la personne royale; la liberté des cultes, la liberté de la presse étaient reconnues; la dette publique, la vente des biens nationaux (1) Voyez le Moniteur du 31 mars 1814.

garantis; la confiscation abolie; la noblesse ancienne et nouvelle conservées.

Le pouvoir législatif résidait dans deux chambres et dans le monarque, qui concourait avec elles, et avait la sanction : l'initiative appartenait également aux trois branches du pouvoir législatif. IĮ suffisait d'avoir vingt-cinq ans pour siéger dans l'une et l'autre chambres; la dignité de sénateur était inamovible et héréditaire de måle en måle, par ordre de primogéniture; la dotation du sénat appartenait aux sénateurs, et les revenus passaient à leurs successeurs. Des articles transitoires réglaient des intérêts particuliers : c'est ainsi que les grades, honneurs et pensions des militaires étaient garantis; qu'aucun Français ne pouvait être recherché ni pour les opinions ni pour les votes qu'il avait pu émettre; principes également consacrés par la charte.

La constitution décrétée par le sénat n'eut aucune suite. Par la déclaration royale de Saint-Ouen, publiée le 2 mai, le roi donna aux Français l'assurance de consigner dans un acte solennel les règles de leurs droits; des commissaires du sénat et du corps législatif durent travailler à sa rédaction; enfin, au commencement du mois suivant, eut lieu la séance royale, qui commença la session des chambres. La charte constitutionnelle fut lue dans l'assemblée; les pairs et les députés jurèrent fidélité au roi et aux lois du royaume. L'empire de la charte fut établi.

Décret du sénat, qui défère le gouvernement provisoire de la France à S. A, R. Mgr le comte d'Artois, sous le titre de Lieutenant-général du royaume.

Paris, le 14 avril 1814.

Le sénat, délibérant sur la proposition du gouvernement provisoire, après avoir entendu le rapport d'une commission spéciale de sept membres,

DÉCRETE Ce qui suit:

Le sénat défère le gouvernement provisoire de la France à S. A, R. Mg le comte d'Artois, sous le titre de Lieutenant-général du royaume, en attendant que LOUIS-STANISLAS-XAVIER DE FRANCE, appelé au trône des Français, ait accepté la charte constitutionnelle. Le sénat arrête que le décret de ce jour, concernant le gouvernement provisoire de la France, sera présenté ce soir, par le sénat en corps, à S. A. R. Mgr le comte d'Artois.

Réponse de S. A. R. Mgr le comte d'Artois au decret du sénat.

14 avril 1814.

J'ai pris connaissance de l'acte constitutionnel qui rappelle au trône de France le roi, mon auguste frère. Je n'ai point reçu de lui le pouvoir d'accepter la constitution; mais je connais ses sentimens et ses principes, et je ne crains pas d'être désavoué en assurant, en son nom, qu'il en admettra les bases.

Le roi, en déclarant qu'il maintiendrait la forme actuelle du gouvernement, a donc reconnu que la monarchie devait être pondérée par un gouvernement représentatif divisé en deux chambres : ces deux chambres sont le sénat et la chambre des députés des départemens; que l'impôt sera librement consenti par les réprésentans de la nation; la liberté publique et individuelle assurée ; la liberté de la presse respectée, sauf les restrictions nécessaires à l'ordre et à la tranquillité publique; la liberté des cultes garantie; que les propriétés seront inviolables et sacrées; les ministres responsables, pouvant être accusés et poursuivis par les représentans de la nation; que les juges seront inamovibles; le pouvoir judiciaire indépendant, nul ne pouvant être distrait de ses juges naturels; que la dette publique sera garantie; les pensions, grades, honneurs militaires seront conservés, ainsi que l'ancienne et la nouvelle noblesse; la légion d'honneur maintenue. Le roi en déterminera la décoration; que tout Français sera admissible aux emplois civils et militaires; qu'aucun individu ne pourra être inquiété pour ses opinions et votes, et que la vente des biens nationaux sera irrévocable. Voilà, ce me semble, Messieurs, les bases essentielles et nécessaires pour consacrer tous les droits, tracer tous les devoirs, assurer toutes les existences, et garantir notre avenir.

Je vous remercie, au nom du roi mon frère, de la part que vous avez eue au retour de notre souverain légitime, et de ce que vous avez assuré par là le bonheur de la France, pour lequel le roi et toute sa famille sont prêts à sacrifier leur sang. Il ne peut plus y avoir, parmi nous, qu'un sentiment; il ne faut plus se rappeler le passé ; nous ne devons plus former qu'un peuple de frères. Pendant le temps que j'aurai entre les mains le pouvoir, temps qui, je je l'espère, sera très-court, j'emploierai tous mes moyens à travailler au bonheur public.

Déclaration du Roi, du 2 mai 1814.

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre; à tous ceux qui ces présentes verront; salut.

Rappelé par l'amour de notre peuple au trône de nos pères, éclairés par les malheurs de la nation que nous sommes destinés à gouverner, notre première pensée est d'invoquer cette confiance mutuelle, si nécessaire à notre repos, à son bonheur.

Après avoir lu attentivement le plan de constitution proposé par le sénat dans sa séance du 6 avril dernier, nous avons reconnu que les bases en étaient bonnes, mais qu'un grand nombre d'articles portant l'empreinte de la précipitation avec laquelle ils ont été rédígés, ils ne peuvent, dans leur forme actuelle, devenir loi fonda

'mentale de l'Etat.

Résolu d'adopter une constitution libérale, nous voulons qu'elle soit sagement combinée; et, ne pouvant en accepter une qu'il est indispensable de rectifier, nous convoquons, pour le 10 du mois de juin de la présente année, le sénat et le corps législatif, nous engageant à mettre sous leurs yeux le travail que nous aurons fait avec une commission choisie dans le sein de ces deux corps, et à donner pour bases, à cette constitution, les garanties suivantes :

Le gouvernement représentatif sera maintenu tel qu'il existe aujourd'hui, divisé en deux corps, savoir : le sénat et la chambie composée des députés des départemens.

L'impôt sera librement consenti;

La liberté publique et individuelle assurée;

La liberté de la presse respectée, sauf les précautions nécessaires à la tranquillité publique;

La liberté des cultes garantie;

Les propriétés seront inviolables et sacrées; la vente des biens nationaux sera irrévocable;

}

Les ministres, responsables, pourront être poursuivis par une des chambres législatives, et jugés par l'autre ;

Les juges seront inamovibles, et le pouvoir judiciaire indépendant; La dette publique sera garantie ; les pensions, grades, honneurs militaires seront conservés, ainsi que l'ancienne et la nouvelle noblesse; La légion d'honneur, dont nous déterminerons la décoration, sera maintenue;

Tout Français sera admissible aux emplois civils et militaires; Enfin, nul individu ne pourra être inquiété pour ses opinions et

ses votes.

Fait à Saint-Ouen,l e a mai 1814.

Signé Louis.

4 juin 1814.

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, A tous ceux qui ces présentes verront, SALUT.

La divine Providence, en nous rappelant dans nos Etats après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets; nous nous en sommes occupés sans relâche; et cette paix, si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume; nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité toute entière résidât en France dans la personne du roi, nos prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant la différence des temps; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis-le-Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à saint Louis et à Philippe-le-Bel; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri II et de Charles IX; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse.

Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissans des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demisiècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le vœu de nos sujets pour une charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel; mais, en cédant à ce vœu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'Etat, se sont réunis à des commissaires de notre conseil pour travailler à cet important

ouvrage.

En même temps que nous reconnaissions qu'une constitution libre et monarchique devait remplir l'attente de l'Eu

« PreviousContinue »