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vers le cinquième siècle. L'abbé Dubos (1) a dit qu'à cette époque il n'y avait plus de Gaulois dans les Gaules; il a voulu exprimer par là qu'ils étaient devenus de véritables Romains. En effet, mœurs, usages, jeux, costumes, langage, ils avaient tout adopté. Depuis que Caracalla avait proclamé citoyens romains tous les habitans des diverses provinces de l'empire, les différences que le temps avait laissées entre les deux populations, s'étaient de jour en jour effacées; les mariages avaient surtout contribué à opérer un mélange complet. On ne faisait donc plus aucune distinction, dans les derniers temps, entre les familles qui avaient anciennement apporté la toge dans la Gaule, et celles qui l'avaient reçue ; les plus illustres entre les unes et les autres parvenaient indistinctement aux dignités de l'empire. Ce fait était important à fixer, en ce que ces dénominations dé Gaulois et de Romains ne peuvent plus dès-lors produire aucune confusion : nous savons que c'est d'un seul et même peuple qu'il s'agit à cette époque, d'un peuple qui, sous quelque dénomination que ce soit, n'est, après tout, qu'une portion de la grande nation dominant encore sur l'univers.

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Les grandes magistratures établies dans les Gaules par les empereurs, ne sont intéressantes, dans notre objet, que parce que les chefs de Barbares s'aidèrent de ces titres vains pour appuyer leur puissance sur les peuples conquis. Ce serait en effet se faire une fausse idée de la royauté à cette époque, que de la juger d'après nos idées modernes il n'y avait alors, dans l'esprit des peuples, de sceptre et de couronne qu'à Rome et à Constantinople. Nul doute que le vicaire-général ou préfet du prétoire qui commandait dans la Gaule, et même le simple recteur qui dirigeait une des dix-sept provinces, ne fût, aux yeux de cette population, un tout autre personnage que quelques chefs de hordes sauvages dont la longue chevelure était le

(1) Etablissement des Francs dans les Gaules.

seul caractère de majesté. A la vérité, tous les faibles instrumens de la puissance des Césars disparurent successivement devant l'épée des Barbares; mais ils sentirent bientôt euxmêmes que, pour dominer solidement sur tout ce que le fer n'avait pas détruit, il fallait se substituer dans les offices, à l'égard desquels les peuples avaient contracté des habitudes de soumission. Voilà pourquoi, tandis que les chefs rece vaient ou prenaient les insignes des patrices ou des consuls, on voyait leurs principaux lieutenans remplacer, sous les noms de ducs, ces généraux ( duces) fixés par les empereurs dans telle ou telle province de l'empire; d'autres, succéder comme comtes, à ces comites qui présidaient aux cités, etc.

Il y a une remarque bien intéressante à faire sur ces établissemens militaires des empereurs. La difficulté de faire marcher avec assez de précipitation les milices sur les frontières, quelquefois simultanément attaquées par les Barbares, avait donné lieu à la création de certaines milices particulières établies à demeure dans telle ou telle province, et dont les seules fonctions étaient d'en garder l'entrée. On distribuait des terres à ces soldats; ils pouvaient se marier, et laisser à leurs enfans ces biens concédés, mais à condition qu'ils rendraient le même service militaire, dont la donation avait été le prix. Les terres possédées à ce titre sont, en général, désignées sous la dénomination de bénéfices militaires. On a pu y voir l'origine des fiefs.

Chaque province de la Gaule était divisée en districts ou cités; chaque cité s'administrait par elle-même, sous la haute autorité des officiers de l'empereur. Elle avait son sénat, sa curie (1), sa milice et ses revenus. Il est manifeste enfin que l'établissement des cités romaines constituait, mais d'une manière plus élevée et plus libérale, ces communes que nous verrons disparaître d'abord entre les fléaux qui suivirent la conquête, et renaître ensuite, successivement arrachées

(1) Il semble que la curie était au canton (pagus) ce que le sénat était à la cité (civitas).

à l'épée des conquérans par les efforts des peuples et le sceptre protecteur des rois.

Les Gaulois étaient libres ou esclaves. Les hommes libres étaient rangés sous trois classes, 1o les familles sénatoriales, jouissant de certaines prérogatives, mais assujéties à l'impôt comme les autres; 2° les familles curiales, où se trouvaient. rangés tous ceux qui possédaient des terres, qui n'exerçaient aucun métier, et qui avaient droit de faire partie de la curie;. 3o les familles exerçant une industrie pour vivre, et unies entre elles par des corporations de divers métiers.

Les esclaves étaient de deux espèces, les uns attachés à un maître qui les nourrissait, les autres au fonds qu'ils exploitaient et dont ils retiraient les fruits moyennant une certaine redevance. Il y avait aussi des hommes libres qui tenaient et cultivaient des terres au même titre. Telles étaient les remarques principales que nous avions à faire sur la situation politique de la Gaule romaine. Nous aurons occasion d'y revenir dans la suite, et d'en faire sentir toute l'importance.

S II.

Des Francs avant la conquête. (4* siècle.)

L'état des Francs, dans la Germanie, présente, à côté de l'esquisse que nous venons de tracer, un contraste frappant. On voit, d'une part, toutes les conséquences d'une civilisation avancée; la nature s'offre de l'autre dans toute son aspérité native. Ici règnent les lois, les institutions et les arts avec l'asservissement; là, quelques usages confus, des mœurs féroces et des armes avec la liberté,

Les Francs étaient des Germains. Les traits sous lesquels les Anciens ont peint ces derniers, doivent donc servir à peindre les Francs eux-mêmes.

Comprenons sous cette dénomin ation plusieurspeuplades unies entre elles par la tradition d'une origine commune, et éprouvant continuellement le besoin de réunir leurs forces, soit pour l'attaque, soit pour la défense. Il ne paraît pas, au

TOME I.

reste, qu'il y eût entre ces peuplades aucune espèce de pacte fédéral formellement exprimé; mais c'était dans la nation un usage qui remontait sans doute à la réunion des premières familles, que celui de ces assemblées annuelles où la nation délibérait sur les affaires publiques d'un intérêt général, assemblées fameuses qui forment le premier point de l'histoire de nos libertés.

C'est donc une chose assez remarquable que les deux élémens principaux qui composent l'édifice des libertés nationales se découvrent, l'un (les communes) dans les institutions romaines, et l'autre (les corps représentatifs) dans les établissemens germaniques.

Les Francs n'estimaient que la valeur, et leurs lois ne punissaient que la lâcheté. Ils avaient des chefs de guerre dont la principale prérogative était d'avoir la part la plus forte des butins faits sur l'ennemi. Apprendre à agiter la francisque avec dextérité était toute l'éducation de la jeunesse. La force était la loi. Une pareille société ne pouvait subsister qu'autant que ses membres les plus turbulens seraient constamment en guerre. Aussi, depuis l'époque où ils parurent sur les frontières septentrionales de l'empire, jusqu'à celle où ils envahirent la Gaule, chaque année fut marquée par de nouvelles agressions et par de nouveaux pillages.

D'autres observations sur le caractère et l'état primitif de cette nation sont nécessaires; mais elles trouveront mieux leur place dans les pages suivantes, où elles serviront de base à des développemens d'un haut intérêt.

S III.

Conquête de la Gaule par les Francs. (5o, 6o, et 7e siècles.)

C'est ici surtout qu'il faut se défendre de l'esprit de systême, et par conséquent ne pas imiter la plupart des écrivains qui ont cherché à reconnaître la situation politique du pays, vers les premiers temps de la conquête. Presque tous, en effet, abusant étrangement de quelques passages, ont établi des hypo

thèses plus ou moins spécieuses, mais où se trouvent quelques vérités, au milieu d'assertions manifestement erronnées. D'après celui-ci, par exemple, les conquérans s'asseyent paisiblement au rang des vaincus, et baissent leurs glaives devant tous leurs établissemens (1). Un autre veut au contraire que les Barbares aient chargé de chaînes tout ce qui portait le nom de Gaulois (2). On peut reprocher sans doute au plus illustre de tous, à l'un des grands génies dont la France s'honore, d'avoir trop exclusivement cherché l'origine de tout, dans les forêts mêmes de la Germanie (3).

Evitons de voir cette partie de notre històire sous un point de vue systématique, et empruntons à chaque hypothèse ce qu'elle peut avoir de fondé; il est probable que nous nous raprocherons ainsi de la vérité sur des points encore fort obscurs, après de longues discussions.

Il y a une remarque essentielle à faire; on n'a pas assez réfléchi, ce me semble, en s'occupant de l'époque où les Francs triomphèrent de la puissance romaine, que ces peuples devaient avoir subi de fortes altérations depuis un siècle. Il faut se rappeler, en effet, qu'ils avaient souvent possédé, pendant plusieurs années, quelques lambeaux des provinces septentrionales; que leurs courses continuelles dans les autres parties du territoire les mettaient en communication directe avec les Romains; que les captifs qu'ils ramenaient esclaves dans leur séjour ordinaire, devaient nécessairement avoir répandu parmi eux quelques lumières sur l'état politique de la Gaule; on ne doit donc pas les regarder tout-à-fait, à cette époque, comme des barbares déterminés à exterminer indistinctement et absolument tout ce qui n'était pas sorti de leur sauvage berceau.

Les lois qui régirent ces premiers temps, prouvent que partout où l'on se soumit, les propriétés et les institutions locales

(1) L'abbé Dubos.

(2) Le comte de Boulainvilliers.

(3) Le président de Montesquieu.

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