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dans sa bouche cet aveu que rien ne l'obligeoit de publier, s'il n'étoit parti du cœur : Le bonheur d'être chrétien et catholique ne peut être comparé à aucun autre bien (Tom. II, pag. 168). Ce sont ces profonds sentimens qui ont inspiré la méditation que M. de Vauvenargues a composée sur la foi, et la prière éloquente qui la suit. Ces deux morceaux portent l'empreinte de la sincérité et de la conviction, et j'ose dire le ton qui y règne est aussi éloigné de l'hypocrisie que le cœur qui les a dictés.

que

Mais je demanderai maintenant à M. Suard de quel droit il se permet de calomnier un écrivain qui s'explique avec cette noblesse et cette ouverture, de quel front il ose le peindre comme un incrédule et un homme sans pudeur? Il l'accuse, et il l'accuse sur la foi d'une anecdote, d'avoir outragé le pasteur vénérable qui venoit le consoler au lit de la mort! On me l'a conté, nous dit-il. Misérable excuse! Pourquoi veut-il ajouter plus de confiance à ces bruits injurieux qu'aux écrits de M. de Vauvenargues qui les démentent, et à son caractère honorable qui devoit les réduire au silence? Cette calomnie est absurde et mal tissue, je l'avoue; mais l'esprit qu'elle décèle remplit l'ame d'une indignation profonde. Quoi! un homme d'honneur, après une vie irréprochable, ne pourra descendre en paix au tombeau; il ne pourra s'assurer que ses écrits porteront à ses descendans un témoignage irrécusable de son intégrité ! Il faudra qu'il craigne que des philosophes ne les dénaturent, ne les falsifient, et ne spéculent sur son déshonneur! Et vous croyez, philosophes, faire long-temps ce métier impunément! Vous vous flattez de troubler encore la cendre des morts, sans que personne élève la voix pour les défendre! Non, il n'en sera point ainsi; le public apprendra quel degré de

confiance méritent votre édition, et vos notes, et vos récits, et vos imputations flétrissantes. Il saura que parmi les pièces dont vous prétendez avoir complété les Euvres de M. de Vauvenargues, il en est de si honteuses (telle que la prétendue imitation de Pascal), qu'on ne peut les lui attribuer sans impudence, et que, dans tous les cas, un éditeur est inexcusable de tirer de l'oubli des productions qui ne peuvent que déshonorer celui qui les répand, et exciter le dégoût du public.

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XII.

Les Philosophes du dix - huitième siècle. Tous les siècles ont eu des philosophes, c'est-à-dire des hommes qui faisoient profession d'étudier la vérité, les principes des choses, les fondemens des connoissances humaines, les règles des moeurs, les secrets de la politique et de la nature. Ainsi, Socrate, Platon, Aristote, Cicéron, Bacon, Pascal, Descartes, Mallebranche, Montesquieu étoient des philosophes. On sait bien aussi que l'histoire des hommes nous présente des Diagoras, des Epicure, des Vanini, des Spinosa, comme l'histoire des animaux en offre, par intervalles, d'une conformation bizarre qui est hors des lois ordinaires de la belle nature; mais avant le dix-huitième siècle on n'avoit pas čru que, pour mériter le nom de philosophe, il fallût absolument abjurer ces principes regardés chez tous les peuples comme la base nécessaire de toute religion, de toute morale et de toute société. Il se forma une secte audacieuse qui conspira contre tout ce qu'il y avoit de

plus sacré sur la terre, réclamant la tolérance pour arriver à la domination, déclamant contre les préjugés pour abolir tous les principes, criant contre le despotisme pour nous donner l'anarchie, et faisant profession d'humanité pour se dispenser d'aimer les hommes; les maîtres et les disciples s'arrogèrent exclusivement le titre de philosophes, et cette dénomination, quoique usurpée, leur reste encore. A les en croire, l'ère véritable de l'esprit humain ne devoit dater que de l'époque où ils avoient paru au monde ; avec eux s'étoit enfin levé sur les nations le soleil de la vérité et que venoient-ils donc apprendre à la terre? Les uns élevèrent la voix avec l'éclat de la trompette pour proclamer le DieuNature, c'est-à-dire, pour apprendre aux hommes à se passer de Dieu; ce sont les athées. Les autres (si toutefois on ne doit pas les confondre avec les premiers) épuisèrent tout ce qu'ils avoient d'esprit pour apprendre enfin à l'homme qu'il n'est qu'une bête, et qu'entre un chien et son maître il n'est de différence que l'habit : ce sont les matérialistes. Il en est qui, sans méconnoître la Divinité, en firent une espèce d'idole réléguée je ne sais où, ayant des yeux pour ne pas voir, et des oreilles pour ne point entendre; ce sont les théistes. Il en est enfin qui, rougissant de ces excès, mais qui, portant dans l'histoire un pyrronisme avec lequel on ne croit que ce que l'on voit de ses yeux, méconnurent la vérité des faits évangéliques mieux attestés pourtant que ceux de Socrate dont personne ne doute, et osèrent attaquer ouvertement une religion salutaire qui porte sur ces faits comme sur sa pierre fondamentale; ce sont les déistes. On sent bien qu'il ne falloit pas demander à ces diverses écoles d'incrédules un systême de doctrine bien lié, ni des règles bien fixes de conduite; aussi, on y voyoit de ces scep

tiques qui semblent ne rien croire; de ces indifférens qui croient tout ce que l'on veut; de ces tolérans par excellence, qui, au besoin, seroient chrétiens à Paris avec la même facilité qu'ils seroient idolâtres à Pékin.

Une fois que la digue des premières vérités fut rompue, les opinions funestes se répandirent au loin de toutes parts; les erreurs se tiennent comme les vérités. L'athée conséquent enseigna que tout est soumis à l'aveugle nécessité, tout, et par conséquent le bras de l'homicide qui tue son semblable, comme la dent du tigre qui déchire sa proie. La morale devint arbitraire; bientôt le vice fut dans les organes, le libertinage une affaire de tempérament; et pour l'égoïste systématique, la probité, quand elle ne s'accorde pas avec l'intérêt, dut paroître la vertu des dupes.

On ne sut plus où s'arrêter dans la carrière du mensonge: enflammé par la licence même qu'il se donnoit sur les lois fondamentales, l'esprit s'irrita contre les lois humaines; dès-lors toutes les institutions anciennes furent méprisées comme gothiques: or, l'infaillible moyen d'arriver à ce qui ne doit pas être, c'est de mépriser tout ce qui est. Toutes les notions furent changées, tous les sentimens altérés, et la révolution des idées prépara celle des choses. On disoit : L'autorité n'a que des devoirs, le peuple n'a que des droits, et avec cette fleur de réthorique on préparoit une autorité sans force et un peuple sans frein.

« Une secte» comme l'a observé depuis long-temps un homme célèbre, « ne fera pas de progrès durables » sans l'un des deux moyens suivans: l'un, c'est d'at» taquer l'autorité établie, entreprise qui séduit et » flatte la multitude; l'autre, c'est de favoriser la li»cence des mœurs et la volupté. » Mais aussi, quand

une secte remuante tout-à-la-fois et voluptueuse prêche. l'indépendance et le plaisir, elle est armée des deux plus redoutables moyens d'agiter et d'entraîner les peuples; elle a pour auxiliaires secrets toutes les passions impatientes de recevoir le signal qui doit les livrer à leur impétuosité naturelle: son pouvoir est immense, et je ne m'étonne pas qu'elle devienne capable de bouleverser le monde.

Le temps arriva parmi nous où l'on dit hautement que tout devoit être neuf, jusqu'à la pensée; qu'il falloit donner une nouvelle édition de l'esprit humain. Elle parut cette édition, et malheureusement ce n'est pas avec de l'encre qu'elle fut écrite....

Mais peut-être trouvera-t-on que j'ai dessiné ce tableau avec les couleurs exagérées de la prévention. Eh bien! dans une matière si grave, ne disons rien de nous-mêmes, j'y consens; aussi-bien les faits et les témoignages ne nous manqueront pas. Je citerai d'abord aux disciples des philosophes une autorité imposante pour eux, et qu'ils ont respectée jusqu'à présent avec une sorte de religion; l'autorité d'un philosophe du dix-huitième siècle, le plus éloquent peut-être qui ait existé comme philosophe; d'un homme qui fut longtemps lié lui-même avec les encyclopédistes, et ne se sépara d'eux qu'après qu'il eut connu toute l'étendue de leurs complots et de leurs sinistres projets. Voici donc sous quels traits J. J. Rousseau peint les effets de la philosophie moderne, et prédit en même temps que les peuples seront ramenés par le malheur même à des idées plus saines; vous croiriez que c'est un contemporain qui va vous parler.

«Des hommes, dit-il, nourris dans une intolérante » impiété, poussée jusqu'au fanatisme dans un liber» tinage sans crainte et sans honte; une jeunesse sans VIII. Année.

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