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Villoison, Larcher, Sacy,
Sainte-Croix et Visconti
Lorgnant l'auguste machine,
Considérant en tout sens
Ce phénix des monumens
Qui devoit de six mille ans
Reculer notre origine;
Voire mais, plus j'examine,
Dit le dernier en riant,
Plus j'admire de nos sages
Grands et doctes personnages
Le coup-d'œil vif et perçant ;
Car de leur compte vraiment,
A cela près très-fidèle,
Il ne s'agit que d'ôter
(Pour justement supputer)
Dix mille ans ; c'est bagatelle!

De

gens de bien, pour si peu,
Convient-il que l'on se raille?
Quand est de cette antiquaille,
Il ne faut qu'on se travaille,
Et voici le droit du jeu :
Sous le dernier Ptolémée
Un quidam de Dendéra
Au temps jadis fabriqua
Cette machine enfumée.
Les quatre autres à l'instant
D'accord en disent autant.
A cette subite attaque
Tous messieurs du Zodiaque
Etant pris au dépourvu,
Si mon garant en est cru,
En maugréant reconnurent
L'anachronisme léger
Et facile à corriger ;

Mais sur-le-champ i's conclurent

Que si désormais chez eux

Par un cas malencontreux
Ces critiques rigoristes,
Antiquaires, hellénistes,

Osoient bien se présenter
Pour brouiller, déconcerter
Par des remarques gothiques
Leurs comptes philosophiques,
En ce cas, sans hésiter,
Quatre vigoureux confrères,
A tel emploi destinės,
Par une sage méthode
A cette engeance incommode
Fermeroient la porte au nez.
Par quoi, ne leur en déplaise
Nos beaux-esprits, ce dit-on,
Humblement à la Genèse

Vont faire, en brûlant leur thèse,
Ample réparation;

Et puisque sans équivoque
Le vrai savoir, qui se moque,
De leur babil peu chrétien,
Traite de sot entretien
Leurs rêves préadamites,
Et dérange en moins de rien
Leurs calculs hétéroclites,
Comme nous il faudra bien

Qu'ils soient bons Israélites.

Jérôme PADILLE H. C.

IX.

Euvres complétes de M. de Vauvenargues: nouvelle édition, précédée d'une Notice sur la vie et les écrits de Vauvenargues; par M. Suard.

....Si l'on vouloit prendre au sérieux certaines concessions que nous fait M. Suard, les disputes littéraires seroient bientôt pacifiées, et tous les esprits ralliés sous l'étendard d'un même principe. Il suffiroit de lire deux

ou trois phrases de sa Notice, dans lesquelles il nous assure positivement, que les écrivains du siècle de Louis XIV n'ont point été égalés; que le siècle suivant n'a pu leur donner de rivaux, et qu'ils ont laissé loin derrière eux ceux qui ont tenté de suivre. leurs traces (pag. 1 et 2); il suffiroit, dis-je, de voir un seul de ces aveux, pour reconnoître que M. Suard nous accorde tout ce que nous pouvions demander: car, pour peu qu'on sache lier un raisonnement, on entend bien que si les auteurs du siècle de Louis-le-Grand n'ont point été égalés, c'est qu'ils sont incontestablement supérieurs à ceux qui ont eu la prétention de les devancer, sans avoir la force de les atteindre; et s'ils sont supérieurs, il s'ensuit, avec la même force de conséquence, qu'on doit les imiter, qu'on doit se former par l'étude de leurs ouvrages dans la manière de leur école, et que la jeunesse ne doit prendre ni ses principes ni ses modèles chez les écrivains de l'âge suivant, qui sont demeurés loin derrière eux. Voilà ce que dit M. Suard. Et que disons-nous autre chose tous les jours? N'est-ce pas là l'idée que nous retournons sans cesse en mille manières pour la faire entrer dans les esprits les plus durs et les plus mal organisés? N'est-ce pas, en un mot, le point fondamental sur lequel s'appuie toute notre critique? Nous ne devrions donc avoir qu'une même doctrine. Mais M. Suard possède au plus haut degré le talent de se contredire. Après s'être accordé avec nous sur le principe, il s'en sépare brusquement dès les premières conséquences; et presque dans la même page où il reconnoît que le dix-septième siècle n'a point été égale, il veut que le dix-huitième l'emporte par le perfectionnement du goût et les créations du génie (pag. 3). Qui ne riroit de cette logique ? Prétendre que le siècle de Fontenelle et de Voltaire

ait eu plus de goût que celui de Racine et de Boileau, c'est ce qui est ridicule en bonne littérature; mais ce qui est contradictoire, ce qui révolte le sens commun, c'est de vouloir qu'on ait surpassé ceux qu'on déclare n'avoir point été égalės; c'est d'affirmer tout-à-la-fois, dans la même phrase, que le dix-huitième siècle est resté loin de ses modèles, et qu'il n'a rien à leur envier (pag. I et 2). C'est pourtant là ce que M. Suard appelle une vérité incontestable qu'on ne peut méconnoître que par les plus vils motifs et par un esprit de parti (pag. 3)!

Des contradictions si fortes et si rapprochées paroissent incroyables; mais ce n'est qu'un jeu pour l'auteur de la Notice, et la fécondité avec laquelle il les prodigue fait bien voir qu'elles ne lui coûtent rien. Il nous apprend, d'abord, que M. de Vauvenargues avoit reçu de la nature le sérieux qui accompagne l'habitude de la réflexion (pag. 5). Ensuite nous trouvons que le même Vauvenargues n'avoit point contracté dans l'habitude des idées sérieuses cette austérité qui accompagne d'ordinaire les vertus de la jeunesse. La raison que l'auteur nous en donne est vraiment curieuse, et je prie le lecteur d'y faire attention.

« Car, dit-il, les vertus de la jeunesse sont plus >> communément le fruit de l'éducation que de l'expé»rience et l'éducation apprend bien aux jeunes gens » combien la vertu est nécessaire; mais l'expérience » seule peut leur apprendre combien elle est difficile. » (pag. 8)

Quel sens peut-on découvrir dans cette distinction frivole? L'éducation n'est-elle pas une expérience, et une expérience très-pénible? Si vous distinguez l'une de l'autre, et si vous prétendez que l'éducation se borne à montrer aux jeunes gens combien la vertu est néces

saire, sans leur apprendre combien elle est difficile, comment pouvez-vous dire que l'austérité accompagne d'ordinaire les vertus de la jeunesse? Quoi! peut-on avoir de l'austérité, sans sentir que la vertu est difficile ? Et peut-on sentir que la vertu est difficile, sans avoir de l'expérience? Sera-ce un privilége de la jeunesse de devenir austère sans combat? Et parce que cette vertu sera le fruit de l'éducation, s'ensuivra-t-il qu'elle soit acquise sans expérience et sans peine? Comment peut-on assembler, dans un même raisonnement, tant d'idées incohérentes et disparates? J'avoue que je ne l'entends point; mais, en vérité, l'auteur est bien fin s'il s'entend lui-même.

A travers toutes ces inconséquences, le caractère de M. de Vauvenargues est si singulièrement peint, qu'on le voit tantôt comme un sévère contemplatif, tantôt comme un homme très-éloigné de la gravité. Je me soucie peu de savoir s'il étoit sérieux; mais il est sûr que M. Suard est un plaisant logicien. Il vise souvent à la finesse et à la profondeur. Je n'oserois dire jusqu'où va sa méprise relativement à la première; mais pour ce qui est de la profondeur, toutes les fois qu'il la cherche, il tombe dans un vide d'idées absolu, ou dans une affectation pleine d'emphase. Il nous dit, par exemple: «Vauvenargues joignoit à une ame élevée »et sensible le sentiment de la gloire et le besoin de » s'en rendre digne. » C'est au fond comme s'il eût dit : Vauvenargues joignoit à une ame élevée et sensible une ame sensible et élevée. La différence des mots n'ajoute pas une idée de plus. Il dit un peu plus loin : « C'est » près de lui qu'on eût pu concevoir cette pensée : Les » premiers jours du printemps ont moins de grâces les vertus naissantes d'un jeune homme. » Ne sembleroit-il pas que cette pensée étoit bien difficile à

que

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