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Le poète anglais a peint, dans Macbeth, la puissance des remords sur une ame honnête, mais foible, entraînée dans le crime par une ambition fatale. L'idée est grande et belle. Macbeth est un caractère éminemment tragique : Ducis n'en a conservé qu'une esquisse informe. Frédégonde, femme de Macbeth, est une véritable mégère, plus odieuse encore que théâtrale. Pour tracer ce portrait, il falloit le pinceau de Corneille. L'auteur de Rodogune se seroit bien gardé de dégrader sa Cléopâtre par une misérable parade. De son temps, les bons esprits et les honnêtes gens auroient ri de voir une reine arriver sur la scène les yeux fermés, avec un flambeau et un poignard, et faire un long discours en rêvant : cette invention est ou ridicule ou tragique, il n'y a pas de milieu. Le peuple, ami du merveilleux, et qui rarement envisage du côté plaisant ce qui est extraordinaire, a montré par son silence qu'il prenoit la chose au tragique. Pour moi, je ne puis voir qu'une horrible farce dans une princesse somnambule, qui va poignarder, en dormant, son propre fils, croyant assassiner le fils du roi d'Écosse. Cela n'est pas même dans la nature : une femme qui médite un aussi grand crime est toujours bien éveillée. G.

Les Femmes Savantes.

QUELQUES années avant la révolution, cette pièce étoit

totalement abandonnée. Toutes les femmes qui aspiroient au bel esprit, toutes les dévotes à Voltaire et à l'Académie, avoient proscrit cet ouvrage comme injurieux aux lumières du siècle, et particulièrement aux talens du sexe. Quand Molière n'auroit pas été comédien, cette seule comédie des Femmes Savantes auroit suffi pour l'exclure à jamais de la société des quarante

immortels, à moins, comme dit le Misantrope, qu'il ne vînt un ordre exprès du roi de recevoir dans un corps de gens de lettres un des hommes qui faisoient le plus d'honneur à la littérature. Boileau, le législateur du goût, l'oracle du Parnasse, n'eût de même jamais été académicien, sans l'intervention de l'autorité suprême l'académie étoit alors pleine des auteurs dont il s'étoit moqué. C'est une triste vérité, que les petitesses de l'amour-propre, les passions basses et vulgaires dominent avec plus d'empire dans les compagnies où l'on ambitionne spécialement la gloire de bien penser tant l'esprit est différent du cœur, tant il y a de l'homme dans ceux qui, par état, devroient s'élever au-dessus de l'humanité!

Quoiqu'on reconnoisse dans les Femmes Savantes toute la vigueur du génie de Molière, elles ne furent cependant regardées par les fanatiques du progrès des lumières, que comme une production scandaleuse, capable d'arrêter l'essor des esprits; attentatoire nonseulement au mérite des femmes, mais à la dignité des auteurs et des savans, lesquels sont traités, dans cette damnable comédie, de gredins inutiles à l'Etat. Quel outrage! Quel blasphême! Et comme il doit faire frémir ceux qui pensent qu'il n'y a rien de si important, rien de si nécessaire à l'Etat qu'un auteur, et que c'est la quantité des auteurs qui fait la prospérité des Empires! Molière pensoit bien autrement, et je suis de l'avis de Molière. Il n'y a que les talens supérieurs qui honorent une nation; la foule des auteurs médiocres appauvrit la littérature au lieu de l'enrichir. Arracher cette ivraie qui étouffe le bon grain, arrêter cette fécondité malheureuse qui produit la disette, c'est rendre aux lettres et à l'Etat un signalé service. Aujourd'hui la plus grande calamité des arts agréables, c'est que tout le

monde s'en mêle, tout le monde veut faire et prétend juger ce que les autres font, tout le monde a assez d'esprit pour faire de méchans vers et de méchante prose.

Les ennemis naturels des bons écrivains, ce ne sont pas les critiques, ce sont les petits auteurs, les petits écrivassiers, qui conspirent pour exterminer tout ce qui vaut mieux qu'eux, qui se remuent, qui intriguent pour enlever les récompenses dues au vrai mérite : les sauterelles de l'Égypte ne faisoient pas plus de dégât que cette nuée d'insectes littéraires. Quel fléau pour une nation que ce nombre prodigieux d'étourdis sans cesse occupés à tourner en vers ou en prose des quolibets, des jeux de mots et des balivernes, à mettre des platitudes et des absurdités en dialogue ! Et l'on est trop heureux quand ils s'en tiennent là, quand ils ne s'érigent pas en politiques, en théologiens, en moralistes; quand ils n'épuisent pas leur éloquence de tréteaux à brouiller, à bouleverser, à corrompre ; quand ils ne se liguent pas pour égarer les esprits, pour soulever les passions.

Un gros livre, dit le proverbe, est un grand mal : la multitude des faiseurs de livres est cent fois pire encore., Rien n'est plus propre à détruire le goût dans tous les genres; rien ne hâte plus la barbarie : voilà pourquoi ces barbouilleurs crient sans cesse contre la saine critique, qui fait la guerre à leur espèce, et empêche qu'elle ne se multiplie au détriment de la société.

G.

FIN.

DE L'IMPRIMERIE DE P. GUEFFIER.

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