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qui les arrache aux arts utiles pour les jeter dans une profession de pur agrément où il faut payer de sa personne, où les défauts naturels sont pires que des vices, où ce n'est rien d'être exact, rangé, laborieux, honnête; où ce je ne sais quoi qu'on appelle talent est tout, tient lieu de tout, et passe avant toutes les qualités sociales. Quand on vous parle d'un mauvais comédien, c'est toujours de ses vertus qu'on commence à vous entretenir, parce qu'on n'a rien de mieux à dire de lui. Les mauvais comédiens sont presque toujours les meilleures gens du monde, et les mieux pourvus de toutes les qualités, hors celles qu'on exige dans leur état; ce qui me rappelle un provincial qui faisoit les honneurs du théâtre de sa petite ville à un ami nouvellement arrivé. A chaque acteur qui paroissoit sur la scène, le provincial s'écrioit : « Voyez-vous cet » homme-là? c'est le meilleur cœur du monde, c'est » lui qui soutient toute sa famille : ah, c'est un bien » honnête homme! c'est ce qu'on appelle un brave » homme ! Je veux le croire, répondoit l'ami, mais » c'est un détestable comédien. » Enfin il en vint un qui n'avoit point encore paru, et qui étoit pire que tous les autres. L'ami, après lui avoir entendu débiter quelques phrases, se tourna vers le provincial qui, peutêtre par pudeur, gardoit alors le silence : « Ma foi, lui » dit-il, voilà le plus brave homme de tous. »

C'est toujours un état fâcheux que celui où il ne dépend pas de soi d'être bon et considéré, où l'on exige comme vertu première ce charme secret, ce don de plaire, cette grâce dont la nature est si avare, et que l'on ne peut donner.

Lorsque le célèbre le Kain alla demander à Voltaire sa protection pour être admis à débuter au Théâtre

Français, le poète, qui avoit déjà des preuves du talent de ce jeune homme, n'en fit pas moins tous ses efforts pour le détourner de son dessein; il employa tout ce qu'il avoit de chaleur et d'éloquence à lui représenter les désagrémens et les dangers de la profession qu'il vouloit embrasser. Le Kain demeura inflexible; la voix de son talent fut plus forte que celle de Voltaire: mais dans un siècle il y a tout au plus un le Kain.

Que doivent dire, que doivent faire les parens et les amis d'un jeune homme qui se destine au théâtre, quand ils voient un Voltaire repousser de cette carrière un le Kain? Qui fut jamais plus ardent, plus passionné pour la scène tragique que Voltaire? Il conserva jusqu'à l'extrême vieillesse cette manie théâtrale. Il avoit la prétention de faire pleurer les Suisses par son grand pathétique, quand il faisoit rire les gens de goût par l'exagération de son jeu. Mais en donnant des conseils à le Kain, il ne consultoit pas sa passion ; il lui parloit en homme d'esprit, de sens et d'expérience, qui sait combien il est différent de jouer la comédie dans son propre château ou sur un théâtre public, devant des spectateurs français qui ont payé à la porte, ou devant de bons Suisses que l'on régale du spectacle après leur avoir donné à diner, et qui sont obligés en conscience de payer leur écot à l'hôte tragédien, en larmes de veuve ou d'héritier. G.

PAUL ET VIRGINIE. Des Pantomimes.

ON
On ne doit pas être surpris de la fureur des Romains

N

pour les pantomimes, si ce genre de spectacles muets étoit aussi perfectionné sur leur théâtre qu'il l'est sur celui de l'Opéra. Ce n'est guère que vers la décadence de la poésie et de l'éloquence, que l'on s'attache à cultiver l'art de parler aux yeux: ce ne fut point lorsque les Sophocle et les Euripide charmoient les Grecs par leur style enchanteur, qu'on s'avisa de substituer à de beaux vers des gestes, des mouvemens du visage et du corps.

Dans l'enfance du monde la pantomime fut un supplément nécessaire du discours chez des sauvages qui n'avoient encore pu se former une langue: chez les peuples polis, cette même pantomime tient lieu du langage poétique affoibli et dégénéré. Le peu qu'on entend des paroles de nos poëmes lyriques a si peu de grâce et d'élégance, qu'un opéra ne perd pas beaucoup quand il est réduit à n'avoir d'autre expression que celle du geste. Que manque-t-il au ballet de Paul et Virginie pour être une véritable composition dramatique et poétique ? Les tableaux, les sentimens, les situations s'y trouvent comme dans un poëme : la seule différence, c'est que les personnages ont une langue particulière plus expressive, plus variée, plus riche que nos idiomes; une langue dont tous les mots sont des images, dont toutes les phrases sont des sentimens; inhabile à rendre les idées métaphysiques et les abstractions de l'esprit, mais fidèle interprète de tous les mouvemens du cœur et des sens.

On nous raconte que chez les Mexicains la manière de s'exprimer dans les lettres consistoit à peindre les objets dont on vouloit rendre compte. Quel style, à moins que ce ne fût celui de M. de Saint-Pierre luimême, pourroit nous donner une aussi juste idée des mœurs, de l'innocence de Paul et de Virginie, que la vue même de leur genre de vie, de leurs amusemens, de leurs bonnes actions? Que gagneroit le spectateur s'il entendoit les jeunes amans débiter des niaiseries, crier un ennuyeux récitatif, et chanter péniblement de mauvaises paroles? La pantomime, pour être muette, n'en est pas moins accompagnée d'une musique charmante : les violons et autres instrumens parlent bien, chantent encore mieux; leur voix n'est jamais ni gênée, ni forcée, ni fausse : ce qui n'arrive que trop souvent à celle des chanteurs et des cantatrices.

Dans combien de détails ne faut-il pas que s'engage M. Bernardin de Saint-Pierre! que de pages il a besoin d'écrire pour fonder l'intérêt qu'il veut inspirer en faveur de Virginie! Et pour intéresser vivement, madame Gardel n'a qu'à paroître : elle en dit plus pour Virginie que l'écrivain le plus éloquent. C'est ici qu'on peut appliquer heureusement cet axiome de l'Art Poétique d'Horace :

Segnius irritant animos demissa per aurem

Quàm quæ sunt oculis subjecta fidelibus.

« L'objet soumis au témoignage fidèle des yeux émeut » plus fortement notre ame qu'un récit que l'oreille » seule lui transmet. >>

G.

De la Parodie.

La parodie est un des genres de comique le plus analogue à l'ancien esprit français : elle consiste à saisir le côté plaisant du pathétique et même du sublime. Il fut un temps où l'on rioit de tout en France, et même des choses les plus sérieuses. Les Français étoient alors regardés dans l'Europe comme des enfans ; et l'on sait que le caractère de l'enfance est de rire et de s'amuser de tout. Les Français, depuis ce temps-là, sont devenus grands, et se sont montrés. des hommes ; ils ont pris un tour d'esprit plus grave, tout he finit plus chez eux par des chansons; sans avoir perdu leur enjouement, ils savent le modérer et ne rire qu'à propos.

La plus fameuse des parodies est celle de quelques scènes du Cid; et si jamais pièce de théâtre mérita, par sa célébrité, les honneurs de la parodie, c'étoit sans doute le premier chef-d'oeuvre de Corneille, objet d'un enthousiasme que ses autres tragédies, quoique plus parfaites, n'ont jamais excité au même degré. La parodie est une espèce de persécution, et produit le même effet, celui d'ajouter à la renommée de l'ouvrage parodié.

On croit que Racine et Boileau eurent part à cette parodie du Cid; mais elle fut l'ouvrage de quelques seigneurs de la cour, et naquit au sein d'une orgie. Les courtisans avoient alors le tact du ridicule, et par conséquent un talent naturel pour la parodie, ce qui n'empêchoit pas qu'ils ne fussent ridicules eux-mêmes.

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