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nouvelles de ses arbres, celui-ci lui répondit: Monseigneur, si je plantois des saint Augustin et des saint Jérôme, vous viendriez les voir; mais pour vos arbres vous ne vous en mettez guère en peine. Cet homme vouloit faire une réponse agréable à son maître; et il jugeoit, suivant l'esprit de son siècle, qu'un évêque a autre chose à faire que de planter des ormes.

Il en étoit de même dans chacun des états élevés de la société. Depuis long-temps la civilisation de l'Europe étoit parvenue à ce point où l'administration des finances d'un royaume comme la France, la distribution de la justice, la police intérieure, les relations à entretenir avec les puissances voisines, la formation, la conduite et l'approvisionnement des armées, exigeoient, aussi bien que le soin de l'instruction publique et de la conservation de la doctrine, des hommes qui fissent de ces grandes choses leur noble et unique occupation. La France, et avec elle l'Europe, périssoient, si le charme du doux loisir et de la paresse philosophique l'eût emporté sur l'amour du devoir dans ceux que la naissance et la fortune appeloient aux fonctions publiques.

D'un autre côté, le peuple des campagnes étoit devenu plus industrieux et un peu plus policé : comme celui des villes, il connoissoit et désiroit chaque jour davantage les commodités de la vie ; l'état de domesticité lui étoit pénible. Pour en sortir, les plus entreprenans cherchoient à traiter, avec les possesseurs des grands domaines, de la jouissance de leurs terres, moyennant des redevances une fois déterminées, ou qui se régloient à des intervalles réglés: par ce moyen, la même terre étoit devenue presque par-tout la propriété indépendante de deux familles, au lieu d'une. Les uns, débarrassés du soin de labourer leurs champs et de nourrir leurs bestiaux, avoient le temps de s'occuper de travaux

plus réleves; les autres exerçoient leur industrie grossière à la tête de leur famille, qui ne dépendoit plus d'un maître avec lequel ils avoient traité, soit pour toujours, soit pour plusieurs années, sous la garantie réciproque des lois.

Il est difficile, ce me semble, de ne point reconnoître dans cet accord et cette combinaison des intérêts des deux classes les plus importantes de la société, un perfectionnement du systême social. L'influence de la mode et de circonstances plus graves qui ont entraîné de nos jours un si grand nombre de propriétaires citadins à faire valoir leurs terres eux-mêmes, nous auroit donc encore égaré en ceci? Je suis porté à le croire; toutefois je soumets avec grande confiance mon opinion sur ces matières, à l'examen et au jugement de M. de Laborde: personne n'a mieux observé et n'a décrit avec plus de finesse et de charme la vie de la campagne et son influence sur les hommes de tous les rangs, aux diverses époques de notre histoire; personne aussi n'est plus que lui au-dessus des illusions qu'il est trop ordinaire de se faire en rêvant aux douceurs de la vie champêtre. Le morceau extrait de son ouvrage, par lequel je vais terminer cet article, prouvera mieux que tout ce que j'ajouterois de moi-même, qu'il possède à un égal degré le talent de bien penser et celui de bien écrire :

« Il est triste de le dire, mais c'est à l'homme des » villes principalement qu'appartient le bonheur de la » campagne, lorsqu'il peut l'habiter sans regretter le >> monde : c'est lui seul qui a la faculté d'apprécier tous » les biens qu'elle offre, et le temps de rester pour en » jouir. Les conditions humaines ressemblent à ce tes»tament des fables de la Fontaine, qui ne devoit con» tenter les légataires que lorsque chacun d'eux se seroit » défait du lot qu'il avoit reçu en partage. Les paysans,

» esclaves des élémens, victimes des beautés que nous » admirons le plus dans la nature, ne jugent des idées que nous y attachons que par les peines qu'ils en res» sentent; le soleil levant est pour eux le signal des tra»vaux pénibles de la journée, l'orage qui embellit

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l'horizon leur annonce la grêle qui menace leur recolte; ils considèrent un beau lieu du même œil que » les habitans actuels de l'Egypte regardent les palais » des rois de Thèbes, sur les sommets desquels ils ont » bâti leurs misérables cabanes. Plus un pays est ci» vilisé, plus les paysans semblent s'eloigner des idées » que la campagne inspire. Le nègre, riche de son » imprévoyance; le turc, de son apathie; le paysan » espagnol, de sa frugalité, vivant tous sous un beau » climat, ont un instinct plus naturel de la vie contem» plative qu'aucun peuple de l'Europe; le premier se » laisse aller doucement au courant du fleuve, dans son >> canot d'écorce; l'autre fume sa pipe assis sous un pla» tane, sur les rives du Bosphore; le troisième chante, » la nuit, sur sa guitare, au milieu des ruines de Gre»nade, tandis que nos plus riches fermiers de la Brie ou » de la Normandie travaillent sans relâche toute la se» maine pour jouer aux quilles le dimanche et boire » du vin aigre au cabaret. L'habitant des environs de » Paris est encore moins distingué que les autres à cet » égard. C'est une espèce de bourgeois qui réunit la » recherche des villes à la grossièreté des campagnes :

et

son costume est en cela comme son caractère. Il » existe cependant quelques exceptions à cette règle, et » on les rencontre parmi les paysans de l'Auvergne, » de la Bretagne, de quelques parties de la Picardie, » sur-tout chez les Béarnois, qui ne voudroient pas plus » quitter leurs barrettes que leurs montagnes, ni cesser » de parler du bon Henri. C'est au milieu de ces peuples

» que se sont conservées les vraies mœurs de la campa» gne, et que l'on pourroit trouver le sujet d'idylles > modernes, non moins touchantes, non moins naïves » que les anciennes : ces dialogues ne seroient ni fades » comme ceux de nos premiers bergers, ni pédans comme ceux des autres, mais un tableau simple et » vrai des habitudes champêtres.

"Il existe un pays où ces mœurs antiques se sont >> même conservées dans les autres classes de la société, » où l'on retrouve les affections sociales mêlées aux » grands spectacles de la nature et aux travaux simples. » de la vie champêtre : c'est l'Ecosse ; là on rencontre » des gentlemen famers, gentilshommes fermiers, » ou plutôt fermiers bourgeois, qui, ayant des baux » de dix-huit ans, font valoir une grande étendue de » terre, sont entourés de beaucoup de serviteurs et de » troupeaux, comme aux temps d'Homère et de Jacob. » Dans leur habitation séparée on trouve toute >> la propreté des gens du monde, jointe à l'abon> dance que procure une grande exploitation. Leurs » subalternes partagent leurs richesses, parce qu'elles » consistent dans l'abondance. Ils sont divisés par » cantons, dont tous les habitans portent le même » nom, ainsi qu'étoient les anciennes tribus : dans tel » district, tout le monde s'appelle Macdonald ; dans » tel autre, Gordon. Les paysans sont encore vêtus » des étoffes bariolées de leurs pères, de leur singulière » tuniqué, et chantent comme eux les poésies d'Os» sian. >>>

M. B.

VIII. Année.

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XLIV.

Répertoire du Théâtre-Français, ou Recueil des Tragédies et Comédies restées au Théâtre depuis Rotrou; pour faire suite aux éditions in-8°. de Corneille, Molière, Racine, Regnard, Crébillon, et au Théâtre de Voltaire; avec des Notices sur chaque auteur, et l'Examen de chaque pièce ; par M. Petitot.

VOICI une de ces entreprises littéraires dont l'importance et l'utilité frappent au premier coup d'œil, et sont reconnues par la réflexion. Quand ces sortes d'entreprises sont bien exécutées, elles deviennent pour leurs auteurs des titres à la reconnoissance du public presqu'aussi assurés que les meilleurs ouvrages d'invention; les ouvrages de ce dernier genre sont rares aujourd'hui, ceux du moins qui méritent qu'on les remarque. Il semble que la littérature soit frappée de stérilité; et l'abondance des mauvaises productions n'est propre qu'à faire mieux sentir notre épuisement et notre indigence. C'est peut-être aussi l'abondance des excellens ouvrages en tout genre, qui est une des causes de stérilité : nos devanciers ne nous ont rien laissé à faire, en nous laissant des modèles à étudier. Mais notre littérature est si riche, qu'elle a de quoi nous consoler dans les temps de disette. Ne pouvonsnous pas regarder aujourd'hui comme nouveaux un très-grand nombre d'ouvrages pleins de mérite, qui sont restés dans l'oubli? On se plaint tous les jours

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