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pations du campagnard : il est lui-même l'architecte et le directeur des travaux : rien ne s'exécute que sur ses plans; car il en est de toutes ces choses naturelles comme des billets doux de M. Jourdain : Cela se fait tout du premier coup, sans avoir étudié: il n'y faut que de l'esprit. Il n'est pas besoin non plus d'un long apprentissage et de grands efforts de génie pour faire des écuries qui ressemblent à des étables, et une maison d'habitation qu'on puisse prendre de loin pour une grange: rien de mieux que tout cela pour un particulier qui, n'ayant pas grande figure à faire, a peu d'argent à dépenser et beaucoup de temps à perdre.

Il n'en est pas de même de ceux que la fortune dispense de s'occuper des soins domestiques, en même temps qu'elle les charge d'assez de devoirs pour qu'ils n'aient pas besoin de se créer des travaux puérils. Le goût de ces bizarreries seroit sur-tout déplorable dans l'homme constitué en dignités, pour qui c'est un devoir de consacrer à la splendeur de l'Etat une partie des biens qu'il a reçus de lui, et de laisser à ses descendans l'exemple des nobles entreprises.

J'ai déjà eu occasion de remarquer (1) que le moindre défaut des jardins agrestes est qu'ils manquent de magnificence et de solidité.

L'idée de donner à des constructions nouvelles la forme d'édifices gothiques, me semble puérile; et je ne sais si le bon goût, toujours compagnon du bon sens, n'a pas encore plus à souffrir de l'assemblage de constructions nouvelles avec les restes d'anciens édifices. Les monumens des temps chevaleresques n'ont en euxmêmes rien de bon; le plaisir qu'on y trouve, résultat de choses ou plutôt d'idées accessoires, n'est point de nature à se perpétuer encore un coup, on ne refait (1) Voyez l'article 53 du tome VII de ce Recueil.

pas les ruines; la plus romantique perd tous ses charmes, sitôt que l'on apprend que c'est un ouvrage nouveau, qu'elle n'a point, comme nous le croyions d'abord, été témoin des faits du vieil âge, et vu s'écouler le temps qui a passé depuis. Que ceux qui ont encore de ces anciennes possessions de famille les gardent soigneusement elles deviendront chaque jour plus précieuses en devenant plus rares. Cependant imprimons aux édifices modernes le caractère des mœurs et des arts de nos jours; préparons, s'il se peut, de belles antiquités aux siècles à venir. Je ne suis ni pour les nouveaux jardins, ni pour les anciens châteaux ; simple spectateur des choses de ce monde, il me conviendroit que tous les parcs fussent plantés à la façon de Le Nôtre, toutes les maisons bâties suivant les principes de Vitruve. Cela coûte un peu plus cher sans avoir peut-être autant de petits agrémens; mais de quel droit ceux qui possèdent de grandes richesses se dispenseroient-ils de faire une grande figure? Ne, faut-il point que chaque état ait ses peines?

Ces raisonnemens pourront bien, je le sens, être de peu d'effet contre les grâces du discours et les images séduisantes d'un ouvrage dont je suis forcé de reconnoître moi-même le mérite. Le plus sûr seroit sans doute que M. de Laborde voulût consacrer à célébrer les beautés de l'art et du génie une partie du talent qu'il emploie à nous faire aimer les productions du caprice.

La France, après vingt ans de dévastation, est encore le pays du monde où l'on trouveroit le plus de beaux modèles à proposer aux riches propriétaires, aux chefs de familles puissantes; et le souvenir des nombreux chefs-d'oeuvre que nous avons perdus est assez récent pour qu'on pût facilement les reproduire

dans un ouvrage descriptif. Ce seroit le sujet de deux beaux volumes à joindre à ceux que M. de Laborde consacre aux jardins irréguliers, à la description des fabriques et des bâtimens d'habitation qui s'assortissent avec ce genre de plantations. M. B.

XLIII.

Suite du même Sujet.

La sculpture française eut, sans contredit, son plus grand éclat sous le règne de François I.; l'on peut aller jusqu'à dire que Jean Goujon n'a point de rival parmi les sculpteurs modernes. Je ne doute pas non plus que les fameux architectes français du seizième siècle ne fussent d'aussi beaux génies et des constructeurs aussi habiles au moins qu'aucun de leurs successeurs; mais ceux-ci eurent l'avantage d'appliquer leur talent à de bien plus grands ouvrages; et il leur étoit réservé de perfectionner une partie de l'art, qui ne pouvoit prendre un plein essor que dans un siècle de magnificence. Nul doute que le château et les jardins de Waux, premiers chefs-d'oeuvre de Mansard et de Le Nôtre, éclipsés depuis par les merveilles de Versailles, ne surpassassent en beauté tout ce qu'on connoissoit auparavant.

Le grand nombre d'édifices publics et particuliers élevés à cette même époque, fournirent à plusieurs architectes le moyen de se distinguer. Mais Le Nôtre est le seul qui se soit fait une grande réputation dans un art réservé pour l'usage personnel du souverain et d'un petit nombre de personnages éminens en dignités et puissans en richesses.

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Le jardin français, nous en sommes déjà convenus, est d'une magnificence au-dessus de l'état et de la fortune des simples particuliers: les vains efforts de ceuxfaire sur un terrain circonscrit, et avec peu de frais, ce qui exige toujours un espace et des dépenses immenses, produisirent en effet une multitude d'ouvrages ridicules. Pour avoir, pendant quelques heures une fontaine jaillissante, on élevoit l'eau d'un puits à bras d'hommes. Au lieu de statues de marbre et de bronze, on en avoit de plâtre et de terre cuite. Quelques bourgeois donnoient à ces dernières la figure d'un abbé, d'une bergère, d'un chasseur; et pour rendre l'illusion complète, ils les faisoient enluminer; ailleurs, le mauvais goût d'artistes subalternes auxquels il falloit s'adresser à défaut de Le Nôtre, faisoit prendre toutes sortes de formes bizarres au buis, à l'if, à la charmille.

En Hollande, près de Harlem, « on voyoit, dit » M. de Laborde, un jardin où toute une chasse au cerf » étoit représentée en charmille, et l'on voit encore à » la terre de Chambaudoin, dans la Beauce, un laby»rinthe représentant tous les instrumens de musique : » le violon est bien conservé, et le manche conduit au -> château.

Nous avons déjà lu quelque chose de semblable des jardins de Pline; et M. de Laborde cite un ouvrage de Bernard de Palissy dans lequel l'ingénieux fabricateur des rustiques figurines du Roi et de Monseigneur le Connétable (1), comme il s'appeloit lui-même, critique fort les oies, les dindons et les grues en ifs et en romarins, qu'il avoit vus à Saint-Omer dans les jardins de l'abbé de Clairmarais, ainsi que les gens d'armes de buis de l'abbé des Dunes en Flandre.

(1) Anne de Montmorency.

Ce travers seroit donc aussi ancien que l'invention des jardins réguliers, et l'on pourroit le regarder comme le ridicule essentiel de ces sortes de jardins, s'il ne falloit se défendre de confondre en quoi que ce soit l'abus avec l'usage, pour ne pas se trouver entraîné à condamner les meilleures choses.

Remarquons aussi que la plupart de ces exemples ne sont point tirés de la France, et sur-tout que ce n'est pas sous la main de Le Nôtre que l'if et le buis prirent jamais de ces formes ridicules.

Aux Tuileries, les ifs taillés sur divers dessins réguliers servoient à tenir en harmonie le bocage et les parterres; ils occupoient durant toute l'année la place de ces orangers que l'on trouve avec raison d'un si bel effet, mais dont on ne peut jouir à grands frais que pendant quelques mois.

Les volutes et les enroulemens des buis s'accordoient aussi fort bien avec l'architecture des bâtimens. Quoi qu'ils fussent déjà très-dégradés quand j'ai pu les voir, je me rappelle qu'ils produisoient, des fenêtres du château, un effet moins riant à la vérité, mais beaucoup plus magnifique que les carrés de gazon qui les ont remplacés.

Puisque nous avons porté l'attention du lecteur sur les Tuileries, il est superflu de nous étendre davantage sur la supériorité des jardins réguliers, considérés comme objets d'art.

On objecte qu'ils s'éloignent trop de la nature champêtre. Nous répondrons que ce reproche étoit de peu d'importance à une époque où les princes et les grands, pour qui seuls les beaux ouvrages en ce genre sont faits, ne s'occupoient plus, comme au vieux temps, des soins domestiques et de l'exploitation de leurs domaines.

Bossuet demandant par hasard à son jardinier des

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