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rien remarqué de ce que j'ai cru devoir indiquer à cet égard; mais qu'ils veuillent bien relire le premier chant des Trois Règnes proprement dits, lequel est le cinquième des deux ouvrages réunis, et le chant des Minéraux, ils verront que l'épisode du proscrit qui cherche un refuge dans les mines, forme plus des deux tiers de ce chant. Il est possible que les vingt pages consacrées à cette narration épisodique leur aient paru moins longues que les sept ou huit feuillets accordés à la description des phénomènes du règne minéral, car cette description n'est pas un des endroits les plus récréatifs de l'ouvrage : mais encore faut-il garder quelque proportion ; et quelqu'intéressant que puisse être en lui-même l'épisode du proscrit, son extrême longueur, comparée à l'exiguité du cadre dans lequel le poète a resserré et comme étranglé le sujet principal; ses prolixes développemens, rapprochés de la sécheresse et de la mesquinerie avec lesquelles l'objet fondamental est, si je puis m'exprimer ainsi, étriqué; enfin, son excessive étendue, hors de toute mesure comme de tout exemple, en font une espèce de monstruosité en littérafure, assez semblable à ces superfétations extraordinaires qui, en défigurant certains animaux, les rendent dignes d'être donnés en spectacle.

Veut-on maintenant un exemple frappant de ce genre de défauts, qui consiste dans l'inconvenance ou dans la bizarrerie des exordes? Qu'on lise celui du septième

chant :

Jadis, quand je lisois les fastes de la gloire,
Des peuples et des rois j'interrogeois l'histoire ;
Je marchois à travers les États ébranlés,
Les Empires détruits, les remparts écroulés ;
Je suivois dans leur course, en merveilles fécondes,
Ces Grecs pères des arts, ces Romains rois du monde.

Mais ce n'est plus le temps: les divers animaux
Ayant, ainsi que l'homme, et leurs biens et leurs maux,
Dont une loi constante éternise la race,

Dans mes vers, à leur tour, demandent une place.
Déjà j'entends de loin le fier taureau mugir, etc.

Observons d'abord que les deux premiers vers signifient exactement: Quand je lisois l'histoire, je lisois l'histoire; remarquons encore cette tournure si peu élégante et si peu poétique : les divers animaux ayant, ainsi que l'homme, etc. Ce pronom, dont, au neuvième vers, lequel a l'air de se rapporter aux biens et aux maux, tandis qu'il se rapporte aux animaux. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit; voyez la liaison des idées : « Autrefois j'ai lu l'histoire; au»jourd'hui je vais chanter les animaux. » Comme cela est suivi! Et ne diroit-on pas que M. Delille a jadis chanté les Grecs, les Romains, etc., puisqu'il ajoute que les animaux demandent une place à leur tour, dans ces vers? J'avoue que je crois voir ici le comble de l'incohérence.

Me soupçonneroit-on d'avoir cherché à dissimuler les beautés de cet ouvrage? Je les ai toutes indiquées; je dois indiquer encore le sixième chant comme trèsbeau, comme presqu'irréprochable dans sa totalité; l'apostrophe aux oiseaux, qui termine le septième,

Revenez, peuple heureux, revoir votre patrie, etc.;

presque tout ce que le poète dit de l'homme à la fin du huitième. Et pourquoi trahirois-je les grâces d'un talent si brillant et si aimable? Puis-je être animé par un autre intérêt que celui de l'art et de notre gloire littéraire? Pourquoi supposer toujours aux critiques des passions qui leur sont si souvent étrangères? J'ai voulu

dire la vérité; je l'ai dite sans aucune de ces affections qui la corrompent, quarum causas procul habeo.

Y.

XLII.

Description des nouveaux Jardins de la France, et de ses anciens Châteaux, mêlée d'observations sur la vie de la campagne et la composition des Jardins; par Alexandre de Laborde.

L'AUTEUR du Voyage pittoresque en Espagne se propose, dans un second ouvrage, d'enseigner par l'exemple et le précepte l'art de former et d'embellir les jardins; de bâtir de jolies maisons de campagne; de conserver, en l'appropriant à nos mœurs nouvelles, peu qui reste encore de ces anciens manoirs, autrefois si nombreux sur le sol de la France. Jamais leçons ne vinrent plus à propos.

le

Avant ce siècle des expériences et des calculs que nous voyons finir, on n'avoit point imaginé qu'une maison pût être bonne à autre chose qu'à servir d'habitation; c'étoit pour cela qu'on en faisoit l'acquisition, qu'on s'efforçoit de l'entretenir et de la faire durer le plus long-temps possible. Depuis, on a reconnu que' ce peut être sur-tout une très-bonne affaire que d'acheter des maisons pour les abattre ; et bientôt la science qu'on appelle économique, ayant révélé aux adeptes que des prairies couvertes de vaches et de moutons rapportent plus d'argent que de vieux arbres et de larges allées consacrées à la promenade, on se mit de toutes parts à abattre, couper, semer en luzerne, et à vendre des boeufs et des mérinos.

Tout parc vieux planté, tout château, toute maison où la présence du fer et du plomb se manifestoit indiscrètement, furent soumis à la décomposition. La terre, débarrassée de ces masses élevées par l'industrie des hommes, reprenoit insensiblement son aspect primitif. Encore quelques années, et la nature rentroit dans tous ses droits! Grâces et reconnoissances éternelles soient rendues au génie élevé par qui ces progrès vers l'abrutissement sont arrêtés!

Je ne veux point nier que les débris les moius transportables de tant de beaux édifices s'étant répandus à peu de frais dans les demeures d'alentour, elles donnèrent à celles-ci une certaine apparence de prospérité; mais cela n'empêche pas le vide réel qu'ils laissent de se faire sentir. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour s'apercevoir que le voisinage du riche est la ressource la plus sûre, la plus abondante, la plus facile du pauvre. Il n'est guère aujourd'hui de villageois qui ne gémisse en secret sur la destruction de la maison seigneuriale où il trouvoit du travail et un foyer durant la saison rigoureuse, des secours dans ses maladies, des conseils pour la conduite de ses affaires; pour ses enfans, des moyens d'instruction l'occasion de se produire, de faire distinguer leur mérite s'ils en avoient, et bien souvent d'arriver par-là à une fortune meilleure. La commune manque, pour ses besoins journaliers et le petit nombre d'objets d'agrément qui ne sont pas au-dessus des moyens de ses habitans, des artisans et des fournisseurs que l'entretien des bâtimens et la communication des gens du château fixoient autrefois dans le pays; plus de débouchés avantageux sur les lieux pour les menues productions, qu'il est trop dispendieux de porter à la ville voisine; plus de relations au-dehors, plus de

patrons à qui l'on puisse s'adresser pour le succès des affaires qu'il faut solliciter au loin.

Heureusement ce long châtiment des campagnes touche enfin à son terme; l'opinion publique, plus imposante à mesure que les mœurs acquièrent de la dignité, a mis un frein aux spéculations sur les ruines et sur les décombres; et les richesses acquises par ce vil moyen commencent à perdre de leur prix. La paix et la sécurité rendues à la France ont ramené une multitude de familles, pour qui le séjour habituel de la campagne sera désormais le moyen à-la-fois le plus sûr et le plus honorable d'adoucir l'amertume de leurs souvenirs et de réparer les désastres de leur fortune; en même temps le bienfait de nouvelles institutions impose à d'autres l'obligation de préparer pour leur postérité de nobles demeures, loin de la contrainte de la cour et de la confusion de la capitale.

Les jardins d'ordre naturel et les constructions irrégulières, pour lesquels M. de Laborde montre de la prédilection, offrent d'assez grands avantages au propriétaire d'une fortune peu considérable, qui fait sa principale occupation du soin et de l'exploitation de la terre.

Le parc anglais, pour peu que l'on ait fait choix d'un site convenable, n'exige pas de grandes avances; les premiers travaux diffèrent peu de ceux de la culture ordinaire pour l'entretien, il se confond bientôt avec les soins de l'exploitation générale du domaine; et ses productions, assez abondantes, ne sont point perdues pour quiconque s'occupe lui-même du soin du ménage et de la ferme. Comme rien ne s'y fait d'ensemble et sur un plan arrêté, il y reste toujours quelque chose à faire, quelque chose qui seroit mieux étant autrement. Ce changement perpétuel fait une des plus douces occu

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