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journal; je ne puis en offrir qu'un petit nombre. Une des peintures les plus agréables des Trois Règnes est celle des amours du Pigeon, en huit chants:

Ecoutez du Pigeon, épris de sa maîtresse,

Le doux roucoulement exprimer sa tendresse :
Il approche, il s'éloigne, il revient mille fois,
Arrange son maintien, passionne sa voix.
J'aime à suivre de l'œil ces timides approches ;

Je comprends ces soupirs et ces tendres reproches.
Avec quelle pudeur son amante à son tour

En déguisant ses feux irrite son amour,

Au moment de céder avec art se retire,

Le rappelle, le fuit, le repousse et l'attire!

Quel peintre en ses tableaux, quel poète en ses chants,
Représente l'amour sous des traits plus touchans?

On croit voir Galatée, en sa ruse ingénue,

Fuyant derrière un saule, et brûlant d'être vue.

J. J. Rousseau a traité en prose le même sujet, dans une des nombreuses digressions de sa lettre sur les Spectacles ; et même il est évident que le poète a dérobé au prosateur le trait plein de grâce et de suavité qui termine ce charmant tableau. Mais voyons si la poésie l'emporte sur la prose, soit dans le coloris des détails, soit dans l'expression de cette comparaison heureuse de la coquetterie de Galatée avec celle de la colombe; écoutons le prosateur :

«Dans leurs amours (il parle des amours des animaux) je vois des caprices, des choix, des refus » concertés, qui tiennent de bien près à la maxime » d'irriter la passion par des obstacles. A l'instant même » où j'écris ceci, j'ai sous les yeux un exemple qui le » confirme: deux jeunes pigeons, dans l'heureux temps » de leurs premières amours, m'offrent un tableau bien » différent de la sotte brutalité que leur prêtent nos » prétendus sages; la blanche colombe va suivant pas

» à pas son bien-aimé, et prend chasse elle-même aus» sitôt qu'il se retourne. Reste-t-il dans l'inaction, de » légers coups de becs le réveillent; s'il se retire, on » le poursuit; s'il se défend, un petit vol de six pas » l'attire encore : l'innocence de la nature ménage les » agaceries et la molle résistance avec un art qu'auroit » à peine la plus habile coquette. Non, la folâtre Ga» latée ne faisoit pas mieux; et Virgile eût pu tirer » d'un colombier l'une de ses plus charmantes images. »

A qui donnera-t-on la palme? Comme toutes les phrases du prosateur sont coupées d'une manière pittoresque! Comme toutes ces incises sont relevées par ce tour harmonieux : l'innocence de la nature, etc.! Comme toutes ces touches sont appropriées et senties: la blanche colombe..... son bien-aimé! Quel mouvement heureux, et comme il est amené....! Avec un art qu'auroit à peine la plus habile coquette..... Non, folâtre Galatée, etc.! Il me semble qu'il règne dans tout ce morceau une libre mélodie de style, qui peut avantageusement compenser l'harmonie obligée de la versification.

la

Que l'on compare maintenant la description du Cygne, par M. de Buffon, avec celle que M. Delille a versifiée :

Le cygne toujours beau, soit qu'il vienne au rivage,
Certain de ses attraits, s'offrir à notre hommage ;
Soit que de nos vaisseaux le modèle achevé,
Se rabaissant en proue, en poupe relevé,
L'estomac pour carène, et de sa queue agile,
Mouvant le gouvernail en timonier habile,
Les pieds pour avirons, pour flotte ces oiseaux
Qui se pressent en foule autour du roi des eaux;
Pour voile, enfin, son aile au gré des vents enflée,
Fier, il vole au milieu de son escadre ailée.

Celte peinture est belle, quoiqu'elle offre quelquestaches faciles à apercevoir; mais toutes les couleurs en sont empruntées de M. de Buffon. Passons au tableau original, sorti des mains de ce grand peintre de la nature. Je ne prends de cette description que la partie copiée par le poète; il y a bien d'autres richesses dans la totalité du morceau.

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« A sa noble aisance, à la facilité, la liberté de ses » mouvemens, on doit le reconnoître, non seulement » comme le premier des navigateurs ailés, mais comme » le plus beau modèle que la nature nous ait offert pour » l'art de la navigation: son cou élevé, et sa poitrine » relevée et arrondie, semblent en effet figurer la proue » du navire fendant l'onde; son large estomac en re» présente la carène; son corps penché en avant pour » cingler, se redresse à l'arrière et se relève en poupe; »sa queue est un vrai gouvernail; ses pieds sont de » larges rames; et ses grandes ailes demi-ouvertes au >vent, et doucement enflées, sont les voiles qui poussent » le vaisseau vivant, navire et pilote à-la-fois. Fier de » sa noblesse, jaloux de sa beauté, le Cygne semble » faire parade de tous ses avantages: il a l'air de cher» cher à recueillir des suffrages, à captiver les regards; » et il les captive en effet, soit que voguant en troupe, » on voie de loin, au milieu des grandes eaux, cingler » la flotte ailée; soit que s'en détachant, et s'approchant » du rivage, aux signaux qui l'appellent; il vienne se » faire admirer de plus près, en étálant ses beautés, et » développant ses grâces par mille mouvemens doux, >> ondulans et suaves. »

Je demande ce que les agrémens de la versification peuvent ajouter aux grâces, à la majesté, à la pompe harmonieuse d'une telle prose. Je demande à qui, du prosateur original, ou du poète copiste, on doit accorder

la couronne. Je demande enfin s'il étoit bien nécessaire de renfermer dans la mesure du vers de douze syllabes, et d'orner de rimes, des choses qui avoient été exprimées en prose avec une éloquence si noble ou si gracieuse, si pittoresque et si poétique; et j'avoue que je désire vivement que les défenseurs des Quatre Elémens et des Trois Régnes répondent de bonne foi à ces questions que je leur propose: je les prie de remarquer qu'elles sont décisives, et qu'elles touchent le tuf, comme on dit, sans toutefois porter aucune atteinte à la grande renommée et au rare mérite d'un poète illustré par tant de productions, et sur-tout par son immortelle traduction des Georgiques.

Que le lecteur se donne donc la peine ou plutôt le plaisir de rapprocher lui-même les portraits du chien, du cheval, du cerf, de l'âne, de l'aigle, du colibri, etc., tracés par la plume de M. de Buffon, de ces mêmes portraits coloriés par la muse de M. Delille; et qu'il juge. Je suis obligé de renvoyer à un quatrième et dernier article ce qui me reste encore à faire de réflexions sur l'ouvrage, et d'observations accessoires. Y.

XLI.

Fin du même Sujet.

J'ARRIVE avec joie à la fin d'une tâche pénible; il ne pouvoit m'être agréable d'avoir à relever les défauts d'un écrivain si chéri du public. Ces défauts même trouvent des défenseurs, parce qu'ils ont de l'attrait et du charme; ils constituent une grande partie du mérite de l'auteur : ôtez à M. Delille ses défauts, vous lui ôte

rez presque toutes ses grâces. Tandis que les grands maîtres, que les écrivains supérieurs, qui seront à jamais les modèles du goût, ont eu pour premier principe d'éviter les fautes, M. Delille semble les rechercher; mais ce sont des fautes brillantes qui sont l'objet de son ambition, des fautes que le vulgaire, ébloui par un éclat trompeur, prend aisément pour des beautés. Comme un magicien, ou, si l'on veut, comme un charlatan fascine en quelque sorte les yeux des dupes qui l'entourent, le poète à qui nous devons l'Imagination l'Homme des Champs, les Trois Règnes, abuse le lecteur, séduit par ses prestiges en possession de plaire, il manque toutefois d'une qualité qui paroît être la véritable source des plaisirs que procurent les arts de l'esprit et de l'imagination. Je crains de blesser encore ses enthousiastes, en disant qu'il n'a pas cultivé son goût autant qu'il a exercé les autres facultés de son heureux talent peut-être même a-t-il beaucoup contribué à corrompre celui de ses contemporains. Le premier de nos poètes, dans un temps de décadence, sûr d'arriver à la postérité comme les Stace, les Claudien et les Ausone, il ne peut raisonnablement espérer dans l'avenir un rang plus élevé ; et les fastes de la littérature française parleront un jour de lui, comme l'histoire des lettres latines parle des écrivains ingénieux, agréables et brillans, qui ont succédé aux génies non moins sages et corrects, que vigoureux et sublimes, dont s'honore le Parnasse romain.

Quelle est donc la position du critique, lorsqu'il se trouve en quelque sorte pressé entre les suffrages tumultueux et irréfléchis d'une multitude idolâtre qui admire et adore avant d'avoir lu, et même sans lire, et les règles imprescriptibles du bon sens et du goût, dont il ne doit jamais s'écarter? Que n'opposera-t-on pas à ses

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