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étincelle de vers heureux et brillans, les principaux phénomènes de la lumière, M. Delille se hâte de récréer le lecteur par un épisode dans lequel il explique la cause de l'aurore boréale. Il représente cette Aurore affligée de ce que son origine est méconnue. Elle va trouver le Soleil, son père, et lui adresse un discours imité de celui de Phaeton dans Ovide, mais beaucoup trop long et un peu froid: elle se plaint de ce que l'Aurore orientale est seule regardée et seule célébrée comme fille du Soleil; elle conjure son père de ne pas souffrir qu'on la méconnoisse plus long-temps. Jusqu'ici, à l'exception de quelques longueurs, tout est bien : mais la manière dont le Soleil s'y prend pour révéler au monde l'origine de l'aurore boréale, a quelque chose de comique: il détache un des rayons de sa couronne, y grave la naissance de sa fille, et le lance dans la tête de M. Mairan :

Mairan parle ; à sa voix

La brillante immortelle a recouvré ses droits.

Je préfère de beaucoup à cet épisode la description de l'électricité, morceau plein d'éclat et de précision, où les détails de ce grand phénomène sont peints des plus vives couleurs, et où l'on retrouve tout le talent de M. Delille: je ne cite point parce que j'aurois trop à citer, et parce que les beaux endroits de ce poëme sont déjà connus. Rien de plus joli que le tableau dans lequel le poète nous peint une jeune beauté placée sur l'isoloir, et tout environnée des flammes électriques; mais le trait qui termine cette peinture est trop miguard et trop affecté :

La belle voit sans peur ces flammes sans courroux,

Et dans le cercle entier répand un feu plus doux.

Ce chant est couronné par la description des plaisirs

du Coin du Feu, connue depuis long-temps, pleine de vers délicieux, et à laquelle on ne peut reprocher que quelques traces d'affectation, et d'être beaucoup trop longue dans la place relative où elle se trouve encadrée; car il faut qu'il existe une certaine proportion entre les parties d'un chant comme entre celles d'un poëme; et ici cette règle est ouvertement violée.

Tous les détails par où commence le second chant, toutes ces dissertations sur les gaz, sur les différentes propriétés de l'air, sur ses combinaisons, sur ses effets, sont d'une extrême aridité, et communiquent au lecteur la peine, la fatigue et l'ennui qu'elles ont dû coûter au poète; l'attention ne commence à se réveiller que lorsqu'il s'agit de Pascal et du Puy-de-Dôme, théâtre des fameuses expériences que ce grand génie fit sur l'air. M. Delille apostrophe cette montagne illustrée par de si belles découvertes : il y a du sentiment et de la verve dans ce morceau; mais il me semble un peu déparé par deux traits, par deux rapprochemens sirguliers. L'un est cette exclamation sur la mort prématurée de Pascal :

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Mais, hélas, de cet air, ignoré si long-temps,
L'illustre infortuné jouira peu d'instans!

l'autre est la comparaison de Pascal avec Misène, qui n'étoit qu'un trompette dans l'armée d'Enée. L'auteur veut que le Puy-de-Dôme soit appelé le mont Pascal, comme la montagne où fut enterré Misène prit le nom de ce trompette, et qu'on grave sur le Puyde-Dôme le tube du génie qui vérifia la pesanteur de l'air, comme on déposa sur le cap Misène l'instrument du musicien. En vérité, cette imagination est un peu ri dicule. Après quelques autres détails anti-poétiques sur la pesanteur et l'électricité de l'air, sur les vents et les VIIIe. Année.

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orages, le poète amène une description très-vive, trèspittoresque et très-développée, du terrible ouragan qui ensevelit l'armée de Cambyse dans les sables de la Lybie. Il n'a déployé nulle part, avec plus de luxe, les ressources admirables de sa flexible versification; car c'est sur tout la richesse du style, et, si je puis m'exprimer ainsi, l'ampleur du développement, qui caractérisent cette belle peinture. Ce tableau est d'une manière large; qualité rare dans les ouvrages de M. Delille. On regrette pourtant d'y apercevoir encore quelques traits d'affectation, comme celui-ci, par exemple:

En vain vous espériez revoir votre famille,

Et reprendre en vos mains l'innocente faucille,

Vous même moissonnés, mourez sous d'autres cieux !

Peut-être dans la description de la sécheresse causée par le vent du Midi, ne falloit-il pas descendre à de si petits détails:

La truite ne fend plus les rapides torrens ;
L'anguille avec lenteur traîne ses plis mourans.

Boileau, qui a dit

Sur de trop vains objets c'est arrêter la vue,

proscriroit vraisemblablement ici la truite et l'anguille. Je ne sais s'il seroit beaucoup plus content de cette image:

A peine, avec effort, la Nymphe du ruisseau
De ses cheveux tordus tire une goutte d'eau.

Le morceau sur la peste offre des beautés; mais il me semble très-inférieur à celui de Lucrèce et je suis fâché de n'avoir point assez d'espace pour établir un parallèle qui exigeroit nécessairement quelqu'étendue. Il y a de beaux vers dans ce que l'auteur dit sur la mu

sique, à la fin de ce second chant; il y a aussi des expressions au moins douteuses:

Jubal, lui fit une ame.............,

en parlant de l'orgue, dont Jubal fut l'inventeur.

Sous ses rapides mains le sentiment voyage,

en parlant d'un célèbre organiste: et le poète ajoute: Il forme sans désordre un dédale de sons.

On peut demander ce que c'est qu'un dédale de sons; on peut aussi demander comment la comparaison suivante est liée à l'idée qui précède. Il s'agit toujours de l'organiste:

Il frappe, il attendrit, il soupire, il menace :

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Tel, au gré de son souffle ou terrible, ou flatteur,
Le vent fracasse un chêne ou caresse une fleur.

Les deux derniers chants sont fort au-dessous des deux premiers. La partie technique s'y montre encore plus sèche et plus épineuse, sur-tout dans le quatrième chant, dont la Terre est le sujet, et où l'on rencontre assez fréquemment des vers aussi agréables que ceux-ci :

Mêlée au spath, au quartz, aux plus brillantes pierres,
La silice offre aux yeux la plus pure
des terres.

Qui pourra nous montrer quels minces corpuscules

De la terre en secret forment les molécules?

Du quartz pulvérisé, du gypse, de l'argile,
En coupe façonna leur merveille fragile.

Les parties brillantes du chant de l'Eau sont l'épisode de Musidore, surprise au bain par son amant, mais par un amant très-honnête et très discret, qui veut seulement lui faire savoir qu'il étoit là, et qui se contente

de le lui apprendre par un billet qu'il jette sur le bord du ruisseau. Musidore, touchée de tant de vertus, grave sur l'écorce d'un arbre une promesse de mariage. L'invention et l'exécution de cet épisode sont assez médiocres; la peinture du Rendez-Vous des Eaux Minėrales, très-piquante, très-jolie et d'une tournure agréablement satirique ; la Mort du Bûcheron englouti dans la neige, morceau qui a du moins le mérite de n'être· pas trop long et trop disproportionné, et qui amène assez naturellement une apostrophe touchante à ces utiles animaux dont la sagacité sauva plus d'un voyageur sur le Saint-Bernard. Cette apostrophe termine le chant; elle renferme un vers qui, je crois, a besoin d'être corrigé :

Vous donc soyez bénis, animaux courageux,

Que nourrit Saint-Bernard sur son front orageux !

Il faudroit, ce me semble, le Saint-Bernard: on ne peut pas ici identifier le saint avec la montagne qui porte son nom. Comment, en effet, se représenter saint Bernard nourrissant des chiens sur son front? Le chant de la Terre n'offre aucun épisode proprement dit : il est, à mon gré, le moins agréable de tous, quoiqu'il ne soit pas dépourvu d'agrément. Tel est le poëme des Quatre Elémens : je rendrai compte, dans un prochain article, de celui des Trois Règnes.

Y.

XL.

Suite du même

Nous arrivons enfin au poëme des Trois Règnes ; il a bien fallu passer auparavant par celui des Quatre

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