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lacunes, le degré de perfection qu'il a su lui imprimer à une époque aussi reculée, ne l'en a pas moins fait regarder dans tous les âges comme une des plus belles créations de l'esprit humain.

Le lecteur peut maintenant se former une idée juste de ce que c'est que les Aphorismes d'Hippocrate. C'est un assemblage de sentences courtes, énergiques, lumineuses, où les résultats les plus constans et les plus généraux de l'observation médicale sont exprimés dans les termes les plus clairs et les plus précis. Il en est plusieurs, comme je l'ai déjà fait remarquer, qui ne s'appuyant que sur des observations inexactes et incomplètes, ou peut-être même sur des prejugés populaires, ne présentent que des vues hasardées ou des idées entièrement fausses; mais le plus grand nombre est plein de vérités si fécondes et si frappantes, qu'on ne peut les lire sans être saisi d'admiration. L'épreuve du temps, la plus terrible de toutes, n'a pu leur porter la plus légère atteinte ; vérifiés au creuset de l'expérience des siècles, confirmés par les observations répétées de tous les âges, le médecin attentif les voit encore chaque jour s'accomplir sous ses yeux, et croit retrouver la nature elle-même dans ces immorielles sentences de son plus illustre disciple.

Si la méthode expérimentale a été reconnue comme la seule voie qui pût conduire l'homme à la connoissance de la nature; si, à l'aide de cette méthode, les sciences physiques ont vu 's'accroître si rapidement leur domaine, c'est à Hippocrate qu'on en est redevable. En vain, dans son orgueil, la philosophie du dix-huitième siècle a-t-elle voulu s'en arroger la gloire; cette gloire ne lui a jamais appartenu. Hippocrate est le premier qui ait posé les fondemens de la méthode

expérimentale, qui en ait établi les règles, et qui en ait fourni le modèle. Tout ce que les modernes ont fait à cet égard, toutes ces applications, si vantées dans notre siècle, de l'analyse et de l'observation à l'étude des sciences naturelles, ne sont qu'une conséquence et une imitation des ouvrages de ce grand maître.,

Le style des Aphorismes d'Hippocrate n'est pas la moindre partie de leur mérite; mais, pour l'apprécier, il faut savoir les lire dans leur langue originale. La vivacité de l'expression s'y joint constamment à la force de la pensée, et la clarté la plus lumineuse à la concision la plus sévère. Des exemples pris dans une traduction n'en donneroient sans doute qu'une idée bien imparfaite; cependant je ne puis m'empêcher de citer l'Aphorisme suivant, le premier de tous ceux d'Hippocrate, et un des plus propres à faire connoître sa manière de penser et d'écrire:

<< La vie est courte, l'art est long, l'occasion fugitive, » les essais dangereux, et le jugement difficile. Non » seulement le médecin doit remplir son devoir, mais » il faut encore qu'il fasse concourir au même but et » le malade lui-même, et les personnes qui l'entourent, » et toutes les choses extérieures. ››

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Il n'appartient qu'à un esprit supérieur de peindre avec tant de force et avec tant de vérité les difficultés. innombrables qui sont attachées à l'étude et à la pratique de la médecine. Qu'il y a loin de ces traits énergiques et profonds aux verbeuses dissertations de nos penseurs modernes !

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L'édition nouvelle que nous annonçons est remarquable par la pureté du texte, par la beauté du papier, par l'élégance et la netteté des caractères. On a retranché le texte grec, et on n'y a laissé que la version

latine. Cette version n'est point l'ouvrage du célèbre Lorry, comme l'ont répété sur parole quelques journaux de sciences : elle a pour auteur Théodore Jansson d'Almeloveen, médecin hollandais du dix-septième siècle, également renommé par ses travaux littéraires et par ses connoissances médicales. Lorry, en l'adoptant dans son édition des Aphorismes d'Hippocrate, s'est borné à y faire quelques légers changemens; mais il avoit eu soin en même temps d'y joindre quelques notes propres à éclaircir le texte original ou à en développer le sens; d'indiquer dans ces notes les passages de Celse, de Galien, d'Aretée, de Boerhaave, de Van-Swieten, et des autres livres d'Hippocrate lui-même, qui étoient relatifs aux objets traités dans chaque aphorisme; et enfin d'y ajouter une table très-méthodique et trèsdétaillée, précédemment rédigée par Louis Verhoofd. Toutes ces augmentations rendoient l'édition de Lorry extrêmement précieuse; et le nouvel éditeur l'a bien senti, puisqu'il l'a reproduite en partie dans la sienne; mais il est à regretter qu'il ne l'ait pas réimprimée en entier.

Je veux bien qu'il ait supprimé le texte grec, que plusieurs lecteurs néanmoins auroient été bien aises de trouver à côté de la version latine; mais pourquoi

t-il fait disparoître les notes de Lorry, si courtes et si lumineuses à-la-fois? Pourquoi, en citant les passages correspondans de Celse, a-t-il négligé de citer les passages analogues de Galien, d'Aretée et de Boerhaave? Pourquoi enfin, dans ses renvois à Celse, s'est-il exclusivement servi de l'édition de Valart, et forcé par-là tous ses acheteurs à se la procurer? C'est avec peine que j'ai remarqué ces défauts dans la nouvelle édition; car elle est d'ailleurs si belle, si correcte et d'un format si commode, qu'on ne peut

s'empêcher de la recommander à tous ceux qui aiment à se nourrir de la doctrine et des écrits du prince de la médecine.

P. P.

XXXVII.

Pomponius, Mela, traduit en français par
C. P. Fradin.

LA Géographie Universelle de Pomponius Mela fut publiée à Rome lorsque l'empereur Claude partit de Boulogne pour aller conquérir la Grande-Bretagne. Quippe Britanniam tamdiù clausam aperit ecce principum maximus.

C'est ainsi que Mela indique lui-même l'année dans laquelle il a rendu publique sa description du monde. Il a eu soin de désigner aussi le lieu de sa naissance: c'est Tingentera, ville située sur le détroit de Gibraltar, et que l'on croit être Algéziras. Voilà tout ce qu'on sait de cet écrivain. Son prénom est même ignoré; son nom de famille étoit le même que celui d'Atticus, l'ami de Cicéron. L'un et l'autre s'appeloient Pomponius; mais rien n'indique qu'il y ait eu entr'eux d'autres rapports que celui du nom.

Le style de Mela est de la latinité la plus pure. Il est précis, élégant et clair. Ses descriptions sont admirables; elles ornent son ouvrage, parce qu'il ne les prodigue pas, et qu'il les met à leur véritable place.

Le plan qu'il a suivi est celui d'un grand voyage qui embrasse les parties du monde alors connues, et dont l'indication pure et simple seroit ici d'un assez foible

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intérêt. Qu'il soit cependant permis de s'arrêter l'endroit où il raconte qu'au temps de ses aïeux, un certain Eudoxe, fuyant la colère de Lathum, roi d'Alexandrie, sortit de la Mer-Rouge, navigua sur l'Océan, doubla l'Afrique, et parvint à Gadès. D'un autre côté, l'amiral carthaginois, Hannon, s'étant avancé du détroit de Gibraltar, le long des côtes de l'Océan, vers l'équateur, avoit déclaré, dans son périple, que, s'il étoit revenu sur ses pas, c'étoit non la mer, mais les vivres qui lui avoient manqué. Ces conjectures de Mela semblent avoir tracé à Vasco de Gama la route qui devoit le conduire au cap de Bonne - Espérance et immortaliser le nom portugais. Mela lui-même, comme s'il eût déjà connu cette route, s'avance dans l'Océan, décrit les côtes atlantiques, et revient au promontoire Ampelusia, par lequel il avoit commencé sa description, et qui, formant la borne de l'Océan Atlantique", et de la mer Méditerranée, est aussi le terme de son voyage.

L'univers connu sous les premiers Césars ne s'étendoit point jusqu'à l'Equateur. L'Europe jusqu'à la mer du Nord, la partie de l'Afrique qui borde la Méditerranée, et l'Asie jusqu'au Gange, voilà tout ce qu'il embrassoit alors; et, lorsque les Romains se proclamoient fastueusement les maîtres du monde, ils ne se doutoient pas qu'ils n'en possédoient qu'une petite partie.

Il est même assez singulier qu'avec tant de moyens de pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique, ils n'en aient connu que l'extrémité septentrionale. Ce vaste. continent leur étoit tellement étranger qu'ils le peuploient d'êtres fabuleux, tels que les satyres et les égipons.

La rencontre inopinée de quelques orang-outangs

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