Page images
PDF
EPUB

SCIENCES, LITTÉRATURE.

XXXIV.

Tableau comparatif des résultats de la Cristallographie et de l'Analyse chimique, relativement à lu classification des Minéraux; par M. l'abbé Haüy, de l'Institut, etc.

PARMI les grands travaux qui attestent la supériorité de la France dans les sciences physiques et mathématiques; parmi ces véritables titres de gloire dont notre siècle peut s'enorgueillir, on accordera certainement un des premiers rangs au Traité de Minéralogie de M. Haüy. Lors de la publication de ce Traité, les minéralogistes étoient divisés en deux partis: l'Ecole française classoit toutes les substances minérales d'après les élémens que l'analyse chimique y faisoit apercevoir; l'école de M. Werner, c'est-à-dire l'Europe, y compris même les Anglais, rangeoit ces mêmes substances d'après les apparences extérieures et sensibles, telles que la couleur, la dureté, l'aspect de la cassure. Les chimistes disoient, raison, qu'une classification fondée sur un caractère naturel et élémentaire étoit un moyen sûr de mettre de l'ordre dans la science. Les Wernéristes alléguoient la difficulté de garantir l'exactitude d'une analyse chimique, les contradictions mutuelles des chimistes eux-mêmes, enfin le danger de sacrifier des faits un peu vagues, mais évidents, à une rigueur de spéculation peut-être impossible à obtenir. En France même, tous ceux qui s'occupent directement de l'art des mines

avec

[ocr errors]

ont paru pencher pour Werner: témoin le succès qu'a obtenu la méthode de M. Brochant, conçue d'après les idées du professeur allemand. Cependant les deux langues savantes qui résultoient de ces deux manières de voir se ressembloient comme l'arabe ressemble au français. Les Wernéristes conservoient tous les termes, souvent baroques, sous lesquels les minéraux sont désignés par le peuple des mineurs ; on prit des Suédois le terme de trap, des Saxons celui de gneis, et des Italiens celui de pouzzolane, et ainsi de suite; d'un côté, les chimistes, du haut de leur science universelle, ne connoissoient plus le fer jaune, brun, etc. ; ils ne parloient que de sulfate de fer, carbonate de fer, et d'autres choses semblables, que le pauvre mineur ou métallurgiste n'avoit jamais entendu nommer. Au milieu de cette confusion M. Haüy parut comme une puissance médiatrice. Il dit aux chimistes : « J'admire vos analyses; mais je » regrette que vous ne les ayez pas encore portées » à un assez haut degré d'exactitude pour pouvoir » discerner, par exemple, l'arragonite du cristal » d'Islande, quoique ces deux substances different » par tous leurs caractères physiques. Ainsi, per» mettez que pour déterminer les espèces, je cherche, » avec le secours de la géométrie, un caractère qui » ne laisse point de confusion. » Il dit aux sectateurs de Werner: << Je suis, au fond, des vôtres ; c'est d'après » la forme, et non pas d'après la nature élémentaire, » que je classe les substances minérales; mais je ne » m'arrête point à la forme apparente et extérieure ; » je cherche les formes géométriques, par la mesure » exacte des minéraux parfaits, les cristaux. Le plus » mince cristal, à peine visible au microscope, a déjà » ses faces et ses angles: le minéral n'étant qu'un

amas de lamelles posées l'une après l'autre sur chacune des faces du cristal primitif, doit néces»sairement, dans ses angles, ou reproduire, ou du » moins indiquer ceux de cette molécule qui en est » comme l'embryon; mais ces angles ne se devinent » point au premier coup-d'œil il faut un calcul ri» goureux pour les deviner lorsqu'ils sont tronqués » ou peu marqués. Ainsi donc cette molécule intėgrante, découverte à tant de frais, sera le type de » chaque pièce; et les autres caractères également » physiques, mais peu susceptibles d'une exactitude

aussi rigoureuse, serviront à confirmer et à éten»dre ce que la cristallographie aura découvert et » fixé. »

Telle fut l'idée même du Traité de Minéralogie. Les contradictions que la méthode de M. Haüy a éprouvées dela part de quelques savans, les discussions auxquelles elle a donné lieu, enfin les nombreuses et intéres-santes découvertes auxquelles elle a conduit son ingénieux auteur, tout cela n'a point diminué le mérite et le prix de ce Traité, dont l'édition depuis longtemps est épuisée; mais tout cela rendoit nécessaire soit une seconde édition, soit un supplément. Le modeste auteur s'est borné à donner un supplément. C'est le livre que nous annonçons.

M.

LE

XXXV.

Suite du même Sujet.

Le caractère des espèces minérales, tiré des formes géométriques de la molécule intégrante, déterminées par le gonyomètre, ou instrument à mesurer les

angles, offre à l'esprit méditatif un côté très-intéressant. Supposons qu'on ait rassemblé des cristaux de quartz prismé rapportés de tous les pays connus ; ces cristaux, au premier abord, frappent l'oeil par des contrastes apparens : l'un a la limpidité de l'eau la plus claire, l'autre joint une couleur sombre à une parfaite opacité; l'éclat de la surface et l'éclat intérieur ou l'aspect de la cassure, ne présentent pas de moindres variations; les formes elles-mêmes paroissent, à la vue simple, participer à cette diversité. Mais qu'on mesure à l'aide du gonyomètre l'inclinaison mutuelle de deux faces voisines dans la même pyramide cristalline, l'identité géométrique se découvre, et la conformité parfaite des plans qui terminent ces cristaux, nous font voir que le plus limpide d'entr'eux ne diffère pas, quant au fond, du plus opaque. Ainsi, ces substances, dans lesquelles une étude superficielle ne laissoit voir qu'un jeu bizarre d'une nature puissante, mais aveugle, deviennent, par une étude approfondie, de nouveaux monumens de cette sagesse divine qui a soumis le cours des astres à des lois qui ne se démentent jamais, et qui a aussi établi des règles immuables auxquelles obéissent les molécules terrestres, en se réunissant pour donner naissance aux cailloux ét à l'or, aux grains de sable et aux Alpes.

Mais ce caractère qui nous conduit à une théorie si parfaite des minéraux auxquels il peut s'appliquer, n'est malheureusement pas applicable à tous les minéraux ; de-là on a voulu conclure que, pour servir de base à une classification méthodique, il n'avoit pas autant de mérite que M. Haüy lui en attribue. Cette objection ne frapperoit juste que sur une méthode exclusivement fondée sur la cristallographie: M. Haüy est loin de vouloir introduire une semblable méthode ;

il se sert du caractère le plus fixe et le plus élémentaire, selon lui, aussi loin que ce caractère pent être saisi; quand les formes cristallines s'effacent, il at recours aux autres caractères physiques. Il ne fait donc que suivre un principe reconnu de la philosophie générale des sciences, qui est de préférer toujours l'évidence à la probabilité, et de mettre au premier rang les argumens rigoureux, en laissant au deuxième ceux qui ne sont que plausibles.

Les minéraux, dit-on encore, ne se présentent que rarement, dans la nature, sous des formes cristallines; il est bien plus ordinaire de les rencontrer en masses irrégulières qui occupent des terrains plus ou moins spacieux. Donner à la cristallisation un si grand empire sur la méthode minéralogique; faire ainsi dépendrele tout de ce qui n'est qu'une très-petite partie, n'est-ce pas vouloir élever un édifice immense sur une base qui n'a aucune proportion avec lui? M. Haüy répond à cette objection, que l'importance des caractères par lesquels le nature liste cherche à fixer la connoissance d'une espèce, ne se mesure point sur les dimensions des substances, mais sur la certitude même de ce caractère, ainsi que sur les avantages que son emploi présente. Le botaniste ne choisit-il pas les organes de la fleur, c'est-à-dire les étamines et les pistils, par préférence aux feuilles et à la tige, pour caractériser les végétaux et en coordonner la série? Et pourquoi les choisit-il? Parce que ces organes sont ceux qui varient le moins, quoique leur existence fugitive ne dure que peu de jours et quoiqu'il faille souvent un instrument d'optique pour apercevoir ces parties délicates, perdues comme des atomes dans le vaste ensemble de la végétation. On a dit, d'une manière aussi vraie qu'ingénieuse, que les cristaux sont VIII. Année.

37

« PreviousContinue »