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mode; toutes les idées du beau idéal dont ils s'occupent et dont ils sont épris, ont concouru à les séduire. Ces théories brillantes, ces pompeuses abstractions, ces éternelles promesses de la philosophie se confondoient dans leur imagination avec les grands modèles de l'art: ils ont cru qu'on créoit une république comme on fait un tableau, ou comme on arrange un morceau de musique. Ils ont porté dans la politique le même feu qui les anime dans leurs compositions. De-là ce fanatisme que nourrissoient encore quelques notions vagues et confuses de l'antiquité, et que redoubloit une instruction pire cent fois que l'ignorance même. Les artistes n'étudient guère l'histoire que pour y chercher des sujets, c'est-à-dire qu'ils ne l'étudient qu'avec leur imagination quelques traits énergiques, saillans et pittoresques, forment ordinairement tout le fond de leur science. Appelés à retracer les scènes les plus frappantes de l'histoire grecque et de l'histoire romaine, ils se regardent comme destinés à faire revivre parmi nous des Romains et les Grecs; ils s'approprient quelquesunes de leurs maximes, et cherchent à les imiter dans leur conduite; leurs propres ouvrages les enflamment encore les peintres voudroient que les Français ressemblassent aux personnages qu'ils représentent dans leurs tableaux, parce qu'ils croient que leurs productions en seroient plus admirées. Et c'est ainsi que l'enthousiasme des artistes devient complice de la métaphysique des philosophes.

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Un des dogmes les plus capables d'enchanter de tels esprits, c'est sans doute celui de la perfectibilité : quelle chimère plus agréable et plus riante! Il est doux de supposer que le genre humain fait tous les jours des progrès, et s'avance insensiblement vers un état de perfection et de bonheur que l'imagination peut orner

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de tous ses caprices; c'est une espèce de mysticité et d'illumination qui doit plaire aux têtes ardentes et déréglées; c'est un beau texte pour les faiseurs de phrases, qui aspirent à l'honneur du don de prophétie. Quel roman plus ingénieux pouvoit inventer la philosophie, pour se dispenser d'étudier le passé, et pour excuser le présent? Grétry a saisi cette idée; il en a fait la base et le fond de son ouvrage; mais les philosophes se plaindront qu'il ait gâté et compromis un si beau sujet, quoiqu'il soit probable qu'aucun d'eux ne soutient cette thèse de bonne foi la nécessité de se jeter dans l'avenir pour échapper aux objections pressantes que fournit l'expérience si fatale de la révolution, les a déterminés à mettre en avant ce systême; car il ne faut jamais que des philosophes demeurent sans réponse, sans systême et sans espérance. On leur a dit : Toute l'histoire dépose contre votre doctrine, et il.a bien fallu qu'ils abandonnassent le passé; tant d'horreurs commises sous leur influence et d'après leurs principes, les ont forcés d'abandonner aussi le présent; que leur restoit-il, sinon d'en appeler aux siècles à venir, et de nous montrer dans un lointain indéfini ́ cette grande félicité, ce nouvel âge d'or, qui doit être le fruit et la récompense de leurs maximes? Ceci ne s'adresse point à Grétry, ce seroit calomnier la sincérité de sa foi; il n'est pas maître dans cette école, c'est un disciple soumis, un prosélyte ardent, un pieux fidèle.

Il faut bien distinguer parmi les philosophes d'aujourd'hui les vrais croyans et les hypocrites: il y a daus quelques-uns de leurs dogmes, et particulièrement dans celui de la perfectibilité, un tel excès de niaiserie, qu'il est impossible de s'imaginer que des gens d'esprit y ajoutent foi. Tel écrivain soutient cette théorie ridi

cule, qui prouve par les talens même qu'il développe, et par les connoissances qu'il montre, qu'elle n'est pour lui qu'un jeu d'esprit; à la vérité, on défend ensuite ses écrits dans la conversation, parce que la convenance l'exige, parce qu'on ne veut pas se donner pour un sophiste ; on fait l'enthousiaste; mais, dans le fond du cœur, on ne croit pas un mot de ce qu'on dit ; et la vanité gagne encore à cela : on s'applaudit d'autant plus d'avoir soutenu d'une manière spécieuse une absurdité, qu'il faut plus d'esprit pour développer un paradoxe ridicule, et pour appuyer de sophismes une erreur grossière, que pour établir une vérité par des raisonnemens que le bon sens fournit. Voilà le point où en sont maintenant les grands-prêtres de la religion philosophique; ils continuent de prêcher, mais ils ne croient plus; la honte de se démentir est le seul lien qui les retienne encore, ils ne veulent que sauver les apparences; s'ils mettent en avant de nouvelles erreurs, c'est uniquement pour remplacer les anciennes; s'ils disputent encore, c'est pour ne pas convenir qu'ils se sont trompés; s'ils lancent dans le public de gros volu mes, c'est pour montrer qu'il reste encore à la philoso phie de l'encre et du papier; rien n'est plus simple, rien n'est plus naturel, et sur-tout plus philosophique.

Mais ce qu'il y a de surprenant, c'est, qu'ils trouvent encore des disciples et des dupes: il semble que la révolution auroit dû opérer contre la philosophie ce que la philosophie vouloit faire contre la religion. Il y a des gens qui s'étonnent qu'il y ait encore des chrétiens de bonne foi; moi, je suis surpris qu'il y ait maintenant des philosophes croyans; il faut qu'ils soient doués d'une crédulité bien robuste, ou frappés d'un aveuglement bien incurable. Comment ce qui s'est passé depuis douze ans n'a-t-il pas dessillé tous les

yeux? Quelle est donc cette foi philosophique qui résiste à de telles épreuves? Quelle est cette espèce de fanatisme que rien ne peut vaincre et confondre?

Pour revenir à Grétry, je crois que la musique, qui est le plus vague de tous les arts, quoiqu'il soit peutêtre le plus puissant, est singulièrement propre à mettre l'esprit dans les dispositions requises pour la soumission philosophique l'habitude de ne point donner de précision à ses idées est une des préparations les plus nécessaires pour recevoir cette espèce de grâce; les philosophes n'ont point de disciples plus dociles, ni d'admirateurs plus passionnés que ceux qui ne se piquent point de raisonner avec beaucoup de justesse, et qui ne se rendent pas compte des motifs de leur croyance; quand on ne s'occupe que des sons, on peut aisément se payer de mots; ausssi, n'y a-t-il que des mots dans l'ouvrage de Grétry; pour comble de malheur, il ne sait pas les arranger aussi bien que des accords. La musique est sa véritable langue, celle des sophistes lui est étrangère; qu'il leur abandonne le soin de défendre leurs systêmes et le mérite de faire de belles phrases; sa gloire est plus pure que la leur : son nom ne rappelle que l'idée du plus charmant des arts et ne réveille que d'agréables souvenirs; les noms des écrivains qu'il envie et auxquels il voudroit s'associer, ne sont que cris de guerre, de trouble et de discorde.

Y.

V.

Catéchisme Historique de Fleury.

Ce petit ouvrage doit être mis au premier rang des

livres élémentaires; et c'est l'expérience que nous avons nous-mêmes acquise, de son utilité, qui nous engage à en faire connoître tout le prix.

Les pères qui sont jaloux de remplir leurs devoirs éprouvent souvent bien des peines à chercher ce qu'ils doivent enseigner d'abord aux petits enfans qui ne sont point encore mûrs pour l'éducation publique, mais en qui l'on voit déjà reluire un esprit qui avertit de lui donner une nourriture convenable. Les uns craignent de leur proposer une instruction trop forte; les autres appréhendent de les abandonner à des amusemens qui les dissipent et qui les énervent presque tous, redoutant les soins de l'ame, ne songent qu'à laisser croître les forces du corps, sans penser qu'on pourroit cultiver l'un et ne pas négliger l'autre. Cependant ces premiers rayons de l'intelligence humaine réclament une attention d'autant plus sérieuse, que tout le succès des études, toute la solidité du jugement et de la conduite, je dirai même tout le bonheur de la vie, dépend de la méthode qu'on aura suivie dans ces commencemens; car les principes de toute vérité, jetés dans une ame naissante, sont comme la semence confiée à une bonne terre, qui portera du fruit dans son temps. Et comme ce monde est partagé entre l'erreur et la vérité, entre la lumière et les ténèbres, qui ne voit de quelle importance il est de montrer

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