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vellement appelée mélancolie, et qui avoit autrefois un nom moins honorable? La pudeur ignore ce langage; et Mathilde mélancolique est aussi loin de son siècle que du caractère que l'auteur lui a donné. Guillaume dit à cette princesse : « L'orgueil vous a égarée; » et cet orgueil si naturel dans une femme tendre étoit fondé sur l'espoir d'attirer au vrai Dieu le superbe et généreux chef des musulmans. Clarisse s'égare aussi sur un semblable espoir; mais Richardson n'a mis dans la bouche de Clarisse aucune expression brûlante.

Madame Cottin a toujours mis trop de force dans la peinture qu'elle fait de l'amour; aussi ses tableaux produisent-ils peu d'effet l'amour, dans tous ses romans, a quelque chose qui ressemble aux tourmens de l'enfer; ce n'est point un sentiment, c'est une frénésie; et l'habitude où elle est de ne jamais accorder un moment de relâche aux malheureux qui en sont atteints, fait qu'ils inspirent plus de compassion que d'intérêt. Mathilde ne doit être que tendre; pour la montrer ainsi, il suffira à l'auteur de conformer le langage de son héroïne à la conduite qu'elle tient, et d'éviter de suivré avec trop d'exactitude les mouvemens et les progrès de l'amour qu'elle ressent pour Malek-Adhel : le roman y gagnera de l'ensemble; car, nous le répétons, il est impossible qu'un roman soit àla-fois héroïque, et consacré à peindre toutes les pensées alambiquées qui tourmentent les amans. La Calprenède et mademoiselle de Scudéri sont oubliés depuis long-temps, pour n'avoir pas senti l'importance de cette observation, et le temps viendra bientôt où trop détailler les effets de l'amour paroîtra un défaut aussi grand, et plus dangereux que de lui donner trop d'esprit, S'il est vrai que les peines du cœur soient, de toutes, les plus cruelles, comment madame Cottin a-t-elle pu se

résoudre à agiter une année la jeune et foible Mathilde, sans lui donner quelques jours d'espérance pure, de bonheur ou du moins de repos? Psyché, balottée par tous les suppôts de Pluton, est moins à plaindre que Mathilde, puisqu'elle perd bientôt le sentiment de ses douleurs et la vie; mais une année continue de tourmens et d'agitations, c'est trop pour une vierge timide: il seroit possible de la tuer à moins ; et l'auteur n'a voulu que la rendre à ses premiers vœux. Il faut toujours proportionner l'effort au but qu'on veut atteindre, et ne pas oublier la différence qu'il y a, pour les lecteurs, entre l'intérêt et la fatigue...

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Tout le secret des corrections de ce roman consisteroit à conserver l'unité d'intentions avec autant d'art que nité d'intérêt. Il ne tient qu'à madame Cottin de vouloir que Mathilde soit seulement dans le genre héroïque, pour faire un ouvrage achevé d'un livre où domine un véritable talent, et qui, tel qu'il est aujourd'hui, sera mis par tous les hommes de lettres bien au-dessus des autres productions de l'auteur.

F.

XXXIII.

Des Journaux et de la Critique.

EXAMINER si la critique est nécessaire, ce seroit remettre en question ce qui depuis long- temps est décidé; chercher les moyens de réconcilier l'amourpropre des auteurs avec la sévérité des critiques, c'est vouloir créer une espèce d'utopie, c'est un projet aussi insensé que celui de l'abbé de Saint-Pierre, aussi

chimérique, aussi imaginaire que la république de Platon. Les alchimistes qui prétendent trouver le seeret de faire de l'or, ou les mathématiciens qui courent après la quadrature du cercle, ne sont pas plus extravagans que les gens qui veulent bien tous les jours se donner la peine de dresser des codes de lois suivant lesquelles une paix universelle et perpétuelle régneroit, à les enfendre, dans la république des lettres, et l'âge d'or renaîtroit chez le peuple des écrivains. Ces gens ne ressemblent pas mal à nos anciens faiseurs de constitutions, dont les magnifiques théories n'avoient qu'un inconvénient, c'est qu'elles ne pouvoient pas être mises en pratique. Les auteurs ont l'air de faire corps entr'eux, de se tenir par la main, de s'appuyer mutuellement; mais, au fond, ils sont les uns pour les autres des critiques plus redoutables, plus malins que ceux contre lesquels ils s'unissent et déclament d'une commune voix. Chacun d'eux consentiroit trèsvolontiers que la critique devînt plus active et plus sévère, à condition qu'elle s'attacheroit à ses rivaux et qu'elle ne l'atteindroit jamais. On devroit donc bien renoncer à toutes ces diatribes dirigées contre ceux qu'on accuse de ne faire que des diatribes et des déclamations.

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Deux colonnes d'un journal ont été consacrées dernièrement à montrer les conséquences du systême de dénigrement que quelques journalistes, dit-on, paroissent avoir adopté. On voit que l'auteur de ce morceau n'a pas craint de supposer la question dans son titre même; et par ce seul titre on peut juger de tous les beaux raisonnemens qu'il entasse pour prouver sa thèse : en admettant une fois qu'il existe un systême de dénigrement, les conséquences coulent de source, et le tableau des inconvéniens et des dangers qu'en

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traîne un tel systême, se développe et s'arrange de lui-même sous la plume de l'auteur. Mais si le systéme et le dénigrement n'étoient que dans son imagination, que deviendroit tout cet édifice de considérations morales, littéraires, et même politiques, qui n'auroit d'autre base qu'une supposition gratuite? Il est visible que, dans le sens de cet écrivain, le mot systéme est synonyme de celui de conspiration, employé avec tant de justesse, il y a quelques mois par un autre ennemi (1) de la critique ; et comme il n'est pas nécessaire de prouver que l'accord de quelques gens de lettres, qui se sont réunis pour attaquer les mauvais principes et les mauvais auteurs, n'est point une conspiration, il est inutile de démontrer qu'il n'est point un systéme. Quant au dénigrement, c'est le mot à la mode parmi certaines gens. Ils sont convenus d'appeler dénigrer ce qu'on a toujours appelé critiquer; ainsi, lorsqu'on observe que les vers d'un auteur sont mauvais " ou que sa prose est plate, il dit qu'on le dénigre, il se tient pour dénigrė; ce qui signifie seulement qu'il est très-irrité de la critique, qu'il se sent blessé au vif, et que la réputation de son talent lui est aussi chère que celle de ses mœurs et de sa probité, car c'est à ces dernières qualités que s'applique convenablement le mot denigrer. Qu'un malheureux poète, après avoir lu la critique de sa pièce, jette avec dépit la feuille qui contient sa sentence, et s'écrie, dans le premier transport de sa colère: On me denigre; cela se conçoit les passions n'ont pas coutume d'employer le mot propre ; mais, que de sang-froid et avec réflexion on adopte ce mot inspiré par l'amour-propre en délire, pour en

(1) M. Suard.

faire le texte d'une longue dissertation, c'est ce qui annonce une intention formelle de dénigrer soi-même ceux à qui l'on fait ce reproche de dénigrement; c'est ce qui décèle un plan bien décidé, un véritable systême.

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Les différentes applications qui se font à présent de Ce mot convenu ne laissent d'être plaisantes. Si l'on censure par des réflexions dont la généralité éloigne toute idée de satire, le luxe excessif et dangereux des marchands d'aujourd'hui; si on les rappelle à la sûre et prudente simplicité de leurs pères, voilà tous ceux des marchands dont la conscience n'est pas bien nette, qui, de concert avec les mauvais poètes et les auteurs sifflés, prétendent qu'on les dénigre; si l'on se permet d'attaquer les travers introduits dans quelques parties de l'éducation par le changement des mœurs et le mélange de toutes les conditions, les instituteurs et les institutrices, les maîtres de rhétorique et les maîtres de danse, les professeurs de gavotte et les démonstrateurs de grammaire, s'accordent avec les rimeurs malheureux et les marchands équivoques, pour s'écrier d'un ton risible: On nous dénigre. S'élèvet-il quelqu'homme de génie qui ait fait une découverte sur la marche de l'esprit humain, qui ait trouvé le secret de montrer le latin en trois semaines, l'histoire en un mois, et l'orthographe en huit jours, c'est une nouvelle victime de ce système de dénigrement, qui ne pardonne à aucun ridicule, à aucune niaiserie, à aucun genre de charlatanisme et de friponnerie. Examine-t-on la question de savoir si ce sont les sciences ou les lettres qui contribuent le plus au perfectionnement de l'intelligence humaine, et paroît-on donner quelque préférence aux lettres, aussitôt grand bruit parmi les sayans, les géomètres, les géographes,

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