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de place que dans le martyrologe philosophique. J'ai déjà dit ce que je pensois de ces cantiques chantés dans la fournaise c'est une grande absurdité, indigne d'être offerte à une nation sensée. Cependant la narration en elle-même est éloquente; il y règne de l'imagination, de l'enthousiasme, une exaltation de sentimens et d'idées qui plaît au parterre; et considérée du côté de l'art, c'est un des morceaux les plus distingués de la pièce.

Cet ouvrage, tant applaudi, tant prôné au théâtre, n'est donc, à la lecture, quoi qu'en dise le libraire qui en a vendu six mille exemplaires, qu'une tragédie fort médiocre, avec quelques belles scènes, quelques mots, quelques tirades, mais, dans son ensemble, inférieure à la plupart des productions de Dubelloy et autres poètes qui ne sont que du troisième ou quatrième ordre.

Je donnerai incessamment un dernier article sur le style.

XXXI.

Fin du même sujet. Examen du style des

-

TEMPLIERS.

Sribendi rectè sapere est et principium et fons.

L'ART d'écrire a pour fondement l'art de penser: voilà pourquoi Boileau recommande aux auteurs d'apprendre à penser avant que d'entreprendre d'écrire, C'est de tous ses préceptes le moins pratiqué aujour

d'hui de toutes les parties de l'éducation, la plus négligée est celle qui forme le jugement, qui cultive la raison. On néglige les anciens; les jeunes gens font leurs études dans des écrivains charlatans et sophistes qui sacrifient tout à l'apparence et à l'éclat : on ne songe qu'à la broderie sans s'occuper de l'étoffe, et l'art d'écrire est devenu l'art de tromper. Ce qui contribue surtout à rendre les esprits faux, ce sont les partis, les systêmes, les factions. Le fanatisme moral, politique et littéraire, est le plus grand fléau de la société, parce qu'il est le plus grand ennemi du bon sens, et que le bon sens est l'unique source du bonheur

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les êtres qui pensent.

pour tous

Une pièce telle que les Templiers, où presque tout est mal pensé, ne pouvoit pas être bien écrite. Comment des acteurs s'exprimeroient-ils bien, lorsque, dans la situation où l'auteur les place, ils n'ont rien de bon à dire? C'est de la contexture judicieuse d'un ouvrage dramatique, c'est des motifs solides de chaque scène, que naît la vérité, l'intérêt, le naturel du dialogue, et cet enchaînement des idées, la première qualité du style. On a vanté celui des Templiers, parce qu'on s'est laissé éblouir par quelques vers brillans et maniérés :

C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent.

La tragédie des Templiers est en général mal écrite; le dialogue est faux, dur et pénible; les idées sont vagues et décousues; les expressions manquent de justesse et d'élégance: c'est une déclamation froide, une enflure qui annonce l'hydropisie et non pas l'embonpoint.

Les exemples de ces vices se présentent dès la pre`mière scène; elle n'a point de sujet, parce que les deux interlocuteurs n'ont rien à se dire, rien à s'ap

prendre : ils se rencontrent par hasard, et leur conversation doit être aussi peu suivie que celles des gobemouches qui parlent uniquement pour parler.

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Illustre chancelier, le roi que je devance
Veut que dans ce palais j'annonce sa présence.
Vous savez son dessein; avant la fin du jour
Un grand événement étonnera la cour.

Les deux derniers vers n'ont aucun rapport avec les deux premiers. Si le chancelier sait les desseins du ́ roi, le ministre n'a point de confidence à lui faire: la cour ne peut pas être étonnée d'un événement préparé depuis long-temps, et assez annoncé par la démarche que fait le roi de s'emparer du Temple.

Le chancelier ne répond point au ministre, et bat la campagne à son tour:

Ministres l'un et l'autre, il faut que notre zèle
De Philippe outragé défende la querelle:

Ces fameux chevaliers, etc.

Les Templiers, enfin, ne peuvent échapper

Aux coups dont le monarque est prêt à les frapper.

S'ils ne peuvent échapper, plus d'intrigue, plus de nœud; il n'y a plus rien à faire et à dire. ̈

S'il faut les accuser, je l'oserai moi-même.

Il y a long-temps qu'ils sont accusés : l'audace est toujours ridicule quand elle est sans danger; et le chancélier n'est qu'un fanfaron de comédie, quand il ose accuser des ennemis du roi, lesquels ne peuvent échapper. Ce chancelier est naturellement audacieux : dans la scène suivante il ose encore défendre au grandmaître de sortir du Temple où il est déjà prisonnier, VIIIe. Année.

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La reine ose aussi protéger les Templiers; mais le mot oser est ici mieux placé : Jeanne a réellement besoin de courage pour protéger les ennemis de son mari. Revenons à la première scène, où les deux ministres se parlent toujours sans se répondre. Le chancelier dit at ministre que si les Templiers sont soumis le roi sera généreux à leur égard; et le ministre répond:

Non, plus de Templiers.

Le ministre, comme s'il ne le savoit pas, demande : Qui frappera les coups?

Le chancelier oubliant qu'il a dit au ministre, en parlant du roi,

Vous savez son dessein,

lui dit :

Apprenez nos desseins :

et ce bavardage incohèrent n'est interrompu que par l'arrivée du grand-maître :

.

J'attendois le grand-maître, il s'avance vers moi.

Le grand-maître, dans son entretien avec le chancelier, est très-mauvais logicien ; il ne songe qu'à braver, et point du tout à raisonner. Voici une tirade presqu'inintelligible :

Quels que soient les projets qu'on forme contre nous,
Il importe au monarque, et, le dirai-je, à vous
A vous qui disposez de son pouvoir auguste,
Qu'on cesse à notre égard un traitement injuste.

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Quels que soient les projets qu'on forme contre nous est un contre-sens; car si le projet que le roi forme contr'eux est juste, comment lui importe-t-il de ne

pas l'exécuter? Pour parler raisonnablement, il falloit

dire, non pas

Quels que soient les projets qu'on forme contre nous;

mais plutôt on forme contre nous des projets injustes qu'il importe au roi de né pas exécuter. Le reste n'est pas plus clair.

Ce n'est pas que le roi nous puisse humi'ier;
Mais que ses serviteurs se gardent d'oublier
Qu'en ce palais encore ils parlent au grand-maître.

Si le roi ne peut pas humilier les Templiers, ses serviteurs le peuvent encore moins : c'est toujours une bravade ridicule que de faire une défense à des gens qui peuvent s'en moquer, et d'exiger d'eux des honneurs qu'ils peuvent se dispenser de rendre.

Je trouve encore moins de clarté et de justesse dans ces vers du ministre :

Quand mon fils demanda la main d'Adélaïde,
Quand la reine daignoit protéger leur bonheur,
La cour de cet hymen m'eût envié l'honneur ;
Jeune, aimable, vaillant, mon fils avoit su plaire,
Et le bonheur du fils eût fait l'orgueil du père.
Cet hymen que le roi permet en çe moment,
Ne pouvoit obtenir son auguste agrément,

La répétition du mot bonheur est une faute légère : protéger le bonheur est plus défectueux, parce que l'expression est impropre. Un bonheur dont on jouit est susceptible d'être protégé, mais non pas un bonheur qu'on espère. L'auguste agrément rappelle le pouvoir auguste que je viens de citer; c'est une épithète parasite mais le vice le plus essentiel, c'est l'obscurité, l'embarras, la tournure louche qui défigure fout ce passage.

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