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patience des auditeurs par ses éternelles parades d'héroïsme.

On seroit heureux si la fin du panégyrique du roi Philippe étoit la fin des sottises que l'auteur a bien voulu lui prêter; mais après avoir épuisé le chapitre de ses louanges, l'éloquent monarque revient à ses bons amis les Templiers. Au lieu de leur intenter un procès criminel qui répugne beaucoup à l'esprit de la chevalerie, il aimeroit mieux vider sa querelle les armes à la main :

Ah! je préférerois, noblement téméraire,
Provoquer au combat leur audace guerrière,
D'une lente victoire affronter le danger,

Les attaquer en roi, combattre et me venger.

Voilà un élan chevaleresque digne du héros de la Manche. Il n'étoit guères possible que le roi se battît seul contre tous les Templiers de France; mais il pouvoit envoyer un cartel au grand-maître, ou, ce qui eût mieux valu, marcher contre les légions du Temple, à la tête de son armée : le combat n'eût pas été long, et le roi n'eût pas affronte le danger d'une lente victoire; Jacques de Molay et ses invincibles chevaliers n'auroient pas tardé à se rendre, comme firent autrefois ceux de Saphad, de glorieuse mémoire. Se battre contre des accusés qu'on peut faire juger, cen'est pas les attaquer en roi, mais en spadassin; ce n'est pas être noblement téméraire, c'est acquérir des droits aux Petites-Maisons.

Mais voici un trait encore moins raisonnable, s'il est possible. Après avoir fait signifier au grand-maître que son ordre n'existoit plus ; après s'être emparé du Temple, Philippe ne sait encore ce qu'il doit faire; après s'être si prodigieusement avancé il est tout prêt à reculer-si

c'est l'avis de son conseil. Il dit à ses deux ministres :

Mais, d'après vos avis, si nous reconnoissons
Que nous n'avions coutr'eux que d'injustes soupçons,
avec honneur, moi-même les absoudre,

Je veux,

Il est encore temps de retenir la foudre.

Il falloit prendre les avis de son conseil, et bien examiner toutes choses avant d'envoyer des ordres au grand-maître, avant d'essuyer des refus. Philippe ne peut plus absoudre avec honneur des hommes qu'il s'est hâté de condamner, des hommes qui ont osé résister à ses lois; il n'est plus temps de retenir la foudre quand elle est déjà lancée. Il ne reste à Philippe qu'à faire juger des accusés, qu'à réduire des rebelles.

Cet acte finit donc très-foiblement. Je suis fâché qu'on présente quelquefois dans cette tragédie, comme un sot et un niais, ce Philippe qui, dans l'histoire, paroît un homme supérieur à son siècle.

Je suis honteux d'avoir employé tant de pages à l'examen d'un seul acte; mais il y avoit une foule d'idées préliminaires à établir: je pourrai maintenant jeter sur les quatre autres un coup-d'œil plus rapide.

XXX.

Suite de l'article précédent.

J'AI laissé Philippe délibérant encore dans son conseil s'il a bien fait d'abolir les Templiers. On ne daigne pas nous instruire du résultat de la délibération, et l'on nous présente, pour amuser la scène, un jeune religieux apostat qui a quitté le temple et l'habit de

templier , pour venir à Paris épouser sa maîtresse Adélaïde; mais au moment d'être un heureux époux, il se souvient fort mal-à-propos qu'il n'est qu'un malheureux moine défroqué : ses vœux monastiques l'emportent sur l'amour, sur la fortune, sur la nature : il aime mieux mourir avec ses frères les Templiers que de vivre avec sa chère Adélaïde, au sein des honneurs et des plaisirs. Il n'y a, ni chez les anciens, ni chez les modernes, un héros de cette force - là: Jacques de Molay lui-même n'en approche pas, et c'est un grand malheur pour la pièce qu'un petit personnage épisodique soit plus héroïque que le héros principal. On a trouvé ce jeune Templier sublime : il me paroît extravagant, hors de la nature et contre la nature. Qu'un jeune religieux, qui a pris le froc par dépit, et qui l'a jeté par un transport amoureux, soit saisi du fanatisme monacal au moment même où il touche au bonheur, au moment où il doit être le plus aveuglé par la passion qu'il va satisfaire; voilà ce qui est impossible, incroyable, diamétralement opposé à la marche du cœur humain. L'histoire ecclésiastique nous offre quelques martyrs qui, par un miracle de la grâce, ont fait de pareils sacrifices; mais leur enthousiasme avoit un objet véritablement divin; ils s'immoloient à Dieu, à la religion, et non pas à un entêtement insensé pour un ordre de moines que le roi très-chrétien et le chef de l'église ont l'intention et le droit de détruire. Le fils. de Marigny ne pouvoit pas être martyr d'une plus. ridicule cause; et si les spectateurs avoient quelque délicatesse de tact, quelque sentiment des convenances, ils riroient des visions de ce jeune chevalier du Temple, qui, comme un autre don Quichotte, expose sa vie et tout ce qu'il a de plus cher au monde pour

soutenir la beauté d'une laide paysanne. Toute cette momerie est indigne du théâtre : un moine qui quitte son couvent comme un étourdi, et s'en repent comme un sot, n'est point du tout un personnage tragique.

La reine Jeanne de Navarre, épouse de Philippele-Bel, ne vivoit plus à l'époque de la destruction des Templiers je ne fais pas un crime à l'auteur de l'avoir ressuscitée; mais je voudrois qu'il lui eût rendu la vie pour lui faire jouer un plus beau rôle. Cette bonne reine oublie toutes les bienséances de son rang, lorsqu'elle veut bien écouter la longue et ennuyeuse confidence des fredaines d'un fou, et lorsqu'elle lui conte elle-même ses propres affaires. Le comble de la déraison, c'est que cette pauvre princesse emploie toute son autorité pour engager le jeune Templier à se charger lui-même de l'odieuse fonction d'arrêter ses frères les Templiers. Assurément, il ne convenoit ni à la reine d'exiger une pareille complaisance, ni à Marigny de l'accorder; mais il convenoit fort à l'auteur que ce fût Marigny qui fît l'office d'exempt, parce qu'il avoit besoin de lui dans cette scène pour faire le héros il faut tâcher de n'avoir pas besoin d'absurdités pour amener une situation.

Il y a beaucoup d'indiscrétion, pour ne rien dire de plus, dans la conduite de Jeanne à l'égard des Templiers; elle ne doit pas proclamer leur innocence qu'elle ne peut pas connoître : il ne lui appartient pas de protéger si hautement des ennemis de son mari, d'invectiver contre les prêtres, et de vouloir troubler l'ordre de la justice. Ce qu'il y a de pis, c'est que tous ses mouvemens sont inutiles et tous ses discours ennuyeux.

Le roi vient ensuite déclamer contre les Templiers avec son insipide chancelier: ces diatribes, quelque

justes qu'elles soient au fond, sont indignes de la majesté royale. Après avoir bien péroré, il donne audience au connétable, autre protecteur des Templiers encore plus indiscret que Jeanne, et tout aussi inutile: son unique preuve de l'innocence des Templiers, c'est qu'ils se battent bien. Catilina se battoit bien aussi. C'est d'après leurs fameux coups de sabre que le connétable prononce :

Aucun d'eux n'est coupable: ils ne peuvent pas l'être. Le même connétable ne veut pas que des gens d'église, accusés d'impiété, soient jugés par des juges ecclésiastiques : c'est aussi un philosophe qui regarde tous les prêtres comme des monstres d'injustice et de cruauté. On peut assurer que jamais le conuétable Gaucher de Châtillon n'a parlé sur ce ton à la cour de Philippele-Bel, et ne l'eût pas fait impunément.

Ce second acte, plus foible et plus languissant encore que le premier, est terminé par ces deux vers, qui renferment la meilleure critique qu'on puisse faire de l'invraisemblance grossière de cette tragédie :

Peut-être un même jour verra tous ces proscrits
Accusés, détenus, condamnés et punis.

Voilà un exemple unique d'une justice expéditive. Il faudroit intituler la pièce, le Procès in-promptu.

Entre le premier et le second acte il ne se passe rien; même inaction absolue entre le second et le troisième, ce qui est contraire aux règles de l'art dramatique, qui veut que l'action marche dans les en

tr'actes.

Le troisième acte s'ouvre par l'assemblée des Templiers que le grand-maître exhorte à la patience, à la soumission et à la mort. Son sermon est diffus, chargé

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