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Le défaut de cette première scène, d'ailleurs régulière, est de donner une assez mauvaise idée des Templiers, et de présenter le roi leur ennemi sous le jour le plus favorable. Un autre défaut plus essentiel c'est de faire parler les ministres, tantôt comme des hommes plats et foibles, tantôt comme des philosophes. Quelle raison peuvent-ils avoir de décrier le pape Clément V, l'ami, le confident, l'associé du roi leur maître pour la destruction des Templiers? quelle est cette affectation de ne désigner ce pontife que sous le nom de prêtre ?

Un prêtre fut élu

Le prêtre ambitieux s'attendrit et s'étonne.

L'inquisiteur Guillaume de Paris, confesseur du roi, est encore plus maltraité que le pape, avec aussi peu de raison. Ce n'est pas le ministre Enguerrand, c'est M. Raynouard qui dit :

Il prêche le pardon, et ne pardonne pas.

Enguerrand ne savoit pas faire des jeux de mots et des antithèses; et d'ailleurs, ce ministre, si acharné à la ruine des Templiers, ne peut pas trouver si mauvais que le juge de ses ennemis ne pardonne point. D'ailleurs, aucun juge n'a droit de pardonner; c'est le privilége de Dieu, et des rois qui le représentent sur la terre. L'inquisiteur, comme ministre des autels, doit prêcher le pardon; comme inquisiteur, il doit juger et pardonner. Quel dommage qu'un si joli vers, fait pour réussir au Vaudeville,

Il prêche le pardon, et ne pardonne pas,

soit si puérile et si dépourvu de sens!

J'aurois désiré que l'auteur eût ennobli la causerie

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de ces deux ministres, qu'il leur eût prêté quelques idées fortes et profondes sur les coups d'état et les grandes mesures que la puissance d'une faction rend quelquefois nécessaires: mais pour prêter, il faut être en fonds. Au reste, le bavardage mesquin des deux courtisans se termine convenablement par ce vers ridicule :

J'attendois le grand-maître, il s'avance vers moi.

La seconde scène entre le chancelier et le grandmaître pouvoit être forte de choses. Le grand-maître protestant que le roi n'a pas le droit de détruire dans ses Etats une pareille corporation; le chancelier soutenant vivement la prérogative royale à cet égard, il pouvoit en résulter un dialogue vigoureux et digne de Corneille; mais il faut des reins et de la verve pour soutenir de pareilles contestations. Le grand- maître est arrogant et sec; le chancelier froid et plat. Voici un échantillon du dialogue et du tour de l'éloquence et du jugement de Jacques de Molay :

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LE CHANCE LIER.

Epargnez-vous des regrets superflus;

Obéissez au prince, il l'espère, il l'ordonne.

VIIIe. Année.

14

LE

GRAND-MAITRE.

Mais en a-t-il le droit? Quel titre le lui donne?
Mes chevaliers et moi, quand nous avons juré
D'assurer la victoire à l'étendard sacré,

De vouer notre vie et notre saint exemple
A conquérir, défendre et protéger le temple,
Avons-nous à des rois soumis notre serment?
Non; Dieu préside seul à cet engagement.

Le roi l'ignore-t-il? C'est à vous de l'instruire :
Le seul pouvoir qui crée a le droit de détruire.

Il y a dans tout ce verbiage un comique qui resulte de l'opposition du ton avec les choses: jamais on ne dit moins avec de si grands mots. Quand Jacques de Molay a juré avec ses chevaliers d'assurer la victoire à l'étendard sacré, il a fait un faux serment; car l'étendard sacré a fui devant le croissant, et Mahomet triomphe : s'il a voué son saint exemple à protéger le temple, il a violé son vou, car le temple est au pouvoir des infidèles. Cet engagement auquel Dieu seul préside n'est pas rempli : le roi ne l'ignore pas, et n'a pas besoin que son chancelier l'en instruise. Cet imbécile chancelier, très-incapable d'instruire qui que ce soit, devoit répliquer à Jacques de Molay de la part du roi: «< Allez donc, vous et vos chevaliers, ac» complir en Palestine vos sermens et vos vœux, an » lieu d'étaler votre faste et votre orgueil à Paris; allez » défendre les pélerins, combattre les Musulmans, » et périssez, s'il le faut, glorieusement sous les murs » de Jérusalem; débarrassez la France de moines » scandaleux, insolens et rebelles. » Cette petite harangue eût fort déconcerté le grand-maître et la tragédie aussi.

!

Le seul pouvoir qui crée a le droit de détruire.

Belle sentence qui prouve contre celui qui la débite;

car le pouvoir qui a permis à l'ordre des Templiers de s'établir en France, a le droit de l'en bannir quand il devient nuisible. Les Templiers prétendentils, comme les rois, ne dépendre que de Dieu et de leur épée, sous prétexte qu'ils n'ont fait de sermens qu'à Dieu ? Ils n'ont pas, sans doute, fait serment à Dieu de vivre en France dans la mollesse, au lieu de défendre les pélerins.

J'insiste sur cette scène, parce qu'elle constitue le grand-maître, dès le commencement de la pièce, dans un état de rebellion qui le rend coupable et légitime la sévérité du roi. Pour les spectateurs attentifs et judicieux, le grand-maître n'est point un innocent opprimé, mais un fanatique audacieux, un sectaire orgueilleux, qui brave l'autorité et méconnoît l'esprit de la religion, lequel est un esprit de douceur, d'humilité et d'obéissance......

Le grand-maître, après avoir dit son dernier mot, se retire, et le chancelier renoue la conversation avec le ministre; ils s'entretiennent encore de leurs dangers, comme deux valets de comédie qui ont peur des étrivières si leur stratagême échoue. Cependant on apprend dans cette troisième scène que le ministre a un fils de retour dans sa patrie après une longue absence; ce qui complète l'exposition.

Le roi arrive, et le chancelier lui fait part de la désobéissance du grand-maître. Philippe, comme s'il n'avoit pas entendu ce qu'on lui dit, répond qu'il a de la peine à croire que les Templiers soient des traîtres et des impies; et pour savoir à quoi s'en tenir, il interroge le fils de Marigny, arrivant de la Palestine, comme si ce jeune homme qui arrive pouvoit être instruit de la conduite des Templiers à Paris. On trouveroit difficilement ailleurs un dialogue aussi f1ux,

une manière plus mal-adroite d'amener un récit; et malheureusement les exemples en sont communs dans cette tragédie.

Le jeune Marigny, interrogé sur les Templiers, fait un éloge emphatique de leur valeur, et dément ensuite cet éloge par un trait historique qui n'est pas brillant. Trois mille Templiers enfermés dans les murs de Saphad se rendirent aux Musulmans : les Musulmans eurent grand tort sans doute de les égorger; mais les Templiers eurent bien plus grand tort de se rendre. Le jeune orateur termine sa narration par cet hémistiche qu'on applaudit toujours je ne sais trop pourquoi :

Sire, ils étoient trois mille!

car c'est plutôt une épigramme sur les trois mille qui se rendirent que sur les ennemis qui les égorgèrent. On ne pouvoit guère plus mal choisir un fait pour louer les Templiers; et le choix est d'autant plus malheureux, que le jeune Marigny raconte ensuite une autre histoire, où le grand-maître des Templiers leur ordonne expressément

De mourir plutôt que de se rendre.,

Le roi répond très-sensément qu'on peut savoir fort bien se battre, et n'en être pas pour cela meilleur sujet. Mécontent de toutes ces histoires, qui ne vont point au fait, le monarque entame la sienne; il vante ses victoires sur le pape Boniface, sur les Anglais, sur les Flamands. Ce long panégyrique est indécent et fastidieux dans sa bouche; il n'y a que le grandmaître, dans cette pièce, qui ait le droit d'être fanfaron et de préconiser jusqu'à la satiété son courage, sa vertu, sa piété, son innocence, sans lasser la

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