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termes! Lequel est le vrai philosophe, de celui qui respecte les mœurs ou de celui qui les corrompt; de celui qui sait s'arrêter dans les limites des convenances, ou de celui qui les viole; de celui qui peut avec gloire signer son ouvrage, ou de celui qui est obligé de cacher sa honte dans les ténèbres et sous le voile de l'anonyme? Le titre d'abbé ne fait rien ici : quand même Barthélemy n'auroit point porté ce titre, il avoit un esprit trop juste, un jugement trop sain, un cœur trop honnête, un sentiment trop vrai des bienséances, pour entraîner son lecteur avec lui dans la fange d'une érudition obscène, et pour souiller sa plume et son imagination des turpitudes ramassées avec tant de soin par l'auteur des Courtisanes voyez Buffon, lorsqu'il parle des mystères de la nature; quelle circonspection, quels sages ménagemens, quelle crainte d'offenser la pudeur, quel soin de concilier ce qu'il devoit à la science avec ce qu'il se devoit à lui-même! Apparemment l'auteur de l'Histoire Naturelle n'étoit pas un philosophe!

Voilà donc ce que certaines gens entendent par le mot de philosophie! Ce nom, jadis si saint, n'est dans leur bouche que le synonyme d'impudence, de cynisme, d'immoralité, de libertinage, de mépris de tout ce qu'il y a de sacré au monde ; ils se croient philosophes, quand ils ont outragé grossièrement la pudeur, quand ils se sont mis au-dessus de tout respect humain, quand ils ont détruit dans leur coœur le sentiment de la honte. Ils se disent philosophes, quand ils ont miné, sapé, ébranlé toutes les bases de la vertu, quand ils ont travaillé à renverser les fondemens sur lesquels repose tout le systême social: ils font de la philosophie une furie armée de flambeaux et de poisons, qui semble avoir juré la ruine du genre humain, ou une

syrène qui sème des piéges sous les pas de la jeunesse, et qui appelle d'une voix douce et perfide ceux qu'elle veut précipiter dans le fond des abîmes: mais les vrais philosophes les renient et les méprisent comme une race bâtarde et dégénérée, comme une engeance réprouvée qui s'efforce de conserver un nom qu'elle déshonore. C'est en vain que l'auteur cherche à s'étayer de l'autorité du sophiste Bayle, qui prétend « qu'il s'est » toujours conservé dans la république des lettres un » droit ou une liberté de publier des écrits de cette nature, et qu'on ne doit pas juger de la vie des > auteurs par leurs écrits; qu'il y a des poètes qui ne » sont pas chastes dans leurs vers, et qui le sont dans » leurs mœurs, etc. »..... Qu'importe? il s'agit bien de cela! ce ne sont point les mœurs d'un auteur que j'examine, c'est son livre et le mal qu'il peut faire : que l'homme soit honnête, je le veux bien; l'écrivain n'en est pas moins coupable envers la société. Bayle donne une longue liste d'auteurs obscènes, qui n'en ont pas moins joui des faveurs des gouvernemens, et de la bienveillance de leurs concitoyens : qu'en faut-il conclure? sinon que les hommes sont indulgens envers ceux qui les corrompent; sinon que par un aveuglement déplorable ils accordent au talent le prix qui n'est dû qu'à la vertu........... « Les Hollandais, ajoute-t-il, jette»roient la pierre sur quiconque voudroit diffamer » Secondus sur le pied d'un scélérat ou d'un fripon, » sous prétexte qu'il a fait des vers lascifs jusqu'à » l'excès..... » Toujours du vague; c'est la manière des sophistes il y a scélérat et scélérat; on n'apprécie pas un voleur sur le pied d'un assassin; la question est donc de savoir dans quelle classe on doit ranger le délit incontestable d'un auteur licencieux; d'ailleurs, quand on juge un criminel, le tribunal n'examine pas VIII. Année.

s'il a des qualités estimables, qui souvent se concilient avec le vice, s'il est chaste, tempérant, secourable; il ne voit que le crime dont il est accusé : mais encore faudroit-il distinguer. Je ne mettrai point, par exemple, sur la même ligne, le poète à qui il échappe quelques épigrammes libertines, et l'auteur qui compile longue→ ment, pesamment et froidement, de scientifiques obscénités. Bayle a raison de dire que ces épigrammes ne sont ordinairement que des jeux d'esprit ; mais il m'est impossible de voir un jeu d'esprit, un badinage de poète, dans une lourde compilation; ajoutons qu'il y a de mauvaises actions qui sont, pour ainsi dire, épisodiques dans la vie d'un homme, tandis qu'il en est d'autres qui tiennent à tout le systême de la conduite, et qui ont leurs racines dans un cœur profondément corrompu. La Fontaine était sans doute un honnête homme, à ses torts près qu'il a bien expiés; mais que puis-je voir dans l'auteur de Justine et dans son continuateur, sinon des scélérats que les lois devroient marquer au front d'un fer rouge.

Ah! c'étoit sans doute un spectacle touchant, et qui auroit attendri Bayle lui-même, que celui du grand La Fontaine, chargé d'années et de gloire, demandant pardon à Dieu et aux hommes, en présence de l'Académie française et de la foule qui s'étoit introduite chez lui, de quelques contes échappés à son imagi nation naïve et à sa simplicité presqu'enfantine. Cet illustre vieillard, couvert de cheveux blancs, expie, par ses larmes et par ses aveux, les torts de son génie et les jeux de sa muse; il fait amende honorable, et prononce à haute voix, à genoux devant le viatique, des paroles qui doivent retentir aussi loin que sa renommée; et c'est la religion, protectrice et conservatrice de l'ordre social, qui veut que son repentir ait la mème publicité que sa faute!

Je reviens avec dégoût à l'auteur des Courtisanes. L'apologie dont il a cru avoir besoin, se tourne contre lui et le condamne; et quand on ne considéreroit son ouvrage que sous le point de vue de l'érudition, encore ce livre seroit-il regardé comme d'un très-mauvais goût; car l'érudition elle-même a ses limites. Quos extrà citràque nequit consistere rectum.

Y.

IV.

D'un ouvrage Philosophique de Grétry (1).

MADAME de Sévigné disoit, en parlant de LaFontaine : «Je voudrois faire une fable qui lui fît entendre combien il est misérable de sortir de son genre, et combien la folie de vouloir chanter sur tous les tons fait une mauvaise musique. » Il est rare, en effet, que les hommes qui ont le plus d'esprit et de talent, soient capables de se bien juger eux-mêmes : il suffit quelquefois de briller dans un art, pour se piquer d'exceller dans un autre; on va même jusqu'à mépriser les dons de la nature, jusqu'à estimer ses prétentions plus que son génie. Peu content de la gloire qu'il s'est acquise comme musicien, Grétry aspire au titre d'écrivain et de philosophe; il jette la lyre qu'il sait si bien manier, pour prendre la plume, instrument nouveau rebelle entre ses doigts. On ne peut s'empêcher de rire, quand on le voit dédaigner la réputation dont il jouit comme

(1) De la Vérité ; ce que nous fúmes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être ; par André-Ernest-Modeste Grétry, membre de l'Institut national, etc.

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artiste, et se flatter que la postérité s'occupera beaucoup plus de son livre que de ses opera las de n'être compte que parmi les grands compositeurs, il s'irrite contre son siècle, qu'il suppose décidé à ne voir en lui qu'un rival des Piccini et des Sacchini; il en appelle fièrement aux races futures; et sur quel fondement sont appuyées ces ambitieuses prétentions? Sur un ouvrage qui n'est qu'un tissu d'erreurs et d'extravagances, sur un fatras prétendu philosophique dont on n'auroit pas même parlé, si le nom de l'auteur ne réveilloit l'attention.

Lorsque Grétry composa ses mémoires sur la musique, il étoit maître de sa matière, il rendit bien des idées qu'il avoit bien conçues; mais en changeant de sujet, il a changé totalement de style. Ce nouvel ouvrage est également mauvais, et pour la forme et pour le fond : l'auteur ne s'entend point lui-même, et ne se fait point entendre à ses lecteurs; l'obscurité, la diffusion, le désordre de sa diction égalent la faus-, seté et la bizarrerie de ses pensées : c'est un ramas de tout ce que la philosophie révolutionnaire a imaginé de plus absurde et de plus ridicule; c'est une production essentiellement empreinte du caractère de la désans aucune trace de talent; ce sont trois gros volumes de rêveries et de pauvretés inconcevables, où l'on ne trouve pas une seule page capable de faire excuser un tel excès de déraison : l'auteur, dans tout le cours de son délire, n'a pas eu un seul moment lucide.

mence,

On a pu remarquer, dans la révolution, que les artistes, en général, ont montré beaucoup d'enthousiasme pour les nouvelles doctrines : une imagination exaltée par l'étude des arts, jointe à un esprit peu cultivé, en a fait d'ardens sectateurs des systêmes à la

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