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XXVI.

DU DIVORCE considéré au dix-neuvième siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de société; par M. de Bonald.

LA

A première édition de cet ouvrage a paru au moment où les législateurs alloient prononcer sur la grande question du divorce. Elle étoit faite pour éclairer leur détermination et discuter leur projet de loi. Mais quoique le désir de l'auteur n'ait pas été rempli, il n'en est pas moins vrai que tous ses frais d'éloquence et de raison ne sont pas entièrement perdus. Il semble même que son ouvrage n'en devient que plus nécessaire; car c'est précisément parce que le divorce est aujourd'hui permis par la loi, qu'il importe plus de montrer que la loi ne le légitime point; que tout ce qui est légal n'est pas pour cela licite; que la conscience a aussi ses décrets, sur lesquels ceux des hommes ne peuvent point avoir d'empire; et que, quelles qu'aient été les raisons qui ont pu déterminer les législateurs à rendre cette loi de pure police, il n'en reste pas moins vrai que le divorce est contraire essentiellement aux intérêts de la société, aux principes de la morale et aux préceptes de la religion.

D'ailleurs, c'est rendre hommage aux législateurs, favoriser leurs intentions, et entrer dans leurs vues; car si la lettre de la loi autorise le divorce, son esprit le désavoue. C'est ce qu'attestent les nouvelles limites, et ce surcroît d'entraves qu'ils ont donné à cette triste faculté; bien convaincus que moins les hommes en pro

fiteront, plus l'ordre social y gagnera. Tant le divorce est odieux, que le plus grand honneur que puissent lui faire ceux même qui ont cru sage d'en accorder la faculté, c'est de le regarder comme un mal nécessaire, et une atteinte forcée portée à la sainteté du mariage.

M. de Bonald a employé contre le divorce, et des raisonnemens fondés sur une profonde métaphysique, et une éloquence dont les traits seront cités à côté de ceux de nos plus grands modèles. Les raisonnemens. abstraits s'adressent à peu de personnes; mais tout le monde sentira les forces des démonstrations morales semblables à celles qu'on va lire.

Ecoutons-le d'abord dans son discours préliminaire, où il combat avec tant d'avantage les systêmes des philosophes du dernier siècle, et sur-tout de Jean-Jacques, détruire les sophismes dont ce dernier a étayé son opinion, que toutes les mères doivent nourrir leurs enfans.

«La femme, dit-il, comme la femelle des animaux, a la faculté d'allaiter son enfant; mais cette faculté nécessitée dans l'animal qui ne peut pas se faire remplacer par d'autres, est dans la femme purement volontaire; et ce devoir, car il peut en être un, est soumis à une foule de circonstances qui en modifient l'obligation. J. J. Rousseau emboucha la trompette, et l'on eût dit

que jusqu'à lui toutes les femmes avoient été des mères dénaturées, et tous les enfans de malheureux orphelins. Dans la ferveur de son zèle philosophique, cet homme si sensible n'examina pas si les causes morales qui développent la sensibilité de l'homme, mulles chez l'animal, ne pouvoient pas vicier le lait de la mère, dans ces conditions sur-tout, où l'homme moins occupé de travaux domestiques que de soins publics, et de besoins que de sentimens, plus exposé aux peines de la vie, parce qu'il en goûte plus les douceurs, a le

cœur plus foible aux affections douloureuses, et l'ame plus ouverte aux funestes impressions des passions; et J. J. Rousseau, de par la nature, fit un devoir à toutes les mères de nourrir elles-mêmes leurs enfans comme les femelles des animaux, et par la même raison. Peut-être même il crut avoir pris en défaut la religion, qui', se contentant d'inspirer aux femmes des désirs modérés, et de les défendre de toute affection étrangère, par le devoir qu'elle leur fait d'une vie modeste et occupée, les place naturellement dans une situation où l'allaitement de leurs enfans est sans contrariété pour elles et sans danger pour eux, et qui, peut-être, portant ses vues plus loin, craint dans certaines conditions, tout ce qui peut servir à de jeunes époux de cause ou de prétexte à vivre séparés, même momentanément. Il est vrai que J. J. Rousseau parle, et même éloquemment, des devoirs domestiques, et déclame contre les arts, et même, car il outre tout, contre les sciences; mais en même-temps, tel est le désordre des idées que la religion n'ordonne pas, il faisoit des opéra et des romans, et de tous les romans, celui qui a le plus égaré l'imagination des femmes et corrompu leurs cœurs. Quoi qu'il en soit, à force d'entendre parler de l'allaitement comme d'un devoir, les femmes en firent une mode favorable à la beauté, comme elle l'avoit été aux déclamations du sophiste, et des mères amollies ou passionnées, qui, en sacrifiant à la mode, ne vouloient rien prendre sur leurs plaisirs, pas même sur leurs désordres, transmirent à leurs enfans, avec leur lait, leur épuisement ou l'âcreté de leur sang, et leur préparèrent une mort prématurée ou une vie languissante. Des races utiles et respectées en furent éteintes ou affoiblies. Beaucoup de mères périrent victimes de leur goût pour la nouveauté bien plus que de leurs

devoirs; et plus d'une femme, forcée de renfermer sa douleur, empoisonna son fils, parce qu'elle avoit perdu.

son amant.

L'inconvénient de cette confusion d'idées et de devoirs est sensible. On ne doit à l'être physique qu'en considération de l'être moral; et le devoir de l'allaitement peut être suppléé, pour l'homme, même par l'animal. Mais les devoirs envers l'être moral, ces devoirs, dont la philosophie peut bien parler dans ses déclamations fastueuses, mais dont la religion seule inspire la volonté et donne le courage, sont des devoirs absolus, indépendans des temps, des hommes et des lieux, et des devoirs dont rien ne dispense. Or, la philosophie affoiblissoit tous les jours le respect pour la religion; et les femmes qu'elle infatuoit de sa doctrine, fières de remplir le devoir facile de donner leur sein à un enfant bien atourné, étoient bien éloignées de se dévouer au devoir obscur et pénible de sacrifier leur temps à son instruction, et leurs goûts au bon exemple qu'elles lui devoient.

Les pères et les mères, considérés par la philosophie comme des mâles et des femelles, ne considérèrent leurs enfans que comme leurs petits. Des. affections que la raison ne dirigea plus, et une éducation domestique molle et sans dignité, prirent la place de ces relations d'autorité et de soumission entre les enfans et leurs parens, dont la génération qui finit a vu, dans son jeune âge, les dernières traces. Des enfans qui avoient dans l'esprit des idées d'égalité avec leurs parens, et dans le cœur des sentimens d'insubordination à leurs volontés, se permirent en leur parlant le tutoiement qui, dans notre langue, adressé à l'homme, exprime la familiarité ou le mépris; et les parens qui avoient la conscience de leur foiblesse,

n'osant pas être les maîtres, aspirèrent à être les amis, les confidens, trop souvent les complices de leurs enfans....

» Tout devint foible dans les affections humaines, et sur-tout la douleur. Des hommes qui ne se voyoient que par les sens, crurent tout perdu quand ils cessèrent de se voir. La douleur fut immodérée, et par conséquent fastueuse et peu durable: plus d'un veuvage commença par des résolutions de suicide, qui finit, et même trop tôt, par de secondes noces. Je ne sais quelle douleur païenne s'attachant à de vains restes d'une personne chérie, remplaça chez des chrétiens ces douleurs profondes, mais pleines d'une consolation d'immortalité que la religion entretient, même par ses pratiques. On joua, pour ainsi dire, avec la mort ; on la porta en collier et en bracelet; elle fit parure elle fut meuble (1): et quelquefois un époux, dans ses hypocrites douleurs, fit embaumer le cœur qu'il avoit profondément blessé. »

Plus loin l'auteur trace un tableau des avantages que la religion chrétienne procure aux hommes, et il le termine par un parallèle de sa doctrine avec celle de la philosophie sur l'homme et sur la société politique.

«La religion, dit-il, met l'ordre dans la société, parce qu'elle donne aux hommes la raison du pouvoir et des devoirs. Le chef de la société, qui connoît lá source de son pouvoir, l'exerce avec confiance et par conséquent avec force; et comme Dieu, dont il procède, il ne connoît de bonté que la justice; et le sujet, certain du motif de ses devoirs, obéit sans murmure et

(1) Nous avons vu proposer de faire des ustensiles de verre ou de porcelaine de la cendre de ses parens; et une ordonnance de police a permis, il y a peu d'années, à une mère de faire brûler le de sa fille, et de recueillir ses cendres, à la manière des païens.

corps

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