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FRANÇAIS

AU XIXE SIÈCLE,

OU

VARIÉTÉS MORALES,

POLITIQUES ET LITTÉRAIRES,

RECUEILLIES DES MEILLEURS ÉCRITS PÉRIODIQUES,

PHILOSOPHIE.

I.

Sur un Recueil intitulé : Le Génie de Bossuet.

ON

N ne peut songer à ce grand nombre d'ouvrages que Bossuet a composés, et qui sont, pour ainsi dire, tombés dans l'oubli, sans s'affliger de voir tant de génie perdu; car il n'est rien sorti de la plume de ce grand homme, qui ne porte un caractère marqué de force, de sublimité, de supériorité; rien où ne soit empreint l'ongle du lion. On a dit de Démosthènes, qu'il ne pouvoit qu'être sublime: on peut également le dire de Bossuet; quelque sujet qu'il traite, il y imprime la grandeur de son génie, qui toujours s'élance vers les pensées les plus élevées et les méditations les plus transcendantes. Ce qui distingue éminemment cet étonnant écrivain, VIIIe. Année.

c'est que l'inspiration ne l'abandonne jamais : d'autres l'implorent sans cesse, et l'obtiennent par intervalle ; pour lui, il ne semble pas même avoir besoin de l'invoquer : elle le sert, en quelque sorte, à son insu; elle est toujours présente; on diroit qu'elle est inséparable de ce génie si heureux et si extraordinaire : aussi, soit qu'il raconte au genre humain la suite merveilleuse des destinées de l'homme; soit qu'il montre, dans ses immortels discours, le néant des grandeurs à côté de leur orgueil; soit qu'il développe, dans ses dissertations et dans ses traités, les titres et les preuves du christianisme, quelle marche, ou plutôt quel vol! quelle hauteur de vues! quelle magnificence d'expressions! quelle création de langage! quelle irrésistible véhémence! quelle rapidité victorieuse! Non, il n'a été donné à aucun mortel de planer dans une sphère plus inaccessible aux efforts et aux élans du vulgaire, et de manier avec un empire plus absolu les foudres de la parole fouillez dans les archives du génie, où trouverez-vous un historien plus éloquent, un philosophe plus profond, un orateur plus énergique et plus sublime Bossuet? On ne sauroit parler de lui, sans chercher à le louer, et pourtant on sent toujours qu'il est audessus de la louange.

que

Pourquoi tant d'ouvrages de Bossuet sont-ils aujourd'hui confondus dans la foule et la poussière des livres qu'on ne lit plus? Parce que les opinions, les intérêts, les mœurs ont changé. Pourquoi lit-on avec si peu de plaisir, ou, plutôt, pourquoi néglige-t-on absolument des chefs-d'œuvre d'éloquence et de génie, tels que les Harangues de Démosthènes et la plupart des Discours de Cicéron? Parce que, pour les entendre et pour s'y plaire, il faudroit n'être pas absolument étranger aux intérêts d'Athènes et de Rome.

Ecoutez Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, à l'article Bossuet : « On a de lui, dit-il, cinquante-un » ouvrages ; mais ce sont ses Oraisons Funèbres et son » Discours sur l'Histoire Universelle, qui l'ont conduit à » l'immortalité. » Cette phrase ne dit rien que de vrai : la plupart des gens de lettres, les gens du monde, le public, enfin, ne connoissent aujourd'hui de Bossuet que ses Oraisons Funèbres et son Histoire Universelle; ce sont là les premiers de ses titres, les véhicules les plus puissans de sa réputation, les plus sûrs garans de sa gloire. Cependant la tournure dont Voltaire s'est servi pour exprimer cette vérité, n'est pas exempte de la malice ordinaire à cet écrivain, et renferme une sorte de réticence qui veut faire entendre plus qu'il ne dit. Il ne marque pas clairement son mépris pour la plupart des cinquante-un ouvrages dont il parle; mais il l'indique, il l'insinue, et on le conclut aisément : il y a là une petite particule, un mais, qui vaut toute une page et tout un discours. En avouant que les Oraisons Funèbres et le Discours sur l'Histoire Universelle ont conduit Bossuet à l'immortalité, le fidèle historien fait très-facilement deviner qu'il faut regarder les quaranteneuf autres ouvrages à-peu-près comme non-avenus, ou du moins comme très-indignes de partager la gloire des chefs-d'œuvre qu'il excepte avec une équité si admirable.

Toutefois, les connoisseurs qui écoutent leur jugement plus que leurs passions, et qui prononcent en connoissance de cause, conviennent tous que si les traités, les dissertations, les ouvrages de controverse, sortis de la plume féconde et intarissable de Bossuet, n'ont pas un caractère d'intérêt aussi vif, aussi puissant et aussi étendu que l'Histoire Universelle et les Oraisons Funèbres, ils n'en sont pas moins marqués du cachet

de ce rare et prodigieux génie à qui il a été donné d'être toujours fort, dans quelque genre qu'il voulût déployer ses ressources. J'ose même affirmer qu'on est très-loin de connoître Bossuet tout entier, quand on ne connoît que ses Oraisons Funèbres et son Discours sur l'Histoire Universelle. En lui, le théologien profond est au niveau du grand historien et de l'orateur véhément et sublime. Et qu'on ne se figure point ici un argumentateur exercé seulement aux luttes et aux disputes de l'école, un dialecticien hérissé de toutes les armes que fournissent l'étude et l'art du raisonnement; il faut se représenter l'esprit le plus vaste, envisageant sous le point de vue le plus étendu tout l'ensemble du christianisme, comprenant dans sa pensée toutes les parties, tous les rapports, et, si je puis m'exprimer ainsi, tous les ressorts de ce grand systême religieux. La Bruyère, dans son discours à l'Académie, donne à Bossuet le titre de Père de l'Eglise. D'Alembert, dans l'Eloge de ce grand Orateur, semble se plaire à répéter cette louange elle est pourtant fondée, en grande partie, sur ces productions ignorées et dédaignées. Quand Bossuet n'auroit pas fait son Histoire Universelle et ses Oraisons Funèbres, quel homme encore seroit celui qui auroit mérité d'être regardé, au dixseptième siècle, comme une des plus vives lumières du christianisme, et d'être appelé un Père de l'Eglise!

On doit savoir gré à l'auteur de ce Recueil d'avoir cherché à remettre en honneur tant de beautés si injustement oubliées. Il s'en faut pourtant bien que sa collection réponde au titre dont il l'a revêtue. Un choix de morceaux détachés, de pensées isolées, ne sauroit donner qu'une idée très-imparfaite des compositions du génie : c'est dans les plans généraux de ses ouvrages, dans l'ensemble de ses conceptions, dans la liaison de

ses vues, qu'il fait sur-tout éclater sa force et sa puissance. On voit tout le génie de Bossuet dans une seule Oraison Funèbre de quelques pages; on n'en aperçoit qu'une partie dans ce Recueil, qui forme un assez gros volume. Mais je ne veux pas trop chicaner l'auteur sur son titre : Esprit, Génie, tels sont les noms qu'on a coutume de donner à ces sortes de répertoires, dont la rédaction n'exige que fort peu d'esprit, et encore moins de génie. Le titre est une affaire de librairie beaucoup plus que de littérature. Les matériaux sont ici très-bien choisis, très-bien classés, rassemblés avec: jugement sous un certain nombre de titres, qui ont fourni à l'auteur le moyen de lier des morceaux épars, pris çà et là dans les divers ouvrages de Bossuet. En un mot, c'est un des meilleurs Esprits, ou un des meilleurs Génies, comme on voudra, qui aient été publiés depuis long-temps; et si l'on pouvoit faire quelque observation critique sur ce Recueil, ce seroit une observation qui s'applique à tous les ouvrages du même genre: ils ont toujours quelque chose d'incomplet et de tronqué qui fait peine, et qui tourmente d'autant plus les bons esprits, que l'auteur dont ils offrent l'extrait a été plus fécond, et s'est illustré par un plus grand nombre de productions. Quand on pense, en parcourant ce volume, aux cinquante-un volumes de Bossuet, on se représente nécessairement toutes les excellentes. choses que le rédacteur a été forcé d'omettre, et l'on se sent un peu affligé de voir ce génie colossal réduit à des dimensions si étroites et si mesquines.

Il semble qu'il faudroit réserver le systême des Esprits pour les auteurs qui n'en ont pas eu beaucoup. Il y a, dit-on, peu de mauvais ouvrages dans lesquels il ne se trouve quelque chose de bon. Ce seroit une epération bien entendue que d'aller chercher, dans

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