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de spectacle, de religion, de malheur et de nature, est bien le galimatias le plus assommant que l'on connoisse au théâtre; en un mot, c'est cette malheureuse Olympie, qu'on n'entendit jamais sans bâiller, et qui endormit tout le monde à l'Opéra, il y a quelques années, dans une représentation à bénéfice; ce qui n'empêche pas que tout bon Voltairien ne la préfère à Athalie. Cette espièglerie n'est point un tour de force de jeune homme; c'est le dernier effort d'un vieux poète.

Mais écoutons encore une fois les adulations de d'Alembert, et il ne nous restera aucun doute sur les projets de sa secte: « Oui, en vérité, mon cher » maître, notre théâtre est à la glace; il n'y a dans la

plupart de nos tragédies ni vérité, ni chaleur, ni » action, ni dialogue : donnez-nous vîte votre œuvre » des six jours..... Vos pièces seules ont du mouvement » et de l'intérêt..... Je vous demande de nous faire voir, » ce qui ne tient qu'à vous, qu'en fait de tragédies nous » ne sommes encore que des enfans bien élevés, et les >> autres peuples de vieux enfans. Votre réputation » vous permet de risquer tout; vous êtes à cent lieues » de l'envie : osez, et nous pleurerons, et nous frémi>> rons, et nous dirons: voilà la tragédie, voilà la >> nature! Corneille disserte, Racine converse, et vous

» nous remuerez. >>>

Jamais charlatan ne s'est mieux démasqué. La conspiration contre notre scène et le projet de la souiller des horreurs anglaises n'est-elle pas claire? Corneille et Racine sont froids; ils n'ont ni action,

ni dialogue. Quels monstres faut-il donc pour remuer ces cœurs endurcis par la sagesse e? Des revenans sans doute, des sorciers, des enchantemens, des cachots, des potences, des bourreaux, l'exécution des hautes

œuvres avec tous ses agrémens. Je crois, en effet, que si on rouoit vif un homme sur la scène, on frémiroit encore plus qu'au cinquième acte de Rodogune. On ne peut s'empêcher de rire, lorsqu'on entend le philosophe d'Alembert demander à Voltaire cette misérable et soporifique Olympie, cette œuvre des six jours, indigne de voir le jour, comme le modèle d'un nouveau genre de tragédie bien supérieur aux dissertations de Corneille, aux conversations de Racine. Madame de Sévigné étoit bien sotte de frissonner d'admiration à ces tirades où, suivant d'Alembert, Corneille ne fait que disserter. A quoi pensoit ce grand philosophe, quand il proposoit à un vieillard de soixante-sept ans, tel qu'étoit alors Voltaire, et déjà incapable de produire quelque chose qui approchât des ouvrages de sa jeunesse, de réformer la tragédie, et de la porter fort audelà du terme où Corneille et Racine l'avoient conduite? Il faut rire de ces extravagances, et non pas les réfuter; mais elles ont du moins l'avantage de nous faire savoir à quoi nous en tenir sur le goût et les principes de l'école de Voltaire, et sur son respect pour les grands hommes qui ont fait la gloire de notre littérature.

La seule chose qui soit raisonnable dans ce délire, c'est l'observation de d'Alembert sur l'aveuglement de la nation et sur son engouement pour Voltaire. Cet auteur, en effet, pouvoit tout risquer impunément, il pouvoit tout oser; on se prosternoit devant ses moindres facéties: aucun souverain ne fut jamais plus idolâtre. Il jouoit en Europe le rôle du grand Lama en Tartarie. On sait que ce dieu terrestre envoyoit aux monarques du Thibet de petits sachets pleins de ses ordures pulvérisées, et que ces princes, aveuglés par la superstition, recevoient cet étrange présent avec

une profonde vénération. Les petits pamphlets de Voltaire ressembloient assez aux petits sachets du grand Lama : les grosses bouffonneries du vieillard en goguette étoient adorées comme les oracles sacrés d'une philosophie divine. D'Alembert s'est cependant trompé sur le sort des dernières tragédies de Voltaire; il est à-peu-près le seul qui ait admiré les Scythes, les Guèbres, les Lois de Minos, Irène, Agathocle, etc. le reste du monde a mis ces pièces au-dessous même d'Agésilas et d'Attila. G.

XIX.

De la Littérature considérée dans ses rapports avec les Institutions sociales; par madame de Staël Holstein.

PERSONNE n'est plus disposé que moi à rendre hommage à l'érudition de madame de Staël; mais j'aurois désiré qu'elle en fît un meilleur usage. Elle-même fournit un terrible argument contre sa doctrine; car il y a bien plus de sens et de raison dans les Lettres de madame de Maintenon, écrites depuis plus d'un siècle, qu'on n'en trouve dans ces traités philosophico-littéraires qui viennent de paroître : on n'y aperçoit assurément aucune trace de l'amélioration de l'esprit humain.

C'est insulter à la philosophie, que de la confondre avec je ne sais quel fanatisme mille fois plus aveugle que le fanatisme religieux; une métaphysique entortillée, et les vapeurs d'un cerveau exalté par une

imagination mécontente, n'ont rien de commun avec la raison le fondement de la philosophie, c'est la connoissance du cœur humain, et c'est la première science qui manque aux enthousiastes de bonne foi, qui ont prétendu nous donner leurs rêves pour des découvertes philosophiques. Quant aux fripons en très-grand nombre, qui n'ont étalé, leur fastueuse. morale que pour faire des dupes, ceux-là n'ont que trop bien connu les hommes et leur siècle.

« Les femmes, disoit J. J. Rousseau, n'aiment aucun art, ne se connoissent à aucun; elles ne savent ni sentir ni peindre l'amour. » Ces assertions sont très-hasardées; mais c'est un fait, qu'aucun bon ou vrage de politique ni de littérature n'est sorti de la main d'une femme. Madame Dacier n'avoit qu'une érudition pédantesque : celle de madame de Staël est plus vaste, plus étendue, et surtout plus polie, mais elle n'en est pas plus éclairée. Madame Dacier étoit aveuglée par l'adoration superstitieuse des anciens ; madame de Staël est égarée par la manie philosophique il me semble même que l'engouement pour Homère et Sophocle est bien plus excusable que le fanatisme pour Ossian et Shakespear.

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Le véritable moyen de se tromper dans toutes les sciences, c'est de commencer par adopter un systême. Combien d'écrivains très - instruits, surtout dans le genre de l'histoire, n'ont accumulé d'immenses recherches que pour étayer un préjugé favori dont ils s'étoient entêtés? Il est arrivé à madame de Staël, dans la philosophie, précisément la même chose qu'à, Boulainvilliers et à l'abbé Dubos, dans l'histoire ; elle a composé trois gros volumes pour appuyer un faux systême. Il a du moins cet avantage, que, s'il a coûté beaucoup à établir, il est très-facile à renverser: VIII. Année. 8

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il ne faut que regarder autour de soi pour en apercevoir le vide; le premier coup-d'œil suffit pour nous prouver que la raison humaine ne se perfectionne pas avec le temps, et l'on a de la peine à concevoir comment une femme de beaucoup d'esprit a pu se coîffer d'une pareille chimère.

Molière, ce philosophe sublime, cet oracle du bon

sens,

plus d'un siècle avant que madame de Staël écrivît, avoit pulvérisé d'un mot tout cet étalage de métaphysique, lorsqu'il fit dire au bon Chrysale:

Raisonner est l'emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en banuit la raison.

Quand j'oppose à tout ce bavardage qu'on appelle philosophique, l'axiôme de cet honnête bourgeois, il me semble voir ce Turc dont parle Rousseau, qui, après avoir long-temps écouté avec beaucoup de patience le vain babil d'un Français, ôte sa pipe de sa bouche et l'écrase d'une sentence.

Comment madame de Staël n'a-t-elle pas su distinguer la raison d'avec le raisonnement, la vérité d'avec les idées neuves qu'on prétend mettre à sa place? Les sciences mathématiques et physiques sont de nature à se perfectionner par le temps et l'expérience; mais il s'en faut bien que la logique, la métaphysique et la morale suivent cette marche progressive. Les mauvaises mœurs sont fécondes en mauvais raisonnemens; le luxe et la corruption rendent l'esprit faux, et la logique des passions est toujours erronée. Nous n'avons de certain sur la métaphysique, que ce que la religion nous apprend; le reste est un amas de subtilités et de conjectures frivoles qui sont le fléau du bon sens, de la société et du goût. Quant à la morale,

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