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rêts qui l'a rendu possible. C'est ce qu'il y a de commun dans ces différents intérêts qui forment le lien social; & s'il n'y avoit pas quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent, nulle société ne sçauroit exifler. Or c'est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée.

Je dis donc que la souveraineté n'étant que l'exercice de la volonté générale ne peut jamais s'aliéner, & que le Souverain, qui n'est qu'un Etre collectif, ne peut être représenté que par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté.

En effet, s'il n'est pas impossible qu'une volonté particuliere s'accorde fur quelque point avec la volonté générale; il est impossible au moins que cet accord foit durable & conftant; car la volonté particuliere tend par sa nature aux préférences, & la volonté générale a l'égalité. Il eft plus impossible encore qu'on ait un garant de cet accord, quand même il devroit toujours exister; se ne seroit

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pas un effet de l'art, mais du hazard. Le Souverain peut bien dire, Je veux actuellement ce que veut un tel homme, ou du moins ce qu'il dit vouloir; mais il ne peut pas dire: ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore; puisqu'il est abfurde que la volonté se donne, des chaînes pour l'avenir, & puisqu'il ne dépend d'aucune volonté de confentir à rien de contraire au bien de l'Etre qui veut. Si donc le peuple promet

. simplement d'obéir, il se diffout par cet acte, il perd sa qualité de peuple; à l'instant qu'il y a un Maître il n'y a plus de Souverain, & dès-lors ře corps politique est détruit.

Ce n'est point à dire que les ordres des chefs ne puissent passer pour des volontés générales, tant que le Souverain libre de s'y opposer ne le sçait pas. En pareil cas, du filence universel on doit présumer le consentement du peuple. Ceci s'expliquera plus au long.

CHAPITRE II.

Que la Souveraineté est indi vifible.

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la souve

Ar la même raison que raineté est inaliénable, elle eft indivisible. Car la vonlonté eft générale *, ou elle ne l'est pas; elle est celle du corps du peuple, ou seulement d'une partie. Dans le premier cas cette volonté déclarée est un acte de souveraineté & fait loi: Dans le second, ce n'est qu'une volonté particuliere ou un acte de magistrature; c'est un décret tout au plus.

Mais nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent darts son objet; ils

* Pour qu'une volonté soit générale, il n'est pas toujours nécessaire qu'elle soit unanime; mais il est nécessaire que toutes les voix foient comptées; toute exclufion formelle rompt la généralité,

la divisent en force & en volonté, en puissance législative & en puissance exécutive, en droit d'impôts, de juftice & de guerre, en administration intérieure & en pouvoir de traiter avec l'étranger: tantôt ils confondent toutes ces parties & tantôt ils les séparent; ils font du Souverain un Etre fantastique & formé de pieces rapportées; c'est comme s'ils compofoient l'homme de plufieurs corps, dont l'un auroit des yeux, l'autre des bras, l'autre des pieds & rien de plus. Les Charlatans du Japon dépecent, diton, un enfant aux yeux des spectateurs, puis jettant en l'air tous ses membres l'un après l'autre, ils font retomber l'enfant vivant & tout raf semblé. Tels font à peu près les tours de gobelets de nos politiques; après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rafsemblent les piéces on ne sçait comment.

Cette erreur vient de ne s'être pas fait des notions exactes de l'autorité souveraine, & d'avoir pris pour des parties de cette autorité ce qui n'en étoit que des émanations. Ainsi, par

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exemple, on a regardé l'acte de déclarer la guerre & celui de faire la paix comme des actes de souveraineté, ce qui n'est pas; puisque chacun de ces actes n'est point une loi, mais seulement une application de la loi, un acte particulier qui détermine le cas de la loi, comme on le verra clairement quand l'idée attachée au mot loi sera fixée.

En Suivant de même les autres divisions, on trouveroit que toutes les fois qu'on croit voir la souveraineté partagée, on se trompe; que les droits qu'on prend pour des parties de cette souveraineté, lui font tous subordonnés, & fuppofent toujours des volontés suprêmes dont ces droits ne donnent que l'exécution.

On ne sçauroit dire combien ce défaut d'exactitude a jetté d'obscurité fur les décisions des Auteurs en matiere de droit politique, quand ils ont voulu juger des droits respectifs des Rois & des Peuples, sur les principes qu'ils avoient établis. Chacun peut voir dans les Chapitres III & IV du premier livre de Grotius comment ce

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