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CHAPITRE XLIII.

CONCLUSION.

Outre les poèmes de formes déterminées et dont les dénominations se rapportent à ces formes mêmes, desquels il a été fait mention précédemment, il en existe un grand nombre qui, n'étant astreints à aucune forme ou série de formes particulière, ont reçu leur nom de la nature, assez élastique souvent, des sujets auxquels ils sont voués. Tels sont l'Épopée religieuse, héroïque ou héroï-comique, le Poëme humoristique, la Tragédie, le Drame, la Comédie, l'Élégie, la Satire, l'Églogue et son dérivatif enfantin : l'Idylle, le Conte et la Fable, auxquels il faut joindre nombre de poésies diverses, récits, tableaux ou expressions de sentiments, qui échappent à toute classification précise. Les lois ou convenances qui régissent chacun de ces poëmes à noms spécifiques ne ressortent point directement du métier des vers; elles rentrent dans les lois générales de la composition littéraire, qui, à beaucoup d'égards, ne diffèrent pas sensiblement pour les vers et pour la

prose.

Sans manquer de respect à Aristote, on peut douter d'ailleurs que ces lois puissent être posées d'une manière absolue. Ce qu'il y a de certain, c'est que lorsqu'un homme de génie s'empare d'un de ces poëmes à formes variables, il en renouvelle entièrement les conditions. Quel rapport y a-t-il entre l'épopée de Dante et celle d'Homère, entre la Jérusalem délivrée et l'Enéide? La tragédie de Corneille est

elle identique à celle de Shakespeare? Celle-ci ressemblet-elle beaucoup à la tragédie antique? Molière, Plaute, Térence, Aristophane, ont-ils entendu la comédie de la même façon? Les fables de La Fontaine sont-elles conçues comme celles de Phèdre? L'églogue d'André de Chénier estelle l'églogue de Théocrite et de Virgile? L'ode de Lamartine et de Victor Hugo rappelle-t-elle bien exactement l'ode de Ronsard ou celles de Pindare et d'Horace? etc., etc. Il est inutile de pousser plus loin ce questionnaire, auquel toutes les réponses sincères seraient invariablement négatives.

Certes, la forme du vers influera toujours beaucoup sur la manière dont les idées, les sentiments ou les faits, seront exprimés. On pourra dire les mêmes choses en vers qu'en prose, mais on les dira différemment. Où la prose analyse, le vers résume; où la prose décrit, le vers fait voir; où la prose persuade, il doit entraîner. Les procédés méthodiques, les argumentations en forme, ne lui valent rien. En lui, la valeur des mots est doublée, triplée par les moyens qui lui sont propres la rime, la mesure, le rhythme; par conséquent, il peut supprimer bien des explications, bien des transitions, et n'en rendre que plus lumineuses les conclusions auxquelles il arrive.

Pour tous les écrivains, la grande qualité, c'est la sincérité; mais c'est surtout au poëte qu'elle est indispensable. Le prosateur pourra encore faire illusion en parlant de choses qu'il ne connaît pas, en feignant des sentiments qu'il n'éprouve pas, en préconisant des idées qui ne sont pas les siennes; le poëte, jamais. Quel que soit son talent, ce talent s'amoindrira, s'effacera même entièrement le jour où les sujets auxquels il l'appliquera ne seront pour lui que des thèmes. De là ce phénomène qui a été observé plus d'une fois, de poëtes qui à des œuvres éminentes en ont

fait succéder de plus que médiocres, sans que le déclin de l'âge expliquât en eux ce déclin de l'inspiration.

Il faut être soi; voilà le grand point: il n'y a point sans cela de vrais poëtes. Des pastiches, si habiles, si bien réussis qu'ils puissent être, ne sont point des œuvres. Leur nom même dit le peu qu'ils valent. Pourquoi voit-on des noms se garder en mémoire avec quelques courtes poésies, tandis que d'autres, appuyés sur de volumineuses productions dont on a pu dire, dans leur temps, qu'elles n'étaient pas plus mauvaises que d'autres, sont irrévocablement oubliés? C'est que dans celles-ci il n'y a qu'imitation, c'està-dire fausseté, et que dans celles-là on trouve quelque chose de particulier, d'original, de sincère enfin. Si peu que ce soit, lorsque cela ne se trouve pas ailleurs, ce n'est pas à dédaigner et ce n'est jamais dédaigné.

Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre,

a dit Alfred de Musset. Faites comme lui: ne buvez jamais dans le verre des autres; buvez plutôt dans le creux de votre main c'est plus propre et plus honnête.

:

FIN.

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