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moins délaissée. Quelques poëtes modernes, M. Philoxène Boyer entre autres, se sont exercés avec succès sur ce joli rhythme. On conçoit cependant qu'il ne puisse être l'objet que d'une fantaisie, même de la part des poëtes les plus épris des formes de notre vieille poésie. Il en serait de même des virelais et du lai. Le triolet, le rondeau et surtout la ballade, pour lesquels la tradition n'a jamais été interrompue, conservent de meilleures chances; mais, avec les vers en rimes suivies, ce sont les strophes qui maintenant sont souveraines; et, disons-le, elles peuvent suffire à

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On a rajeuni de notre temps beaucoup d'anciennes formes; mais il n'y en a qu'une seule qui puisse être regardée comme une création, c'est le Pantoum.

Le nom est original; le poëme lui-même ne l'est pas moins. L'idée en fut suggérée par la traduction d'un pantoum ou chant malais due à M. Ernest Fouinet, et reproduite par M. Victor Hugo dans les Notes des Orientales, avec d'autres fragments de provenances diverses.

Les papillons jouent à l'entour sur leurs ailes;
Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers.
Mon cœur s'est senti malade dans ma poitrine
Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente.

Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers...
Le vautour dirige son essor vers Bandam.

Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente,
J'ai admiré bien des jeunes gens.

Le vautour dirige son essor vers Bandam...
Il laisse tomber de ses plumes à Patani.
J'ai admiré bien des jeunes gens;

Aucun n'est à comparer à l'objet de mon choix.

Il laisse tomber de ses plumes à Patani...
Voici deux jeunes pigeons !

Aucun n'est à comparer à l'objet de mon choix,
Habile comme il l'est à toucher le cœur.

Cette poésie, d'un accent si pénétrant dans son étrangeté, exerça sur le moment une séduction singulière. Théophile Gautier en donna une imitation en vers, et il ne fut pas le seul, parmi les jeunes adeptes du romantisme, qui se laissa prendre à cette tentative. Ce qu'on trouvait là de si charmant, ce n'était pas sans doute les vers répétés d'une stance à l'autre. Ces sortes de répétitions ont toujours été un des éléments de la poésie primitive ou populaire, et les exemples n'en manquent pas dans nos vieilles chansons indigènes; mais ce que la chanson malaise offre de tout à fait particulier, ce sont les deux sens qui s'y entrelacent et sy déroulent parallèlement, bien distincts, mais gardant cependant l'un avec l'autre une vague corrélation. On conçoit qu'on ait vu là une source nouvelle d'effets poétiques et que cette forme ait, par suite, attiré vivement l'attention.

Néanmoins le pantoum ne tarda pas à retomber dans l'oubli. Il y avait alors tant de choses de ce genre qui préoccupaient les esprits! Ce ne fut qu'une vingtaine d'années après que M. Charles Asselineau tenta de nouveau d'acclimater ce poëme dans notre langue. Sur une donnée à lui,

il publia dans une Revue belge un pantoum dont la disposition a été acceptée comme régulatrice dans les quelques essais successifs qui se sont produits. Pour achever de la préciser, on donne ici le commencement et la fin d'une de ces pièces, trop longue pour être citée en entier.

Au mois où renaissent les feuilles,
Les oiselets chantent en chœur.
O mon âme, tu te recueilles,
Pleine d'un souvenir vainqueur.

Les oiselets chantent en choeur:
La saison d'hiver est passée.
Pleine d'un souvenir vainqueur,
Au loin s'envole ma pensée.

La saison d'hiver est passée;
Tout brille et s'égaie à la fois.
Au loin s'envole ma pensée,
Vers une maison près des bois.

Tout brille et s'égaie à la fois;
Les fleurs ont annoncé la fête.
Vers une maison près des bois
Je m'en vais sans que rien m'arrête.

Les fleurs ont annoncé la fête;
Les nids s'achèveront demain.
Je m'en vais sans que rien m'arrête :
Qu'aurais-je à voir sur le chemin ?

Les nids s'achèveront demain;
Chaque couple a choisi sa place.
Qu'aurais-je à voir sur le chemin ?
Voici le perron, la terrasse!

L'exil ne peut sévir contre eux;
L'azur les porte et les rassemble.

Défiant le sort rigoureux,

Chaque heure nous retrouve ensemble.

L'azur les porte et les rassemble
Comme aux beaux jours de l'âge d'or.
Chaque heure nous retrouve ensemble;
Nous pouvons donc sourire encor.

Comme aux beaux jours de l'âge d'or,
Éden des bois, tu les recueilles.
Nous pouvons donc sourire encor

Au mois où renaissent les feuilles.

Le rhythme de ce poëme se comprend de visu. Il est écrit en stances de quatre vers à rimes entre-croisées, qui se distinguent en ce que le deuxième et le quatrième vers de chacune passent dans la suivante pour en former le premier et le troisième vers. Le vers par lequel a commencé la pièce doit en outre y être ramené à la fin et en faire la terminaison. Voilà pour la partie purement technique. On conçoit qu'il y a d'autres conditions essentielles à observer. Ainsi, comme dans le pantoum malais, c'est par les deux vers répondant au motif pittoresque ou extérieur que chaque stance devra commencer dans le poëme français. Ce motif, en effet, ne peut être qu'une sorte de préparation, d'appel mystérieux au motif intime et personnel, qui est le plus intéressant; par conséquent, les vers où celui-ci se développe ne sauraient venir qu'en second. On devra aussi faire en sorte que les vers ne soient pas construits isolément, mais qu'ils puissent (le plus souvent du moins) se combiner d'une façon toute naturelle dans une stance avec le vers qui les précède, et dans la stance suivante avec le vers qui vient après.

Quant à la liaison des deux motifs, chacun ne sait-il pas, pour l'avoir éprouvé par soi-même, comment la vue ou

l'image d'objets ou de faits quelconques peut éveiller en nous des pensées ou des sentiments qui semblent n'y avoir aucun rapport? C'est sur quelqu'une de ces alliances d'idées, de ces secrètes analogies, que doit se fonder le double sens du pantoum.

Ce poëme ne compte jusqu'ici que de très-rares adeptes, parmi lesquels M. de Banville est celui qui en a le mieux fait sentir toute la délicatesse et la valeur harmonique.

La Sextine. Ce poëme n'est pas absolument nouveau dans la langue française proprement dite. Il en existe un spécimen dans les poésies de Pontus de Thyard, l'un des sept de la Pléiade au XVIe siècle. Peut-être s'en trouve-t-il encore un second de la même époque. C'est du moins ce qu'on peut inférer de ce titre cité dans la Bibliothèque française de l'abbé Goujet : Nuptiale Sestine à l'honneur de Pierre de Rosel, conseiller au Présidial de Nismes, et de Damoiselle Françoise de Savaz, sa femme, par Philibert de Bunyon, Docteur ès-droits, Avocat, etc. (Avignon, 1554). Jusqu'à notre siècle on ne découvre pas dans la poésie française d'autre trace de sextines.

L'invention de ce poëme appartient à Arnauld Daniel, troubadour provençal de la fin du XIIIe siècle, cité plusieurs fois avec grand honneur par Dante et par Pétrarque. En voici les règles, telles qu'elles ont été mises en pratique par lui et par ses imitateurs italiens, espagnols et portugais :

1° Six stances, chacune de six vers, lesquels devaient être de même mesure et de grands vers généralement;

2o Les vers, dans les six stances, terminés par les six mêmes mots ne rimant pas entre eux et qui fussent exclusivement des substantifs de deux syllabes;

3o L'arrangement de ces six mots terminaux variant d'une stance à l'autre suivant une loi régulière qui consiste, ces

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