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En général cependant, leurs gloses sont d'un caractère élégiaque ou moral. Cervantes en a donné une de ce dernier genre au XVIIe chapitre de la deuxième partie de son Don Quichotte. Dans notre langue, ce n'est guère qu'au XVIIe siècle, quand les modes espagnoles s'introduisirent en France à la suite d'Anne d'Autriche, qu'on trouve quelques exemples de gloses. Il y en a deux en vieux langage à la fin des poésies de Voiture, mais la mieux réussie de beaucoup est celle de Sarrazin sur et contre le sonnet de Job. Outre qu'elle est trop connue pour qu'il y ait à la citer, elle s'écarte, par son ton satirique, du caractère primitif de cette forme de poésie, dont une traduction de celle de Cervantes donnera mieux l'idée.

TEXTE.

Si le temps enfin pour moi doit renaître,
Qu'alors ce qui fut soit donc sans retard,
Ou que le passé puisse reparaître,
Avec ce qui doit arriver plus tard!

GLOSE.

Tout passe ici-bas, ce n'est rien que leurre ;
Ainsi s'est enfui ce bien qu'à mon goût
Me fit la Fortune, un instant meilleure.
Depuis lors je n'ai, non plus qu'à cette heure,
Revu de ses dons ni peu ni beaucoup.
Fortune! et pourtant tu dois me connaître
Pour me voir sans fin à tes pieds courbé.
Eclaire cette ombre où je suis tombé;
Le bonheur encor remplira mon être,
Si le temps enfin pour moi doit renaître.

Jamais un instant je n'ai prétendu
A d'autre plaisir, à d'autre victoire
Que de retrouver mon bonheur perdu.
Si long-temps en vain l'aurai-je attendu,

Pour mieux en souffrir gardant sa mémoire?
Au but où toujours s'en va mon regard
Si tu me rendais moi-même, ô Fortune!
La paix en mes jours luirait sans lacune;
Mais encore un peu, ce sera trop tard :
Qu'alors ce qui fut soit donc sans retard.

Ah! parler ainsi, mieux vaudrait me taire!
Tu ne feras point avec le Soleil
Revenir le temps sur sa course austère.
Il n'est ni pouvoir ni force sur terre
Qui jamais obtienne un succès pareil.
Le temps vole; il n'est lui-même pas maître,
Tout léger qu'il est, de rétrograder.
Insensé dès lors qui vient demander
Ou que l'avenir s'efface avant d'être,
Ou que le passé puisse reparaître!

Vivre dans l'angoisse et ne savoir pas
Si l'on doit plutôt espérer ou craindre,
C'est là mille fois subir le trépas!
Mieux vaut, terminant ces tristes combats,
D'un seul coup par lui se laisser étreindre.
Aussi suis-je bien tenté pour ma part
D'en finir... Mais non; seul devant la vie,
La terreur me prend d'une telle envie :
Comment encourir un si grand hasard
Avec ce qui doit arriver plus tard!

On voit que Cervantes n'a pas mis là dedans un seul grain de plaisanterie, quoique assurément il fût en fonds sous ce rapport. C'est ce qu'excluait l'origine de la glose, qui, d'abord, a été en Espagne toute religieuse et scolastique ou philosophique. Chez nous, où du reste elle n'a laissé que peu de traces, elle n'a été regardée, au contraire, que comme une forme pour la parodie et le badinage. La dérogation ne lui a pas porté bonheur.

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Les destinées de la ballade ont été à peu près les mêmes que celles du rondeau, plus brillantes néanmoins au début. Issue aussi de la poésie provençale, elle fut longtemps, avec la chanson, la seule forme lyrique dont disposassent nos trouvères aussi bien que les troubadours. Sa forme paraît avoir été fixée dès le XIVe siècle. Elle florit pendant plus de deux cents ans sans interruption, avec Philippe d'Artois, Jean Boucicaut, le bâtard de Couey, Guillaume de Machault, Jean Froissard, Eustache Deschamps, Henri Baude, Guillaume Coquillart, Christine de Pisan, Alain Chartier, Charles d'Orléans, François Villon, les deux SaintGelais, Jean Bouchet, Gilles d'Aurigny, Clément Marot et bien d'autres. Repoussée et proscrite, comme les autres formes gothiques, par l'école de Ronsard, elle reprit quelque faveur au XVIIe siècle, grâce à Voiture, à Sarrazin, à Mme Deshoulières, et surtout à La Fontaine qui n'a pas laissé moins de quatorze ballades. Depuis, sans être abandonnée totalement, elle ne fit plus que languir, jusqu'à nos jours où elle a trouvé son rénovateur dans M. Théodore de Banville.

La ballade régulière, car on en a fait parfois d'irrégulières, est écrite en décasyllabes ou en octosyllabes. Avec la première mesure de vers, elle se compose de trois dizains sur mêmes rimes et d'un quintain; avec la seconde, de trois huitains aussi sur mêmes rimes et d'un quatrain. Quintain et quatrain doivent être de la forme des cinq derniers vers du dizain et des quatre derniers du huitain. L'un

et l'autre prennent le titre particulier d'envoi. Chacun des couplets de la ballade ainsi que l'envoi se termine par le même vers faisant refrain.

Il s'est fait aussi des ballades doubles de six dizains ou de six huitains, regardées comme régulières. On en voit encore de quatre ou de cinq couplets, d'autres où manque l'envoi. Ce sont-là des irrégularités. Quelquefois les couplets n'ont que neuf vers, se composant d'un quintain et d'un quatrain, ce qui est admis. Enfin, il y en a où l'on trouve deux refrains se faisant opposition et placés l'un au milieu, l'autre à la fin de la strophe, comme cela a lieu dans certaines chansons.

La ballade est une de ces formes d'une beauté entière sans surabondance qui, semblables à ces fleurs dont les terres incultes gardent la propriété, ne s'épanouissent qu'aux époques de poésie primitive. Plus tard on admire l'art exquis de leur structure, la science si précise de leurs combinaisons. En réalité, il n'y a eu ni art, ni science. Ces formes n'ont été ni cherchées, ni étudiées, mais trouvées; par qui? on ne sait. On peut dire qu'elles sont écloses comme éclosent les mots d'une langue au temps de sa formation, par cette force vitale qui existe alors et qui s'éteint lorsque s'éveille l'esprit critique. Une fois qu'intervient cet élément nouveau, formes et mots, quelque ingénieusement construits qu'ils puissent être, sentiront toujours la fabrique.

Villon est certainement un grand maître en fait de ballades. L'idée s'encadre toujours dans les siennes avec une merveilleuse justesse. Jamais la gêne du rhythme ni le tirage du refrain ne s'y font sentir. Et quelle vivacité! que de traits imprévus! que de vers faisant éclair! Mais aussi combien y a-t-il de ces petits chefs-d'œuvre qui puissent être cités en entier? Théophile Gautier n'a eu que trop

raison, malheureusement, lorsqu'il a comparé à un lis immaculé s'élançant du cœur d'un bourbier la Ballade à la Vierge, écrite par Villon au nom de sa mère.

Eustache Deschamps, qui précéda Villon de près d'un siècle, est un génie d'une trempe non moins vigoureuse, mais à coup sûr plus saine et d'un titre plus haut. Il a donné à la ballade une sévérité d'allures, un accent héroïque, une élévation qu'elle n'avait jamais eus avant lui et qu'elle n'a point retrouvés depuis.

Ce petit poëme est un genre entièrement français et que les étrangers ne nous ont jamais emprunté. Les ballades italiennes et espagnoles n'y ont aucun rapport. Celles-ci sont des pièces en quatre quatrains, ou quatrains et tercets diversement disposés, lesquelles, on le voit, se rapprocheraient plutôt du sonnet, mais ne pouvaient être introduites dans notre poésie, à cause de l'arrangement de leurs rimes. La ballade française, du reste, n'avait pas besoin pour déchoir de cette nouvelle compétition. L'ode, avec ses formes multiples, ses qualités superbes, ses ressources sans nombre, suffisait amplement à l'écraser. Les sujets religieux et élégiaques qu'elle osait encore aborder avec Marot lui furent désormais interdits, et ses derniers sectateurs, au nombre desquels on compte J. B. Rousseau, ne virent plus en elle qu'un cadre pour des badinages madrigalesques ou épigrammatiques.

Il serait curieux assurément de montrer, par des spécimens empruntés aux diverses époques où a flori la ballade, combien cette opinion était erronée, et combien, au contraire, cette forme, entre les mains d'un habile ouvrier, peut être variée de ton et d'aspect. Mais c'est là une revendication qui nous entraînerait trop loin. Elle a été faite d'ailleurs par M. de Banville, dans le recueil de Ballades à

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