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de Théophile Gautier, d'Auguste Brizeux, de MM. Victor de Laprade, Théodore de Banville, etc? La liste eût été longue, si on avait entrepris de mentionner tout ce qu'a produit de remarquable dans notre temps le sentiment lyrique surexcité chez les poëtes par tant d'événements, tant de secousses et tant d'épreuves bien souvent. Comme les époques primitives, les époques de rénovation sont fécondes en poésies personnelles. Mais il est connu qu'on n'en chante pas plus mal pour avoir en vue, en chantant, plutôt de se satisfaire soi-même que de satisfaire les au

tres.

On ne s'attend point sans doute à trouver ici l'indication des strophes convenant à telles ou telles catégories de sujets. Ce sont les sujets eux-mêmes qui commandent leurs rhythmes, suivant la manière dont on les envisage. Et à dire vrai, il n'y a point de rhythmes qui soient par euxmêmes absolument graves ou badins. Certaines strophes en alexandrins coupés de vers de six syllabes qui prennent un accent si sérieux, un vol si élevé dans Malherbe, dans Lamartine et Victor Hugo, ont été d'abord des couplets de chansons bachiques.

Gros nez, qui te regarde à travers un grand verre
Te juge encor plus beau :

Tu ne ressembles point au nez de quelque herre
Qui ne boit que de l'eau.

Olivier BASSELIN, Vaux de Vire.

Ayant le dos au feu et le ventre à la table,

Estant parmi les pots et le vin delectable
Ainsi comme un poulet,

Je ne me laisseray mourir de la pepie,
Quant en devroye avoir la face cramoisie

Et le nez violet.

IDEM,

Ibidem.

C'est surtout la différence de l'idée qui fait celle de la forme. Qu'on voie encore la strophe de la Ballade à la lune d'A. de Musset. Il n'y en a guère dont le rhythme ait autant de légèreté et de vivacité. Qu'on écoute cependant cette strophe :

Rends-nous la chasseresse
Blanche, au sein virginal,
Qui presse

Quelque cerf matinal.

N'est-elle pas suffisamment grave et ferme de ton? De même le vers de trois syllabes, si cursif, si remuant dans le Pas d'armes du roi Jean, devient dans l'Air de Quasimodo d'une douceur et d'une mélancolie incomparables. C'est par la savante distribution des toniques, et en fondant ou agitant les syllabes entre elles, qu'on arrive à produire avec les mêmes formes des effets tout opposés, à donner de l'ampleur et de la solennité aux rhythmes les plus évaporés, du piquant et de la fantaisie aux plus compassés.

On trouve dans les poëtes modernes des odes ou deux strophes de formes différentes alternent entre elles. C'est le sujet double ou envisagé sous deux aspects variés qui doit autoriser cette double construction. Les pièces où divers systèmes de stances sont employés successivement ne sont pas rares non plus. De tels changements ne doivent avoir lieu, bien entendu, que lorsque le poëte passe d'un ordre d'idées à un autre qui implique un nouveau rhythme. La Prière pour tous, de Victor Hugo, présente ainsi jusqu'à six différents systèmes de strophes, et celui par lequel débute la pièce est repris encore trois fois.

Lamartine a fait un grand nombre de pièces lyriques en strophes irrégulières. Ce sont en quelque sorte des vers

libres rhythmés. Il faut être, comme le poëte des Méditations et des Harmonies, bien sûr de son inspiration pour ne pas l'égarer dans de telles circonvolutions.

Faut-il aussi faire mention des odes à la façon de Pindare et de certains chœurs des tragédies grecques, dans lesquels une strophe et une antistrophe sur même rhythme sont suivies d'une épode sur un rhythme différent? Une telle forme avait sa raison d'être dans la manière dont étaient chantés ces odes et ces choeurs par deux groupes opposés et par un personnage intermédiaire. Sans musique, les imitations qu'en firent Ronsard et quelques-uns de ses disciples n'avaient plus de sens, d'autant que les rhythmes diffus qui y sont mis en œuvre ne chantent pas d'eux-mêmes en général. Les deux pièces que M. de Laprade a données sur des modèles analogues sont à cet égard beaucoup plus heureuses. Elles venaient d'ailleurs tout à leur place dans un volume entièrement consacré à des études antiques. Hors d'une circonstance semblable, l'ode pindarique viendra toujours chez nous mal à propos. Horace ne la trouvait déjà pas opportune à Rome; ceci est très-décisif.

TROISIÈME PARTIE

CHAPITRE XXXVII.

POEMES A FORME FIXE ANCIENS DANS LA LANGUE FRANÇAISE. LE SONNET.

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Les poëmes de formes et de dimensions déterminées qui se sont perpétués dans notre poésie sont le Sonnet, les Rondeaux, la Ballade, le Lai, les Virelai, le Triolet et la Villanelle.

Le sonnet n'est pas à beaucoup près le plus ancien en date de ces poëmes. Si la première place lui est assignée parmi eux, c'est à cause de la prédilection dont il a été l'objet, à diverses époques et dans la nôtre en particulier. Sans doute l'importance qu'on lui a parfois attribuée était une exagération assez ridicule; mais cela n'ôte rien à l'élégante beauté de sa forme, à ce rhythme si savamment combiné qui, en obligeant la pensée à se concentrer, lui fournit aussi des moyens d'expression d'une surprenante variété.

<«<< Une idée dans un sonnet, a dit Sainte-Beuve, c'est une goutte d'essence dans une larme de cristal. » C'est bien restreindre, à ce qu'il semble, la valeur du sonnet. Ne pourrait-on le comparer plus justement à la pierre fine gravée qui, si l'artiste s'appelle Dioscoride, n'est pas une œuvre de moindre prix qu'une belle statue de marbre ou de bronze?

En réalité, un sonnet c'est la condensation d'une ode. Il est reconnu aujourd'hui que le sonnet, dans sa forme actuelle et classique (quatorze vers divisés en deux quatrains et deux tercets), nous est venu d'Italie. Le nom seul pourrait être revendiqué comme français. Il n'est pas douteux qu'avant même qu'on fit des vers italiens, ce vocable n'eût été employé par nos anciens poëtes, trouvères et troubadours, pour désigner certaines poésies de dimension restreinte, mais non toutefois d'une forme rigoureusement déterminée. Les termes, on le sait, ne conservent pas toujours une valeur identique, en passant d'une langue à une autre.

D'après Crescimbeni, dans ses Commentaires sur l'histoire de la poésie italienne, le sonnet provençal, encore imité par Dante et d'autres poëtes italiens jusqu'à la fin du XVe siècle, aurait été le plus souvent composé de deux sixains et de deux quatrains. Quant à sa contexture, on peut s'en faire une idée en se représentant un sonnet en vers hendécasyllabes, tel que les sonnets de Pétrarque, où l'on aurait introduit, dans chaque quatrain, deux vers heptasyllabes après le premier et le troisième vers, et dans chaque tercet, un vers aussi de sept syllabes après le second vers, chacun de ces vers courts rimant avec l'hendécasyllabe qui le précède.

Crescimbeni paraît cependant admettre que, dès le commencement du XIVe siècle, il se trouve dans la poésie provençale des sonnets de quatorze vers seulement, sur le même modèle que les sonnets italiens, à cela près, dit-il, que dans les vers, la quantité des syllabes dépasse le nombre onze. Il cite en exemple le sonnet suivant que Nostradamus, dans ses Vies des poëtes provençaux, attribue à un certain Guillaume des Amalrics, lequel serait mort en 1321:

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