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veur. Beaucoup de poëtes, tels que Lamartine, SainteBeuve, Théophile Gautier, Alfred de Musset, Brizeux, Alfred de Vigny, n'en ont fait que peu ou point, donnant généralement la préférence aux vers de huit syllabes. Il est certain cependant qu'il a beaucoup d'allure et de légèreté, et que, manié par une main habile, il peut se prêter à tous. les tons. Voici divers exemples qui en feront foi:

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Avant le jour s'éveilla;

A la lueur des étoiles
Elle déploya ses voiles,

Leurs cordages et leurs toiles,
Comme de larges réseaux,
Avec ce long bruit qui tremble,
Qui se prolonge et ressemble
Au bruit des ailes qu'ensemble
Ouvre une troupe d'oiseaux.

A. DE VIGNY, La frégate la Sérieuse.

Toi, sois bénie à jamais !
Ève qu'aucun fruit ne tente!
Qui de la vertu contente
Habites les purs sommets!
Ame sans tache et sans rides,
Baignant tes ailes candides,

A l'ombre et bien loin des yeux,
Dans un flot mystérieux
Moiré de reflets splendides!

Sais-tu ce qu'en te voyant
L'indigent dit quand tu passes?
<< Voici le front plein de grâces
Qui sourit au suppliant!
Notre infortune la touche.

Elle incline à notre couche

Un visage radieux;

Et les mots mélodieux

Sortent charmants de sa bouche! >>

Sais-tu, les yeux vers le ciel,
Ce que dit la pauvre veuve?
<<< Un ange au flot qui m'abreuve
Est venu mêler son miel.
Comme à l'herbe la rosée,
Sur ma misère épuisée
Ses bienfaits sont descendus.
Nos cœurs se sont entendus,
Elle heureuse et moi brisée!

« J'ai senti que rien d'impur
Dans sa gaîté ne se noie,

Et que son front a la joie
Comme le ciel a l'azur.
Son œil de même a su lire
Que le deuil qui me déchire
N'a que de saintes douleurs.
Comme elle a compris mes pleurs,

Moi, j'ai compris son sourire! >>>

V. HUGO, Chants du Crépuscule, XXXVI.

En étudiant ces fragments, et mieux encore les pièces d'où ils sont tirés ainsi que celles de la même mesure, on verra qu'à un petit nombre d'exceptions près, les vers qui les composent présentent une tonique soit à la troisième, soit à la quatrième syllabe. Cette dernière forme, moins heureuse que la première, quand elle est bornée à cette seule accentuation, devient non moins harmonieuse lorsqu'elle est en outre accentuée à la seconde syllabe comme dans ce

vers

<< Voici | le front | plein de grâces, >>

lequel sonne certainement aussi bien que le suivant :

« Qui sourit au suppliant! >>

et beaucoup mieux que celui-ci :

<< Notre infortune la touche. »><

En dehors de ces trois formes, la seule qui soit à employer de loin en loin pour varier le rhythme est celle qui, étant accentuée à la seconde et à la cinquième syllabe, présente une mesure de trois syllabes entre deux mesures de deux.

<< Moiré de reflets splendides. >>>

Toute autre construction, à moins qu'elle ne soit commandée par quelque pensée ou quelque image qui dévore la forme, ne pourra que faire tache dans l'harmonie de l'ensemble.

La loi de ces diverses combinaisons est d'ailleurs la même, et c'est que les mesures rhythmiques déterminées dans l'heptasyllabe par l'accentuation, ne pouvant être d'une symétrie absolue, puisque le nombre sept n'a pas de diviseurs, elles en approchent du moins autant que possible. C'est ce qui est obtenu avec deux mesures, l'une de trois, l'autre de quatre syllabes, entre lesquelles il n'y a qu'une syllabe d'inégalité; de même avec trois mesures, dont deux sont de deux syllabes et une de trois.

CHAPITRE XX.

DU VERS DE SIX SYLLABES.

Le vers de six syllabes est de même date que le vers de sept, et il a eu des destinées pareilles, toutefois plus humbles. Employé presque uniquement, pendant les XIII, XIVe et XVe siècles, dans des chansons et dans diverses. petites pièces, par Thibaut de Champagne et ses émules, par Olivier Basselin, Octavien de Saint-Gelais, Charles d'Orléans, il ne figure chez Marot que pour quelques épigrammes ou épitaphes et huit ou neuf de ses psaumes. Les poëtes de la Pléiade surent mieux l'apprécier. Ils le mirent cependant moins fréquemment en œuvre que l'heptasyllabe. Il est vrai que, comme celui-ci, il n'était point recom

mandé à eux par quelque analogie avec un des mètres antiques, et ne pouvait par conséquent être décoré d'aucune épithète gréco-latine. Grave défaut assurément.

C'est pourtant à une petite pièce en vers de cette forme, celle qui est intitulée : D'un Vanneur de bled, aux vents, que le nom de Du Bellay a dû surtout de n'avoir jamais été mis tout à fait en oubli, d'avoir forcé le temps, comme dit Colletet dans son Art poétique. Toute connue qu'elle est, il n'est pas oiseux de la reproduire ici.

A vous, troppe legere,
Qui d'aile passagere
Par le monde volez,
Et d'un sifflant murmure
L'ombrageuse verdure
Doulcement esbranlez,

J'offre ces violettes,
Ces lis et ces fleurettes,
Et ces roses icy,

Ces vermeillettes roses,

Tout freschement escloses,

Et ces œillets aussy.

De vostre doulce haleine

Eventez cette plaine,

Eventez ce sejour,
Ce pendant que j'ahanne

A mon bled que je vanne

A la chaleur du jour.

moins encore de

Du Bellay a fait diverses pièces en vers de cette mesure, pas en grand nombre, et il y en Ronsard à proportion: une demi-douzaine environ dans les cinq livres de ses odes. Bien que ce soit surtout à des sujets familiers qu'il ait employé cette forme, on y retrouve toute sa science rhythmique et son estre poétique.

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