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de belles pensées, élevées ou ingénieuses, ni à trouver des images neuves, des expressions hardies ou délicates pour les revêtir. Ce qui peut s'apprendre, c'est la grammaire de la poésie, c'est la versification avec son ensemble de lois rhythmiques qui la rapprochent par plus d'un point de l'art musical. Ces lois, tant celles qui se rapportent aux vers considérés isolément que celles qui concernent leurs groupements élémentaires et multiples, M. de Gramont les a élucidées, anatomisées en quelque sorte, et il a appuyé ses conclusions par de nombreux exemples empruntés à tous les âges de notre poésie, depuis le XIIe siècle jusqu'à nos jours. A ces citations, toujours d'un haut ou curieux intérêt, se joignent des détails historiques qui, éloignant toute aridité, rendent l'ouvrage d'une lecture facile à tous et assurent son utilité. Serait-ce chose insignifiante en effet que de concourir à faire mieux goûter et apprécier des œuvres qui sont une des gloires les plus éclatantes de notre pays? Non, assurément, et il y a là aussi un complément de culture intellectuelle dont on ne saurait nier la valeur et que, fidèles à la tâche que nous nous sommes assignée, nous ne pouvions omettre dans notre Bibliothèque d'éducation.

J. HETZEL.

LES VERS
VERS FRANÇAIS

ET LEUR PROSODIE

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE I.

QU'EST-CE QUE LES VERS?

Les vers, pour les définir d'une façon générale, sont un langage mesuré d'après des lois harmoniques qui varient suivant le génie des différentes langues.

Nous verrons plus loin que ces règles, fondées toutes sur le même principe, gardent entre elles, en se diversifiant, d'évidentes analogies.

Les vers et la poésie ne sont pas choses rigoureusement identiques, bien que les deux expressions soient fréquemment employées l'une pour l'autre.

La poésie, aspiration de l'esprit humain vers le beau, !aquelle implique la faculté et, par conséquent, le besoin de produire, trouve des modes d'expression dans tous les arts peinture, sculpture, musique, danse, architecture. Les vers sont, de ces modes, le plus direct, puisqu'il ne

met en œuvre que des mots, c'est-à-dire la pensée ellemême, sans aucun intermédiaire matériel; le plus étendu, puisque par la parole on peut dire tout ce qu'on fait voir ou entendre par les autres modes, et que ceux-ci ne sauraient représenter, à beaucoup près, tout ce qui s'exprime par la parole; le plus élevé enfin, car, loin de rien ôter à la puissance expansive de l'esprit, il y ajoute par les qualités stimulantes qui sont en lui, et que les autres arts, en raison de leur complication même, ne peuvent offrir à un égal degré, non plus que le langage ordinaire, par un motif opposé.

C'est donc à juste titre que les vers sont appelés poésie, par excellence. Ceci, bien entendu, est dit absolument. L'aspiration vers le beau peut être faussée et, par suite, la production qui en résulte être malsaine et mal venue. Un beau tableau, une belle statue, une simple figure de danse d'un dessin gracieusement irréprochable, sont, sans contredit, fort supérieurs à des vers médiocres; mais, entre toutes les œuvres de l'art, c'est aux beaux vers que reste dévolue la première place.

CHAPITRE II.

POURQUOI FAIT-ON DES VERS?

La question pourrait être considérée comme oiseuse et ne méritant pas de réponse. On fait des vers et on en a fait toujours et partout; voilà ce qui est certain. Ce n'est point, comme les ragoûts et autres raffinements culinaires,

chose particulière à tel degré de civilisation. Tout comme les Grecs des temps homériques et ceux du siècle de Périclès, les Grecs soumis aux Romains et les Grecs asservis par les musulmans ont fait des vers. Nos ancêtres: Gaulois, Germains, Scandinaves, ont fait des vers, comme en ont fait les trouvères et les troubadours, et comme nous en faisons encore aujourd'hui. On fait et on a fait des vers chez les nations les plus diverses de mœurs, de croyances et d'organisation, chez les Chinois et les Arabes, chez les Hindous et les Tartares, chez les Péruviens et les Mexicains, chez les Taïtiens et chez les Iroquois, et jusque chez les Esquimaux, les Hottentots et les Patagons. Tribus sauvages ou barbares, peuples civilisés ou déchus, il n'en est point de qui les vers soient ignorés et qui n'en aient composé plus ou moins. C'est, de tous les arts, le seul, avec la danse peut-être, qu'on trouve ainsi répandu et cultivé universellement.

Il est bien vrai que pour les vers comme pour la danse, le sauvage et le barbare ont trouvé en eux-mêmes tous les éléments nécessaires. Ils n'y ont eu besoin d'aucun outil, d'aucun ingrédient, d'aucune connaissance industrielle. La voix et le geste ont suffi, sans nul secours extérieur, ce qui n'aurait pas été le cas pour les autres arts. On ne peut donc nier que chez ces peuplades ignorantes, vers et danses étaient dans des conditions particulièrement favorables pour être mis en pratique. Il n'est pas moins certain que ces deux arts ne répondent à aucun des besoins matériels qui dominent si énergiquement l'existence de l'homme placé en dehors de la civilisation. S'il danse et s'il versifie, il faut conséquemment qu'il y soit porté par un goût, une disposition innée et toute de sentiment. Et si ce goût se retrouve chez l'homme dans toutes les situations diverses,

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