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celle de Marathon. Ce poète mit sur la scène, dans sa tragédie des Perses, les triomphes des Grecs, dont il avait partagé les dangers et la gloire. Son génie militaire éclatait dans tous ses ouvrages; et l'on appelait sa pièce des Sept Chefs devant Thèbes l'accouchement de Mars. Sa dernière campagne fut celle de Platée.

La tradition historique varie à l'infini sur le nombre des pièces qu'il composa; on les fait monter à plus de cent : il ne nous en reste que sept: Prométhée, les Sept Chefs devant Thèbes, les Perses, Agamemnon, les Coëphores, les Eumenides et les Suppliantes. Les Euménides, dont le chœur est composé de furies aux cheveux de serpens, produisirent un tel effet, que des femmes et des enfans moururent de frayeur.

Le sujet de Prométhée est monstrueux; la pièce représente le supplice de Prométhée, et finit par un coup de foudre qui écrase le rocher sur lequel il est enchaîné.

La tragédie des Perses représente leur défaite à Salamine; elle se passe en récits, en songes, en présages, en lamentations, sans intrigue et sans dénoû

ment.

Agamemnon, les Coëphores et les Euménides, sont toutes les trois tirées de l'histoire des Atrides, et ont fourni aux poètes français les sujets de leurs meilleures tragédies.

Agamemnon, pièce froidement atroce, représente le meurtre de ce roi assassiné par Clytemnestre, sa femme, laquelle n'éprouve ni combats ni remords les prophéties de la prêtresse Cassandre sont très belles. Cette pièce a été imitée,

de nos jours, par M. Lemercier, et jouée avec succès.

Les Coëphores (ce mot veut dire porteuses de libations) doivent leur nom au chœur des femmes esclaves qui présentent des vases et des présens funéraires. Ce n'est pas la seule tragédie grecque à laquelle le chœur ait donné son nom : la pièce est le sujet connu parmi nous sous le nom d'Électre; elle est le meilleur ouvrage d'Eschyle, celui où l'on trouve le plus de beautés vraiment tragiques, vraiment théâtrales.

Dans les Euménides, on voit Oreste en proie aux Furies après le meurtre de sa mère. Cette pièce renferme l'éloge de l'Aréopage, auquel Minerve défère le droit de juger le parricide; ce qui pensa faire lapider l'auteur, parce que le peuple l'accusa d'avoir manqué aux Dieux: on devait plutôt l'accuser d'avoir manqué aux règles de l'art et du goût, dit La Harpe, en composant cette étrange pièce, dans laquelle les Euménides dorment et ronflent à la porte du temple de Delphes, tandis que Clytemnestre fait de vains efforts pour les réveiller, et dans laquelle les Euménides et Oreste font un long plaidoyer par-devant Minerve.

Les Suppliantes sont les quarante filles de Danaüs, qui viennent demander un asile au roi d'Argos, Pélagus. Trois actes se passent à savoir s'il les recevra ou non; au quatrième il y consent; au cinquième, un envoyé d'Egyptus vient les réclamer: le roi décide qu'il les gardera; c'est le dénoûment.

Le sujet des Sept Chefs devant Thèbes a été mis plusieurs fois sur la scène, sans que l'on ait pu en tirer une bonne tragédie. Dans celle d'Eschyle, il

s'agit de savoir si Thèbes sera prise ou non, et qui règnera, d'Étéocle ou de Polynice. Étéocle nomme les chefs qui doivent défendre chacune des portes de la ville, après qu'un officier a fait la description des chefs désignés pour l'attaquer; ce détail recommence sept fois, et à chaque nomination le chœur implore les Dieux : mais les portraits sont tracés en si beaux vers, que l'on croit lire l'Iliade. On peut en juger par ce chœur :

Choeur tiré de la Tragédie des Sept Chefs devant

Thèbes.

PREMIER CHOEUR.

O frères insensés! ô princes déplorables!
Sourds aux conseils de l'amitié,

Vous avez assouvi vos haines implacables,
Et vous voilà tous deux un objet de pitié.

LE CHOEUR GÉNÉRAL.

Ils ont de leur famille achevé la ruine,
Et n'ont point démenti leur coupable origine.

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Malheureux ! le fer seul a pu vous accorder;
Le fer de vos débats seul a pu décider.
L'Euménide, attachée à toute votre race,
Etait auprès d'OEdipe : elle entendait ses cris
Quand il a maudit ses deux fils:

Elle vient d'accomplir sa sanglante menace.

AUTRE.

Le fer est descendu jusqu'au fond de leurs cœurs ;
Voyez leurs profondes blessures :

Le sang inondait leurs armures,

Et leur bouche mourante exhalait leurs fureurs.
Tous deux, en immolant un frère,

Ils poussaient des cris forcenés.

ENSEMBLE.

Tous deux, en combattant, semblaient environnés
Des malédictions d'un père.

SECOND CHOEUR.

D'autres hériteront de ce trône odieux
Qu'a long-temps disputé leur rage.
Le fer, de leur querelle arbitre impérieux,
Leur a fait un égal partage.

ENSEMBLE.

Tous deux n'auront de leur pays
Que la place où leurs corps seront ensevelis.

PREMIER CHOEUR.

Ah! malheureuse entre les mères,
La mère, épouse de son fils,

Qui mit au jour, hélas! ces deux fils sanguinaires
Pour être à jamais ennemis !

AUTRE.

Fiers rivaux, que n'a pu désarmer la nature,
Le sang qui fut puisé dans une source impure,
Ce sang, répandu par vos coups,

Se mêle en s'écoulant, se confond malgré vous.

AUTRE.

De la terre exécrable ouvrage,

Ce métal exterminateur,

Le fer, présent fait à la rage,
Mars, impitoyable vengeur,
Ont ainsi partagé le funeste héritage
Qu'OEdipe à ses enfans laissa dans sa fureur.
De la grandeur ils ont senti l'ivresse,

Ils ont brigué le trône et les trésors :
Dans le sein de la terre ils trouvent leur richesse,
Et leur royaume est chez les morts.

AUTRE.

L'Euménide, au sein des ténèbres,

Au moment où le glaive a terminé leurs jours,
Poussa des cris aigus au sommet de nos tours,
Et lamenta des chants funèbres.

Aux portes de la ville, au pied de nos remparts,
Até, menaçante, inflexible,

Vint asseoir son trophée horrible.

Et sur les combattans attacha ses regards.
Elle vit leur trépas comme elle vit leurs crimes,
Et resta satisfaite auprès de ses victimes.

Toutes les pièces d'Eschyle se ressentent de l'en

fance de l'art, et leurs beautés tiennent plus de

DE LITTÉRATURE.

UNIVERSI
CAL

l'épopée que de la tragédie; on y reconnait un génie mâle et brut, nourri des poésies d'Homère, dont il s'avouait l'imitateur : Mes pièces, disait-il, ne sont que les reliefs des festins d'Homère.

Aristote et Quintilien regardent Eschyle comme le père de la tragédie : c'est lui qui donna aux acteurs des robes traînantes, le masque, le cothurne; qui fit mettre des scènes peintes au lieu de branches de feuilles employées jusqu'alors, raccourcit les chœurs, et releva l'élocution des héros; mais en évitant la trop grande simplicité, il se jeta dans un autre excès, et donna à la tragédie un air gigantesque, des traits durs, une démarche fougueuse; enfin c'était l'art dans sa vigoureuse jeunesse, ayant besoin d'être ramené de ses écarts à ce point de maturité que les efforts et le temps ajoutent seuls aux inventions nouvelles.

Eschyle, dans sa vieillesse, se vit préférer Sophocle; inconsolable d'une telle disgrâce, il se retira chez Hiéron, roi de Syracuse, qui avait à sa cour le poète comique Épicharme, et Pindare; c'est là qu'il perdit la vie à l'âge de soixante-neuf ans, écrasé, dit-on, par une tortue qu'un aigle lui laissa tomber sur la tête.

Quatre des pièces d'Eschyle furent couronnées sous l'archonte Ménon; Phinée, Glaucus, les Perses et Prométhée. On peut résumer que ce poète a inventé la scène, le dialogue et l'appareil dramatique; qu'il a, le premier, traité une action; qu'il a été grand poète dans ses chœurs; et qu'enfin il a eu la gloire d'ouvrir la route où Sophocle et Euripide ont été plus loin que lui.

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