Page images
PDF
EPUB

Tu sais mieux qu'Abraham immoler la victime:
Vos deux cœurs ont été percés des mêmes coups.
Pour expier le crime, en étais-tu complice ?...
En recevant le jour nous souillons sa clarté ;
Couverts d'un poison hérité,
Condamnés à la mort, tributaires du vice,
De ces maux nous voyons ton berceau respecté...
Jamais tu ne trompas les vœux que l'on t'adresse,
Le nocher périssant t'implore, et tu le vois :

L'onde, le vent cède à ta voix;

La nature en tremblant reconnaît sa maîtresse... N'as-tu pas en naissant forcé toutes les lois ?

SAINT ALEXANDRE,

ÉVÊQUE D'ALEXANDRIE.

Quand l'enfer enfante une erreur,
Le ciel produit un juste, et l'arnie:
Il jette au monde un cri d'alarme
Pour les batailles du Seigneur.
La bonté divine est immense,

Roi.

Et ne laisse jamais les Chrétiens sans défense.
Arius, fou d'inpiété,

Fait du Verbe une créature,

Il ose attaquer sa nature

Et sa divine éternité !

Alexandre crie au blasphème,

Et l'Eglise avec lui prononce l'anathème.
Toujours luttant, toujours debout,
En Egypte comme à Nicée,
Pour la doctrine menacée

Il combat sans cesse et partout.

Il meurt le serpent qu'il écrase

Revit... mais pour périr frappé par Athanase.

Succession des saints docteurs,
Oh! que vous êtes admirable!
Par vous l'Eglise est immuable

Et résiste au choc des erreurs;

Mais la gloire que Dieu vous donne,

L'Eglise vous l'obtient, l'Eglise vous couronne !
Saint évêque, priez pour nous !
Notre âge est plein d'erreurs infâmes;
Obtenez-nous, pasteur des âmes,

De bons pasteurs, saints comme vous!
Que l'Eglise, forte et féconde,

Triomphe en tout combat et règne sur le monde!

Justin MAURICE.

ALMA REDEMPTORIS MATER.
(Traduction de l'Antienne latine.)

Du divin Rédempteur auguste et sainte Mère,
Pure étoile, porte du ciel,

Porte toujours ouverte ! ô Vierge tutélaire,
D'un peuple qui succombe écoutez l'humble appel!
Nous tombons tout souillés de péchés et de crimes,
Mais nous voulons nous relever;

Du mal et de l'enfer serons-nous les victimes?
Vierge, secourez-nous! vous pouvez nous sauver !
L'ange vous salua, Vierge humble, Vierge pure:
Il vous annonça le Sauveur;

Un prodige a surpris le monde et la nature :
Vous avez enfanté Dieu, votre Créateur !
O Mère toujours Vierge, ô Mère immaculée,
Salut, du profond de nos cœurs !
Sur la terre d'exil, sombre et triste vallée,
Ayez pitié de nous, misérables pécheurs !
J.-M. HAINGLAISÉ.

LES ALPES.

Sous mes yeux enchantés, la nature rassemble Tout ce qu'elle a d'horreur et de beautés ensemble. Dans un lointain qui fuit un monde entier s'étend. Et comment embrasser ce mélange éclatant De verdure, de fleurs, de moissons ondoyantes, De paisibles ruisseaux, de cascades bruyantes, De fontaines, de lacs, de fleuves, de torrents, D'hommes et de troupeaux, sur les plaines errants; De forêts de sapins au lugubre feuillage ; De terrains éboulés, de rocs minés par l'âge, Pendant sur des vallons, où le printemps fleurit; De coteaux escarpés où l'automne sourit ; D'abîmes ténébreux, de cimes éclairées, De neiges couronnant de brûlantes contrées, Et de glaciers enfin, vaste et solide mer, Où règne sur son tróné un éternel hiver? Là, pressant sous ses pieds les nuages humides, Il hérisse les monts de hautes pyramides, Dont le bleuâtre éclat, an soleil s'enflammant, Change ces pics glacés en rocs de diamant. Là viennent expirer tous les feux du solstice. En vain l'astre du jour, embrasant l'Ecrevisse, D'un déluge de flamme assiége ces déserts : La masse inébranlabie însulte au roi des airs. Mais trop souvent la neige, arrachée à leur eime, Roule en bloc bondissant, court d'abîme en abime, Gronde comme un tonnerre, et, grossissant toujours A travers les rochers, fracassés dans son cours, Tombe dans les vallons, s'y brise, et, des campagues Remonte en brume épaisse au sommet des montagne. ROUCHER.

A MA LYRE.

Aux jours de ténèbres profondes,
Tout chantre sublime est jeté,
Comme un soleil parmi les mondes,
Pour leur prodiguer sa clarté :
Astre choisi, si je dois luiré,

Que mes rayons soient bienfaisants!
Souviens-toi du ciel, ô ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.
Aujourd'hui quel besoin immense
Du souvenir de ton berceau !
La raison passe pour démence
Et la torche pour un flambeau;
L'orgueil recommence à construire
Au pied refroidi des volcans.
Souviens-toi du ciel, ô ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.
Nos sages nous disent encore :

Peuples, hȧtez votre réveil !
D'un plus beau jour chantez l'aurore!.. >>
Et c'est le coucher du soleil.

Le lendemain ne se peut lire
Ser des signes plus effrayants.
Souviens-toi du ciel, ô ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.
Le pouvoir dans sa main débile
Sent expirer l'autorité;
Son drapeau descend immobile
Le long de son måt attristé ;
On appelle en vain le zéphyre
Autour de ses plis languissants.
Souviens-toi du ciel, ó ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.
Déjà de nos derniers orages
A peine expirant dans les airs,
S'élèvent les mêmes nuages
Sillonnés des mêmes éclairs.
Que des tonnerres qui vont bruire
Ne s'intimident pas nos chants.
Souviens-toi du ciel, ô ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.

Et qu'importe que le vulgaire
Soit ou non pour ta déité?
De sanctuaire en sanctuaire
Il traîne sa servilité ;

L'idole qu'il voudrait proscrire
A cent fois reçu son encens.
Souviens-toi du ciel, ô ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.

Sous les faisceaux il rêve un maître,
Et sous un maître les faisceaux;
Le Brotus d'hier est un traître...
Qu'attendent des arcs triomphaux,
Contre ce coupable délire
Lance des accords véhéments!
Souviens-toi da ciel, ô ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.

D'une faveur tumultueuse

Que d'autres soient fiers de jouir :
D'une palme ignominieuse

Ma tête saura s'affranchir.
Que la vertu daigne sourire,
Voilà le prix où je prétends.
Souviens-toi du ciel, ô mà lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.

Parcourons toute la carrière,
Quoiqu'elle soit dans le désert.
Préfère aux autels de Voltaire

Le grabat du pauvre Gilbert.

Que ma bouche, avant que j'expire,
Paisse avouer tous les accents.
Souviens-toi du ciel, ô ma lyre,
Car c'est du ciel que tu descends.

Jean REBOUL.

AMAN,

SON ORGUEIL, SA VENGEANCE.

i

, ministre d'Assuérus, et HYDASPE, officier du

palais.

[ocr errors]
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

AMAN.

L'insolent devant moi ne se courba jamais.
En vain de la faveur du plus grand des monarques
Tout révère à genoux les glorieuses marques;
Lorsque d'un saint respect tous les Persans touchés
N'osent lever leurs fronts à la terre attachés,
Lui, fièrement assis, et la tête immobile,
Traite tous ces honneurs d'impiété servile,
Présente à mes regards un front séditieux,
Et ne daignerait pas au moins baisser les yeux.
Du palais cependant il assiége la porte:

A quelque heure que j'entre, Hydaspe, on que je sorte,
Son visage odieux m'afflige et me poursuit:
Et mon esprit troublé le voit encor la nuit.
Ce matin j'ai voulu devancer la lumière ;
Je l'ai trouvé couvert d'une affreuse poussière,
Revêtu de lambeaux, tout pâle; mais son œil
Conservait sous la cendre encor le même orgueil.
D'où lui vient, cher ami, cette impudente audace ?
Toi, qui dans ce palais vois tout ce qui se passe,
Crois-tu que quelque voix ose parler pour lui?
Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui ?

HYDASPE.

Seigneur, vous le savez, son avis salutaire Découvrit de Tharès le complot sanguinaire (1). Le roi promit alors de le récompenser :

Le roi, depuis ce temps, paralt n'y plus penser.
AMAN.

Non; il faut à tes yeux dépouiller l'artifice :
J'ai su de mon destin corriger l'injustice;
Dans les maias des Persans jeune enfant apporté,
Je gouverne l'empire où je fus acheté;
Mes richesses des rois égalent l'opulence :
Environné d'enfants, soutiens de ma puissance,
Il ne manque à mon front que le bandeau royal:
Cependant (des mortels aveuglement fatal!)

!, Thares, et son complice Bagathas, étaient préposés à la garde des portes. (Esth., xu.)

[ocr errors][merged small][merged small]

Vous serez de sa vue affranchi dans dix jours;
La nation entière est promise aux vautours.
AMAN.

Ah! que ce temps est long à mon impatience!
C'est lui, je te veux bien confier ma vengeance,
C'est lui qui, devant moi refusant de ployer,
Les a livrés au bras qui les va foudroyer.
C'était trop peu pour moi d'une telle victime
La vengeance trop faible attire un second crime;
Un homme tel qu'Aman, lorsqu'on l'ose irriter,
Dans sa juste fureur ne peut trop éclater.

Il faut des châtiments dont l'univers frémisse;
Qu'on tremble en comparant l'offense et le supplice;
Que les peuples entiers dans le sang soient noyés.
Je veux qu'on dise un jour aux siècles effrayés :
Il fut des Juifs; il fut une insolente race,
Répandus sur la terre ils en couvraient la tace:
Un seul osa d'Aman attirer le courroux;
Aussitôt de la terre ils disparurent tous.
HYDASPE.

Ce n'est donc pas, seigneur, le sang amalécite
-Dont la voix à les perdre en secret vous excite?

AMAN.

Je sais que, descendu de ce sang malheureux,
-Une éternelle haine a dû m'armer contre eux;
Qu'ils firent d'Amalec un indigne carnage ;
Que, jusqu'aux vils troupeaux, tout éprouva leur rage;
Qu'un déplorable reste à peine fut sauvé :
Mais, crois moi, dans le rang où je suis élevé,
Mon âme, à la grandeur tout entière attachée,
Des intérêts du sang est faiblement touchée.
Mardochée est coupable; et que faut-il de plus ?
Je prévins donc contre eux-l'esprit d'Assuérus ;
J'inventai des couleurs ; j'armai la calomnie;
J'intéressai sa gloire : il trembla pour sa vie ;
Je les peignis puissants, riches, séditieux;
Leur Dieu même ennemi de tous les autres dieux.
Jusqu'à quand souffre-t-on que ce peuple respire,
Et d'un culte profane infecte votre empire?

› Etrangers dans la Perse, à nos lois opposés,
› Du reste des humains ils semblent divisés,

› N'aspirent qu'à troubler le repos où nous sommes, Et, détestés partout, détestent tous les hommes.

› Prévenez, punissez leurs insolents efforts; De leur dépouille enfin grossissez vos trésors. › Je dis, et l'on me crut. Le roi, dès l'heure même, Mit dans ma main le sceau de son pouvoir suprême : ‹ Assure, me dit-il, le repos de ton roi,

Va, perds ces malheureux : leur dépouile est à toi.› Toute la nation fut ainsi condamnée. Du carnage avec lui je réglai la journée. Mais de ce traître enfin le trépas différé Fait trop souffrir mon cœur, de son sang altéré.

Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie. Pourquoi dix jours encor faut-il que je le voie ? Jean RACINE.

A MARIE.

Hommage du jeune poëte.

Mère, les orphelins, les enfants aux pieds nus, Les mendiants en pleurs, les anges inconnus

Qui vont visiter les chaumières,
Les pauvres, les petits connaissent ton autel,
Et portent chaque jour à ton cœur maternel
Leur bouquet de saintes prières.

La jeune épouse t'offre un enfant nouveau-né,
La vierge, un chaste front de vertu couronné,
L'enfant, son éternel sourire;
Mais rarement, hélas! un poëte pieux
Incline à tes genoux son front harmonieux,
A tes parvis suspend sa lyre.

O ma mère ! la vie à peine m'a bercé ;
A peine dix-huit fois le printemps a passé

Sur mon cœur qui t'aime et qui chante;
Mais que te font les jours? Tous les miens sont à toi,
Prends-moi pour ton poëte, ó ma mère ! prends-moi
Pour dire ta beauté touchante.

Comme le rossignol éclôt dans le printemps,
Que mon apostolat commence à dix-huit ans:
C'est l'âge où le cœur est plus tendre;
Et moi, je veux t'aimer, me suspendre à tes yeux,
Te chercher sur la terre et te chercher aux cieux,
Partout te voir, partout t'entendre.

La gloire !.... Qu'est-ce donc ? une statue en deuil
Que l'on achète, afin d'en parer son cercueil,
Au prix des sueurs et des veilles.

La volupté! Bien loin ses plaisirs flétrissants,
Qui nous cachent la mort dans les plaisirs des sens
Le serpent sous les fleurs vermeilles.
L'amour! Ce nom sacré s'est souillé dans nos chants,
L'enfant de Dieu s'allie aux filles des méchants,
Sa robe a traîné dans leur fange.

Ils l'ont découronné de sa gerbe de feu;
Ainsi qu'un vil jouet, ils ont, hors du saint lieu,
Traîné ses blanches ailes d'ange.

Il ne reste que toi, mère, que la beauté !
Azur, astres, frimas, roses, printemps, élé,
En tout je veux voir tou image.

Je veux vivre à tes pieds ou caché dans ton sein,
Et mourir en baisant ta maternelle main.
Les yeux tournés vers ton visage.

L'AMBITIEUX

Paul REYNIER.

DÉPEINT PAR LUI-MÊME.

MATHAN, prêtre de Baal, à son confident Nabal. Ami, peux-tu penser que d'un zèle frivole Je me laisse aveugler par une vaine idole, Pour un fragile bois, que, malgré mon secours, Les vers, sur son autel, consument tous les jours ? Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore, Peut-être que Mathan le servirait encore, Si l'amour des grandeurs, la soif de commander Avec son joug étroit pouvaient s'accommoder.

Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle Joad et de moi la fameuse querelle,

and j'osai contre lui disputer l'encensoir,

Mrs brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir?
incu par lui, j'entrai dans une autre carrière,
Et mon âme à la cour s'attacha tout entière.
Japprochai par degrés de l'oreille des rois,
Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
Jstudiai leur cœur, je flattai leurs caprices,
Je leur semai de fleurs le bord des précipices;
Près de leurs passions rien ne me fut sacré :
De mesure et de poids je changeais à leur gré.
Autant que de Joad l'inflexible rudesse
De lear superbe oreille offensait la mollesse,
Autant je les charmais par ma dextérité,
Derobant à leurs yeux la triste vérité,
Pretant à leurs fureurs des couleurs favorables,
El prodigue surtout du sang des misérables.

Enfin, au Dieu nouveau qu'elle avait introduit
Par les mains d'Athalie un temple fut construit.
Jerusalem pleura de se voir profanée.
Des enfants de Lévi la troupe consternée
La poussa vers le ciel des hurlements affreux,
Moi seal donnant l'exemple aux timides Hébreux,
Deserteur de leur loi, j'approuvai l'entreprise,
El par là de Baal méritai la prêtrise.
Par la je me rendis terrible à mon rival,
Je ceignis la tiare et marchai son égal.
Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire,
Da Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire
Jette encore en mon âme un reste de terreur;
Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
Heureux si, sur son temple achevant ma vengeance,
de puis convaincre enfin sa haine d'impuissance,
E, parmi les débris, le ravage et les morts,
A force d'attentats perdre tous mes remords!

L'AME

Jean RACINE.

S'ANÉANTISSANT DEVANT LA MAJEsté divine.

De cet être infiui l'infiui te sépare.
Du char glacé de l'Ourse aux feux de Sirius

I regne: il règne encore où les cieux ne sont plus.
Dans ce gouffre sacré quel mortel peut descendre?
L'immensité l'adore et ne peut le comprendre ;
El lei, songe de l'être, atome d'un instant,
Laré dans les airs sur ce globe flottant,
Des mondes et des cieux spectateur invisible,
Toa orgueil pense atteindre à l'Etre inaccessible !
Tu prétends lui donner tes ridicules traits;
Tu reux, dans ton Dieu-même, adorer les portraits!

Ni l'aveugle hasard, ni l'aveugle matière,
Vont pu créer mon âme, essence de lumière.
Je pense: ma pensée atteste plus un Dieu
Que tout le firmament et ses globes de feu.
Voilé de sa splendeur, dans sa gloire profonde,
D'un regard éternel il enfante le monde.
Les siècles devant lui s'écoulent, et le temps
Noserait mesurer un seul de ses instants.

Le qu'on nomme destin n'est que sa loi suprême;
L'immortelle nature est sa fille, est lui-même.

[blocks in formation]

Dans les liens du corps notre âme prisonnière Par un sublime instinct aspire à d'autres lieux;

Sa pensée à la vie échappe tout entière,
Dans le sein d'un mortel elle rêve les cieux.
Elle semble à regret habiter la matière;
Et souveraine encor dans sa captivité,
Se rappelant toujours son essence première,
Vouloir se rattacher à la Divinité.

Rien ne peut ralentir sa vive impatience;
Et Dieu seul peut fixer son regard solennel :
On dirait que du ciel ayant l'expérience,
Rien n'accomplit ici son désir éternel :
Elle paraît grandir au sein de la souffrance;
Sur les vagues du temps assurant son repos,
Elle dit au Seigueur: ‹ Soyez mon espérance!
Et la main du Seigneur la soutient sur les flots.

C'est en vain que la joie en passant la convie,
Que le plaisir lui crie: Arrête près de moi ! ›
Tout le bonheur qui brille au prismeļde la vie
S'évanouit pour elle au flambeau de la foi.
Le Seigneur qui la cherche et l'envie à la terre,
A l'attrait du danger oppose un saint effroi ;
Et d'un céleste appui découvrant le mystère,
Lui répète en secret: Je suis auprès de toi !»
MME DE CÉRÉ-BARBÉ.

L'AME. 1.

Fils du ciel, je fuirai les honneurs de la terre ;
Dans mon abaissement je mettrai mon orgueil;
Je suis le roi banni, superbe et solitaire,

Qui veut le trône ou le cercueil;

Je hais le bruit du monde et je crains sa poussière. La retraite paisible et fière

Réclame un cœur indépendant;

Je ne veux point d'esclave et ¡ne veux point de maître ; Laissez-moi rêver seul au désert de mon être :

J'y cherche le buisson ardent.

Toi, qu'aux douleurs de l'homme un Dieu caché con

[blocks in formation]

Comme une belle vision ?

Sur nies terrestres fers, ô vierge glorieuse,
Pose l'aile mystérieuse

Qui t'emporte au ciel dévoilé.

Viens-tu m'apprendre, écho de la voix infinie, Quelque secret d'amour, de joie ou d'harmonie, Que les anges t'ont révélé ?

II

Vis-tu ces temps d'innocence,
Où, quand rien n'était maudit,
Dieu, content de sa puissance,
Fit le monde et s'applaudit?
Vis-tu, dans ces jours prospères
Du jeune aïeul de nos pères
Eve enchanter le réveil;
Et dans la sainte phalange,
Au front du premier archange
Luire le premier soleil ?

Vis-tu, des torrents de l'être,
Parmi de brûlants sillons,
Les astres, joyeux de naître,
S'échapper en tourbillons,
Quand Dieu, dans sa paix féconde,
Penché de loin sur le monde,
Contemplait ces grands tableaux,
Luj, centre commun des âmes,
Foyer de toutes les flammes,

Océan de tous les flots ?

[ocr errors]

Saivais-tu du Seigneur la marche solennelle,
Lorsque l'Esprit porta la parole éternelle
De l'abîme des eaux aux régions du feu;
Au jour où, menaçant la terre virginale,
Comme d'un char léger pressant l'ardent essieu,
Un roi vaincu refuse une lutte inégale,
Le Chaos éperdu s'enfuyait devant Dieu?

As-tu vu loin des cieux, châtiant ses complices,
Le roi du mal, armé du sceptre des supplices,
Dans le gouffre où jamais la terreur ne s'endort;
Lieu funèbre où, pleurant les songes de la terre,
Le crime se réveille enfantant le remord,
Et qu'un Dieu visita, revêtu de mystère,
Quand d'enfer en enfer il poursuivit la mort ?

IV.

Montre moi l'Eternel, donnant comme un royaume,
Le temps à l'éphémère et l'espace à l'atome;
Le vide obscur, des nuits tombeau silencieux,
Les foudres se croisant dans leur sphère tonnante,
Ella comète rayonnante

Traînant sa chevelure éparse dans les cieux.
Mon esprit sur ton aile, ô puissante compagne,
Vole de fleur en fleur, de montagne en montagne,
Remonte aux champs d'azur d'où l'homme fut banni,
Du secret éternel lève le voile austère ;

Car il voit plus loin que la terre :
Ma pensée est un monde errant dans l'infini.

[ocr errors][merged small]

Et sous le jour brûlant ainsi qu'en la nuit sombre,
Surveille au loin tout l'horizon.

Je ne suis point celui qu'une ardeur vaine enflamme,
Qui refuse à son cœur un amour chaste et saint,
Porte à Dagon l'encens que Jéhovah réclame,
Et, voyageur sans guide, erre autour de son âme,
Comme autour d'un cratère éteint.

Il n'ose, offrant à Dieu sa nudité parée,
Flétrir les fleurs d'Eden d'un souffle criminel
Fils banni, qui, traînant sa misère ignorée,
Mendie et pleure, assis sur la borne sacrée
De l'héritage paternel.

Et les anges entre eux disent: Voilà l'impie;
› Il a bu des faux biens le philtre empoisonneur:
› Devant le juste heureux que son crime s'expie;
Dieu rejette son âme ! elle s'est assoupie
› Durant la veille du Seigneur. ›

Toi, puisses tu bientôt, secouant ma poussière,
Retourner radieuse au radieux séjour!
Tu remonteras pure à ta source première,
Et, comme le soleil emporte sa lumière,
Tu n'emporteras que l'amour !

VI.

Malheureux l'insensé dont la vue asservie

Ne sent point qu'un esprit s'agite dans la vie !
Mortel, il reste sourd à la voix du tombeau ;

Sa pensée est sans aile, et son cœur est sans flamme:
Car il marche, ignorant son âme,

Tel qu'un aveugle errant qui porte un vain flambeau. Victor Hugo.

L'AMERIQUE DECOUVERTE,
Ilé! qui du grand Colomb ne connaît point l'histoire,
Lui, dont un nouveau monde éternisa la gloire?
Illustre favori du maître du trident,
L'heureux Colomb voguait sur l'abîme grondant;
Sa nef avait franchi les colonnes d'Alcide;
Les phoques, les tritons, la jeune néréide
Voyaient d'un œil surpris ces drapeaux, ces soldats,
Ces bronzes menaçants, cette forêt de mâts,
Et ces hardis vaisseaux, flottantes citadelles,

A qui les vents vaincus semblaient céder leurs ailes.
Depuis six mois entiers ils erraient sur les eaux;
Dépourvus d'aliments, épuisés de travaux,
Les matelots sentaient défaillir leur courage,
Et d'une voix plaintive imploraient le rivage.
Mille maux à la fois leur présagent leur fin,
Et la contagion se ligue avec la faim.
Pour comble de malheurs, sur l'Océan immense
Les airs sont en repos, les vagues en silence;
Dans la voile pendante aucun vent ne frémit;
Et dans ce calmne affreux dont le nocher gémit,
L'oreille n'entend plus, durant la nuit profonde,
Que le bruit répété des morts tombant dans l'onde.
Plusieurs au haut des mâts interrogent de loin
Les terres et les mers, sourdes à leur besoin.
Rien ne paraît; des cœurs un noir transport s'empare
(Lorsqu'il est sans espoir, le malheur rend barbare);
Tous fondent sur le chef: à son poste arraché,
Au pied du plus haut mât Colomb est attaché;'
Cent fois de la tempête il défia la rage,

« PreviousContinue »