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d'Homère. « Le véritable berceau des mystères et de la poésie sacrée, dit M. Bignan (1), fut la Thrace. Après Linus et Pamphus son disciple, Orphée fonda la caste des poëtes législateurs et sacerdotaux ; il institua des cérémonies et des cultes mystiques. Ses successeurs tentèrent d'importer en Grèce leurs rites barbares, leurs divinités sanguinai

res. »

Toutefois l'idée du Dieu unique et éternel était tellement enracinée dans l'intelligence humaine, que chaque fois qu'il se trouvait un esprit supérieur et préparé par ses méditations et par ses vertus à recevoir la lumière de vérités plus hautes, cette idée reparaissait à ses yeux plus ou moins dégagée du voile des allégories et des symboles dont les poëtes l'avaient enveloppée. On sait quels sens mystiques et spirituels on s'est efforcé d'exprimer des hiéroglyphes de l'Egypte, ainsi que des mythes de la Grèce. Isis représentait la nature universelle; les rapports mutuels des choses étaient figurés par Osiris; Jupiter signifiait le principe de 'être. Mais l'initiation des grands mystères était, dans tous les cas, le privilége d'un bien petit nombre d'élus, et le peuple partout prenait à la lettre les fictions les plus monstrueuses et les fables les plus absurdes. Quoique le fond des conceptions poétiques qui se produisaient alors fût une idée abstraite, une vérité métaphysique, bien peu d'esprits l'apercevaient, et l'image sensible qui la recouvrait faisait oublier l'idée la forme emportait le fond.

Chez les Grecs, comme chez les Hébreux, la plus ancienne forme de poésie fut le genre lyrique. Fleury nous apprend, d'après Platon (2), que ce genre comprenait cinq sortes de chants: 1° les hymnes pour prier les dieux et se les rendre propices; 2° une autre contraire à la première, qu'il dit que l'on pouvait appeler peut-être élégie ou chant plaintif; 3° le pæon ou pæan, qui était vraisemblablement un chant militaire;

le dithyrambe, qui avait pour sujet la naissance de Bacchus; 5° une autre espèce, que l'on appelait les lois de la cithare. Ces chants et quelques autres étaient réglés par les lois, de sorte qu'il n'était pas permis de s'en servir indifféremment, ni de chanter l'un pour l'autre. Le peuple les écoutait en

(1) Discours sur l'Iliade.

(2) Discours sur la poésie des Hébreux.

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silence, et, seuls, les sages et les hommes instruits en étaient les appréciateurs et les juges. Platon ajoute que les poëtes qui vinrent ensuite, ignorant les raisons solides de ces lois, confondirent les différentes espèces de chants, mêlant les chants lugubres avec les hymnes, les dithyrambes avec les pæans, et qu'ils persuadèrent au peuple que chacun avait le droit de prononcer son arrêt sur la valeur de ces ouvrages, et de la mesurer au plaisir qu'ils procuraient, d'où résulta une licence effrénée dans les spectacles. « Le peuple d'Athènes, qui se croyait capable de tout, décidait de toutes choses par son caprice, et n'obéissait plus aux magistrats ni aux lois.» Les Egyptiens, au contraire, avaient consacré toutes les espèces de chants et de danses à certaines divinités, et réglé dans quels jours et en quels sacrifices on devait se servir de chacune; après quoi il n'était plus permis de rien changer; en sorte que si quelqu'un eût voulu innover en quelque chose, les prêtres et les prêtresses, avec le secours des magistrats, gardiens des lois, l'en eussent empêché; et celui qui n'y eût pas obéi, eût passé toute sa vie pour un impie. Tel était le seul genre de poésie que Platon eût voulu permettre, et il regardait l'influence exercée par le chant et par la danse sur les esprits comme étant assez énergique et assez importante pour mériter d'être l'objet d'un soin spécial de la part des législateurs.

Quant aux Hébreux, il paraît qu'ils ne connurent jamais le genre dramatique et l'épopée, et qu'ils se renfermèrent presque exclusivement dans le genre lyrique, qui fut, comme nous l'avons dit, la forme de la poésie primitive. Mais à quelle étonnante hauteur ne se sont-ils pas élevés dès leurs premiers essais! « Il est bien remarquable, dit Treneuil (3), que la poésie chez le peuple de Dieu ne connut point cet état de faiblesse, ces progrès plus ou moins rapides, et cette décadence qui signalent les diverses époques des arts et des sciences profanes. Le commencement fut, comme le milieu et la fin de sa carrière, marqué par des chefsd'œuvre. Fille du ciel, elle s'éleva du premier vol au sommet de la perfection, ce qui prouve la divinité de son origine et (3) Discours sur l'élégie héroïque.

l'importance de sa mission sur la terre. >> Comme la poésie des Hébreux non-seule ment a donné des modèles à la poésie des nations chrétiennes, mais est devenue pour celle-ci une source abondante d'inspirations, nous croyons devoir résumer ici quelques observations sur le caractère et les beautés poétiques des livres saints. Lowth, Fleury, Laharpe, Châteaubriand, l'allemand Herder, ont écrit de savantes pages à ce sujet, et nous les prendrons pour nos guides dans l'exposé que nous allons esquisser sur une matière qui, traitée à fond, serait inépui

sable.

parallélisme du cie, et de la terre. Il fallait
séparer, classer les êtres; plus cette sépara-
tion était facile, vraie, belle et étendue, plus
elle pouvait aspirer à devenir une forme
éternelle, et elle l'est devenue dans la poé-
sie hébraïque, que, par cette seule raison, on
peut appeler la poésie du ciel et de la terre.
Le plus ancien tableau de la création avec
la division de ses travaux de chaque jour,
semble avoir été esquissé d'après les exi-
gences de ce parallélisme. Le ciel s'élève, la
terre s'étend et se pare; l'air et les eaux se
peuplent, et la terre aussi se couvre d'êtres
vivants. Le parallélisme du ciel et de la
terre se perpétue à travers tous les hymnes
qui se fondent sur ce tableau de la création,
à travers les psaumes qui en appellent à la
nature entière pour glorifier le Seigneur, et
à travers les invocations solennelles de
Moïse et des prophètes; ce parallélisme,
enfin, est le vaste coup d'oeil qui embrasse
l'ensemble de la poésie et de la langue (4). » \

Partout dans la poésie des Hébreux écla-
tent dans leur splendeur et dans leur vérité
les attributs du Dieu suprême. la sagesse,
l'infinité, l'unité, la toute-puissance. « L'u-
nité de Dieu, dit Herder, est très-positive-
ment énoncée dans le premier tableau de la
création. C'est à cette unité que la poésie
bébraïque doit l'élévation et la vérité, la
simplicité et la sagesse des croyances qui
sont heureusement devenues les guides du
monde. Il est impossible d'énumérer toutes
les richesses de l'espèce humaine qui
étaient prédestinées à se rattacher au trésor
intellectuel et moral contenu dans la seule
idée de Dieu. Cette idée détourne les su-
perstitions, les idolâtries, les vices et les
horreurs privilégiées qui naissent naturel-
lement de la pluralité des dieux; elle seule
nous montre partout l'unité du but des
choses existantes; elle seule nous fait re-
connaitre partout la loi naturelle d'une
sagesse, d'un amour, d'une bonté infinie, et
nous accoutume à mettre de l'ensemble
dans la variété, de l'ordre dans la confusion,
de la lumière dans l'obscurité. A mesure
que la conviction de l'existence d'un seul
Créateur a fail du monde un seul tout, X.63-
Ho, la sensation humaine, le reflet de ce
Créateur est devenu unité, et s'est soumis à
des enseignements généraux sur la sagesse,
sur l'ordre et sur la beauté. La poésie qui a
le plus puissamment contribué à cet ensei-
gnement a été la plus utile, et la poésie
hébraïque se trouve dans ce cas. Elle est la
plus ancienne digue connue contre l'idolâ-
trie, et c'est elle encore qui a jeté le premier
rayon de lumière, la première pensée d'ordre
et d'unité sur le chaos de la création, par le
(5) Herder, Histoire de la poésie des Hébreux, traduite par Mme la baronne de Carlowitz, p. 45.
(5) Herder, ibid., p. 60.

Après avoir ainsi fait ressortir la magnificence de cette poésie vraiment digne du Dieu qu'elle célèbre, car c'est lui-même qui l'a inspirée, Herder la compare aux livres sacrés des peuples du Nord, et il fait remarquer à quel point la poésie des Hébreux efface encore, fondée comme elle l'est sur la vérité, toutes les mythologies qui, s'appuyant sur des fables et sur des chimères, ne produisent aucun résultat utile pour les sociétés humaines.« A quoi servent, s'écriet-il, les mythologies, qui n'apprennent rien? Quel fruit puis-je tirer de l'Edda du Nord, qui me parle du ciel comme du crâne d'un géant tombé dans les combats, qui fait de la terre les ossements de ce géant, et voit l'origine des fleuves et de leurs sources dans les flots de sang qu'il a répandus? La poésie doit unir le vrai au beau, et auimer l'un et l'autre par un sentiment d'intérêt commun à cette condition seule, elle est à la fois la poésie du cœur et de la raison (5).»

Il est temps de justifier, par quelques exemples, les louanges données à la poésie hébraïque et de montrer qu'elles n'ont rien. d'exagéré.

Job, le héros du livre de poésie qui partage avec les écrits de Moïse, la gloire d'être le plus ancien qui nous soit parvenu, fait cette protestation touchante au milieu des

fléaux qui l'ont accablé: « Si en contemplant Ce soleil et son éclat éblouissant, si en suivant du regard la marche superbe de la une, mon cœur s'était enflammé en secret, si jeleur avais jeté un baiser de ma bouche, j'aurais commis un forfait horrible, j'aurais renié le vrai Dieu du ciel!» On reconnaît là toute l'horreur qu'inspirent au saint vieillard de l'ldumée les rites sacriléges de l'idolatrie, et combien il s'estime heureux d'affirmer sa fidélité au culte du vrai Dieu! Ainsi, tandis que les peuples voisins se prosternaient devant des objets sensibles auxquels aboutissaient tous leurs hommages, les Hébreux faisaient des créatures les plus magnifiques d'humbles serviteurs de Dieu, de dociles messagers de Jéhovah. L'homme surtout n'apparaît sur la scène de l'univers que dans un état de profonde dépendance, et avec le sentiment de son immense faiblesse, qui lui fait constamment lever les yeux vers le Maître du ciel,comme yers la source d'où découlent sa vie et sa prospérité. Lisez à cet égard ce sublime passage du même Job (chap. xxv): « La force et l'effroi l'entourent; il est juge souverain dans les hauteurs des cieux1 Ses phalanges ne sont-elles pas innombrables, et sa lumière ne les surpasse-t-elle pas toutes en puissance? Comment l'homme pourrait-il paraître juste devant Dieu ? Le fils de la femme pourrait-il être sans tache devant lui? Regarde! quand il paraît, la lune ellemême s'enfuit et disparaît sous sa tente. Pour son regard les étoiles ne sont pas assez pures; comment l'homme pourrait-il l'être? t'homme ce ver, cet enfant de la terre, ce vermisseau ?... »

Ecoutez encore cette invocation de Moïse : << Seigneur, c'est par toi seul que nous existons de générations en générations ! Avant qu'elles ne fussent créées, les montagnes, avant que la terre ne les eût enfantées, tu étais déjà, toi qui es Dieu de monde primitif en mondes primitifs ! Tu fais retourner l'homme dans la poussière, et tu dis: Générations nouvelles, revenez! A tes yeux mille et mille ans ne sont qu'une partie de la nuit, de la journée d'hier qui vient de finir! Tu les laisses s'engourdir: les voilà qui dorment ! Au matin elles étaient comme l'herbe verte et fratche; au matin, de bonne (6) Psaume xc, attribué à Moïse.

heure l'herbe verdit et fleurit; le soir elle est flétrie et desséchée (6) !... >>

<< La poésie hébraïque seule,. dit Herder, a pu former un lien invisible entre l'homme et le Dieu, le père de l'espèce humaine; toutes les autres poésies n'ont que des rapports imaginaires avec des dieux, des génies, des ombres imaginaires. Quel charme naïf dans les récits qui parlent des patriarches! Leur bonheur extérieur n'a rien de brillant; le dernier d'entre eux s'écrie que la vie est courte et pleine de calamités ! Toujours errants, le repos semble leur avoir été réfusé iri-bas; et des catastrophes domestiques les accablent sans cesse. Mais Dieu est toujours près d'eux, les anges les accompagnent, les Elohim les entourent, et leur présence semble sanctifier tous les pays où ils s'arrêtent; c'est sous leurs tentes que se conservent les trésors du monde primitif, c'est-à-dire la pureté des mœurs, la foi en Dieu, la simplicité de cœur et la résignation. Sous ce rapport aussi, c'est à la poésie hébraïque que la postérité doit ses plus éloquents et ses plus magnifiques souvenirs... » — « Dans cette poésie, poursuit Herder, le soleil et la lune sont le roi et la reine du ciel, les serviteurs de Dieu, les régents du monde; l'air est une colombe qui, étendue sur son nid, réchauffe ses enfants. Dieu lui-même, le créateur de toutes choses, est un maître qui contemple son œuvre avec satisfaction et la bénit; et ce Dieu est le père des hommes, et les pères des hommes sont ses représentants en ce monde. Le froid déiste pourra trouver cette poésie exagérée, mais il sera forcé de convenir qu'elle est nécessaire à la faiblesse humaine. Si la création sans Dieu n'est qu'un éternel chaos, sans un Dieu mis au niveau de nos facultés, il ne nous eût jamais été possible d'établir des rapports d'amitié et de famille, de confiance et d'intimité avec cet Etre qui nous est à la fois si inconnu et si près. Voilà pourquoi cet Etre, ( dans sa bonté et dans sa condescendance infinies, a rendu nos premières notions sur lui aussi accessibles que possible à notre intelligence..... » — « Le propre de cette poésie, dit encore Herder, est de tout remplir par Jéhovah; aussi la composition de ses plus téméraires images tend-elle sans

(7) Herder, Histoire de la poéșie des Hébreux, passim.

cesse vers ce Jéhovah. Le tonnerre est sa voix, et les poëtes sacrés comprennent cette voix; la lumière est son vêtement, il s'y enveloppe comme dans un ample manteau, et l'étend sur les ténèbres pour faire naître l'aurore; les cieux sont sa tente, son palais, son temple, son château-fort; la nature entière est une innombrable légion d'êtres vivants consacrés à son service. La création tout entière est animée par des anges. Chaque objet de la nature est un de ses messagers, un ange de sa face.... » Et plus Join : « Il n est point de qualité, point de perfection de Dieu qui ne soit dépeinte dans les Psaumes et dans les livres des Prophètes, par des expressions aussi simples qu'énergiques; et la plupart de ces sublimes expressions découlent du nom de Jéhovah, qui est, en effet, la base de toute la théologie naturelle... La sagesse suprême de ce Dieu, son pouvoir universel qui le rend présent en tout lieu et lui fait tout voir, tout savoir; sa sollicitude paternelle, et la surveillance spéciale dont il entoure chaque individu isolé, tout cela est dépeint dans les Psaumes et dans les livres des Prophètes avec tant de chaleur et de vérité, qu'on sent, pour ainsi dire, les plus secrets replis de son âme se dérouler devant le regard d'un Dieu pour lequel il n'y a rien de caché. Le déisme rur ne pourrait jamais s'exprimer avec plus d'énergie et de noblesse, qu'en empruntant le langage de l'Ancien Testament: Lui qui a fait l'œil, peutil ne pas voir? Lui qui a créé l'oreille, peutil ne pas entendre? Insensés, quand donc deviendrez-vous sages?»

En lisant dans les Livres sacrés tant de récits où Dieu se communique à son peuple par l'intermédiaire de ses chefs et de ses prophètes; où il se pose comme son protecteur, son conducteur; où des images sensibles expriment cette action perpétuelle de la Providence, on pourrait penser que le peuple hébreu était disposé à se représenter la Divinité sous des idées anthropomorphiques. Moïse et les divers prophètes avaient pris les précautions les plus minutieuses et les plus efficaces pour le prémunir contre une telle erreur. Moïse répète souvent, et dans les termes les plus énergiques, que personne ne peut ni voir ni re

(8) Herder, ibid., p. 297.

produire la face de Dieu. Cette grande vérité ressort aussi avec la dernière évidence du livre de Job, qui nomme Dieu l'Inconcevable. On sait d'ailleurs que chez les Israélites il était sévèrement défendu de figurer la Divinité sous des formes matérielles, et c'est à cause de l'absence de toute idole de leur temple qu'il est arrivé que des peuples étrangers leur ont adressé le reproche d'athéisme. Les prophètes les plus récents ont seuls dépeint sous des symboles les apparitions du Dieu qui leur envoyait des visions. « Plus on remonte vers les temps primitifs, dit Herder (8), plus les symboles disparaissent, et plus le respect silencieux pour l'Etre infini, inconcevable, que pas un nom de la terre ne peut désigner, est imposant et digne de cet être. Au reste, les apparitions divines n'étaient pas une condition inséparable de la mission des prophètes. Dieu se contenta d'appeler Samuel, le premier successeur de Moïse, par une voix partie du haut de son siége sans forme, suspendu au-dessus du siége des chérubins. La plupart des autres prophètes entendirent la parole de Dieu, mais il ne leur apparut pas; voilà ce qui distingue si visiblement la poésie des Hébreux de celle de tous les peuples idolâtres. C'est une poésie de sages, el non de visionnaires mythologiques; elle n'a pas enfanté d'hymnes, d'épopées où s'agitent et combattent des dieux guerroyants; ses chants et ses cantiques célèbrent Dieu dans ses actes et dans la perfection de ses œuvres. » Lorsque, plus tard, Daniel montra la Divinité revêtue d'une forme humaine dans une vision nocturne qu'il décrit, il y avait longtemps que tout danger d'anthropomorphisme avait disparu pour les Hébreux.

Qu'elle était touchante et belle cette poésie qui avait des inspirations non-seulement pour les souffrances et les angoisses de l'homme, à qui elle rappelait sans cesse sa faiblesse et sa dépendance en présence du Dieu infini et éternel, mais qui savait aussi le suivre dans ses joies, et lui révéler ses grandeurs! On connaît le passage du livre de Job où il peint la tristesse du sort de l'homme qui, né de la femme, vit peu de temps et est rempli de beaucoup de misères. Ce livre est, d'ailleurs, dans son en

semble, une des élégies les plus pathétiques et les plus profondes qu'aient jamais inspirées les infortunes humaines. Job, qu'une catastrophe soudaine a précipité du faîte du bonheur dans un abîme de misère, qui a vu périr ses enfants d'une manière si lamentable, fait entendre tour à tour les accents de la plainte, de la douleur, de la résignation, et ses cris vont ébranler dans leur profondeur les fibres les plus secrètes de l'âme. Mais lorsqu'il s'agira de célébrer les grandeurs de l'homme, du roi de la terre, cette poésie trouvera des expressions non moins énergiques pour l'associer en quelque sorte à la gloire de Dieu lui-même : « Jéhovah! notre Dieu! s'écrie le Psalmiste (9), que ton nom est grand et beau par tout l'univers! Ta louange résonne encore au-dessus des cieux! C'est avec la voix des enfants et des nourrissons que tu t'es construit une forteresse glorieuse devant laquelle tes ennemis s'arrêtent et succombent ! Je contemple ton ciel, œuvre merveilleuse de tes doigts; je contemple la lune, les étoiles que tu as faites, Seigneur! Qu'est-ce que l'homme, pour que tu aies daigné penser à lui? Qu'est-ce que l'enfant de l'homme, pour que tu l'aies si richement doté? Tu l'as placé à côté des Elohim, tu l'as couronné de gloire et d'honneur; tu l'as fait le maître de tes œuvres; tu as tout mis à ses pieds! Ils sont à lui les troupeaux d'animaux domestiques, depuis le plus grand jusqu'au plus petit! les bêtes fauves des champs et des forêts sont à lui les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, et tout ce qui suit la marche des flots lui appartient! Seigneur notre Dieu, combien ton nom est glorieux par tout l'univers ! » Rapprochez ce psaume que nous citons ici, parce qu'il a été emprunté à l'histoire de la création, des poésies grecques ou latines; quelle distance de l'un aux autres ! Les poëtes et les philosophes païens n'avaient ordinairement pour la condition humaine que des paroles de froid. mépris, d'ironie cruelle, ou d'amer désespoir. Ic l'homme est à la place qui lui convient; il est le triomphateur de ce monde, il le domine, mais toujours dans l'attitude de la subordination qu'il doit à son Créateur. En lisant de pareils chefsd'œuvre on comprend l'influence des insti

tutions qui les produisaient. Quelle action devaient-ils exercor sur l'esprit d'un peuple qui les chanta dans le temple où accouraient les douze tribus rassemblées, comme une seule famille, de tous les points de la Judée r

Les livres de la Bible que l'on regarde comme ayant, avec les cantiques de Moïse, un caractère spécialement poétique, sont : le livre de Job; les cantiques des Prophètes, et d'autres auteurs, rapportés dans les livres historiques ou dans les prophètes, tels que les cantiques de Baruch et de Débora; les cent-cinquante psaumes, dits de David, parce que la plupart ont été composés par ce prince. Saint Jérôme, dans sa Préface sur Jérémie, paraît ranger parmi les livres de poésie le Cantique des cantiques, et les Lamentations de Jérémie. Enfin les bénédictions de Jacob, à la fin de la Genèse, celles de Moïse, dans le Deutéronome, la prophétie de Balaam, et quelques autres passages de la Bible, sont aussi regardés comme ayant un caractère poétique. L'étude des beautés littéraires qui étincellent partout dans ces livres a si souvent fait l'objet d'ouvrages spéciaux que nous ne nous y arrêterons qu'autant qu'il le faudra pour en donner quelque idée aux lecteurs qui n'auraient pas lu ces ouvrages, et que nous serions heureux d'engager à faire de ces livres le thème de méditations plus approfondies.

Le livre des Psaumes étant le plus considérable de tous, est aussi celui qui fixera plus particulièrement notre attention.

Herder explique en ces termes la nature du livre des Psaumes. Chez les Hébreux, chaque fête avait ses festins, sa musique, ses chants et ses danses; car devant son Maître invisible, et réuni autour de la tente qui renfermait la loi de ce Maître, le peuple de Dieu devait être un peuple joyeux. Le but de ces réunions était d'entretenir, par des repas et des chants en conimun, l'orgueil national du peuple, c'est-à-dire le souvenir de son origine et de son histoire, celui des patriarches et de leur amour pour Jéhovah; elles entretenaient en même temps J'union fraternelle et la joie en Dieu des diverses tribus, qui, toutes, n'avaient qu'un même Maître invisible, qu'une loi, qu'un

(9) Psaume vin. Herder, Histoire de la poésie des Hébreux, p. 152,

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