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1435 PORTRAIT D'UN HONNETE HOMME

En moins de rien tombe par terre;
Et comme elle a l'éclat du verre,
Elle en a la fragilité.

Ainsi n'espérez pas qu'après vous je soupire;
Vous étalez en vain vos charmes impuissants;
Vous me montrez en vain par tout ce vaste empire
Les ennemis de Dieu pompeux et florissants.
Il étale à son tour des revers équitables

Par qui les grands sont confondus.
Les glaives qu'il tient suspendus
Sur les plus fortunés coupables
Sont d'autant plus inévitables

Que leurs coups sont moins attendus.
Saintes douceurs du ciel, adorables idées,
Vous remplissez un cœur qui vous peut recevoir.
De vos sacrés attraits les âmes possédées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir.
Vous promettez beaucoup et donnez davantage,

Vos biens ne sont point inconstants,
Et l'heureux trépas que j'attends
Ne vous sert que d'un doux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contents.

Pierre CORNEILLE.
PORTRAIT D'UN HONNETE HOMME,

OU LA SAGESSE HUMAINE.

I.

Rendez au Créateur ce que l'on doit lui rendre. Réfléchissez avant que de rien entreprendre. Point de société qu'avec d'honnêtes gens; Et ne vous targuez point de vos heureux talents.

-II.

Conformez-vous toujours aux sentiments des au[tres;

Cédez honnêtement, si l'on combat les vôtres.
Donnez attention à tout ce qu'on vous dit,
Et n'affectez jamais de montrer trop d'esprit.

III.

N'entretenez personne au delà de sa sphère; Et dans tous vos discours tâchez d'être sincère. Tenez votre parole inviolablement, Et ne promettez point inconsidérément.

IV.

Soyez officieux, complaisant, doux, affable, Et pour tous les humains d'un abord favorable. Sans être familier, ayez un air aisé.

Ne décidez de rien, sans l'avoir bien pesé.

V.

Aimez sans intérêt, pardonnez sans faiblesse. Choisissez vos amis avec délicatesse; Cultivez avec soin l'amitié de chacun.

A l'égard des procès, n'en intentez aucun.

VI.

Ne vous informez point des affaires des autres ; Sans affectation taisez-vous sur les vôtres. Prêtez de bonne grâce, avec discernement; S'il faut récompenser, faites-le noblement.

LES PREMIERS CHRETIENS 1436

VII.

En quelque heureux état que vous puissiez pa[raître,

Que ce soit sans excès, et sans vous méconnaître.
Compatissez toujours aux disgrâces d'autrui,
Supportez ses défauts, vivez bien avec lui.
VIII.

Surmontez les chagrins où l'esprit s'abandonne;
Ne les faites jamais retomber sur personne.
Où la discorde règne apportez-y la paix ;`

Et ne vous vengez point, qu'à force de bienfaits.
IX.

Reprenez sans aigreur, louez sans flatterie;
Riez paisiblement, entendez raillerie.
Estimez un chacun dans sa profession ;

Et ne critiquez rien par ostentation.

X.

Ne reprochez jamais les plaisirs que vous faites, Mais mettez-les au rang des affaires secrètes. Prévenez les besoins d'un ami malheureux; Sans prodigalité montrez-vous généreux.

XI.

Modérez les transports d'une bile naissante, Et ne parlez qu'en bien de la personne absente. Fuyez l'ingratitude, et vivez sobrement. Jouez pour le plaisir, et perdez noblement. XII.

Parlez peu, pensez bien, et n'offensez personne. Faites toujours grand cas de ce que l'on vous donne. Ne tyrannisez point le pauvre débiteur; Montrez-vous en tout temps pour lui de bonne hn[meur.

XIII,

Fuyez toute ignorance ainsi que la paresse, Et ne vous laissez point surprendre par l'ivress'; Mais lorsque vous prendrez quelque délassement, Que ce soit sans excès et toujours sobrement.

XIV.

Au bonheur du prochain ne portez point d'envie, Et ne divulguez point ce que l'on vous confie. Ne vous vantez de rien; gardez votre secret. Vous deviendrez alors l'homme le plus parfait. FENELON.

LES PREMIERS CHRETIENS.

Un personnage païen, dans la tragédie de Polyeucte, parlant des Chrétiens de son temps, s'exprime en ces termes :

Les Chrétiens n'ont qu'un Dieu, maître absolu de [tout,

De qui le seul vouloir fait tout ce qu'il résout.
Mais si j'ose, entre nous, dire ce qu'il me semble,
Les nôtres bien souvent s'accordent mal ensemble,
Et, me dût leur colère écraser à tes yeux,
Nous en avons beaucoup pour être de vrais dieus.
Peut-être qu'après tout ces croyances publiques
Ne sont qu'invention de sages politiques
Pour contenir un peuple, ou bien pour l'émouvoir,
Et dessus sa faiblesse affermir leur pouvoir.

Enfin chez les Chrétiens les mœurs sont innocentes,
Les vices détestés, les vertus florissantes ;

Ils font des vœux pour nous qui les persécutons;
Et, depuis tant de temps que nous les tourmentons,
Les a-t-on vus mutins? les a-t-on vus rebelles?
Nos princes ont-ils eu des soldats plus fidèles?
Furieux dans la guerre, ils souffrent nos bourreaux,
Et, lions au combat, ils meurent en agneaux.
Ce n'est point une erreur avec le lait sucée,
Que sans l'examiner son âme ait embrassée :
Polyeucte est chrétien parce qu'il l'a voulu,
Et vous portait au temple un esprit résolu (1).
Vous devez présumer de lui comme du reste :
Le trépas n'est pour eux ni honteux ni funeste,
Ils cherchent de la gloire à mépriser nos dieux;
Aveugles pour la terre ils aspirent aux cieux;
Et, croyant que la mort leur en ouvre la porte,
Tourmentés, déchirés, assassinés, n'importe,
Les supplices leur sont ce qu'à nous les plaisirs,
Et les nenent au but où tendent leurs désirs.
Pierre CORNEILLE.

PREMIERS CHRETIENS JUSTIFIES

DEVANT LEURS PERSECUTEURS. (Discours d'Eudore, imité de Châteaubriand.) Quoi donc, Hiéroclès, vous, magistrat romain, Vous voulez, provoquant un édit inhumain, Couvrir d'un vaste deuil Rome et toute la terre? Car les Chrétiens, César, on ne peut vous le taire, Ils ne sont que d'hier, et déjà leurs enfants Remplissent le Forum, vos cités et vos camps, Ne laissant en ces lieux, aux Romains, que leurs [temples.

Mais de leurs attentats quels sont donc les exemIples?

Dans leurs rites secrets faussement entendus, On charge leurs autels de meurtres prétendus. Lorsque le sang humain, dans vos amphithéâtres, Amuse les loisirs des Romains idolâtres, Y voit-on les Chrétiens sourire à vos côtés, A moins qu'à vos lions eux-mêmes soient jetés? Leur austère vertu qui repousse et condamne De vos arts corrupteurs le spectacle profane, Les montre, à vos regards, ennemis des mortels! Ab! s'il en est ainsi, renversez leurs autels; Frappez-les: mais avant d'ordonner leurs supplices, Faites alors reprendre en leurs pieux hospices Et le pauvre et l'infirme, en leurs bras accourus, Et dont les maux par vous ne sont pas secourus. Qu'on fasse devant eux appeler ces Romaines Qui, pour cacher leur honte, ont, mères inhumaines, Jeté leurs nouveau-nés dans ces infâmes lieux, Seul asile à l'enfance accordé par vos dieux. Qu'elles viennent, Chrétiens, de vos vertus jalouses, Reconnaître leurs fils au sein de vos épouses! De ces fils adoptés, ah! du moins que le sort Rassure la chrétienne en marchant à la mort!

Mais au Dieu des martyrs on ose faire un crime
D'être né dans les rangs du pauvre qu'on opprime!
Croit-on, déshéritant l'indigent de ses droits,
Qu'un Dieu consolateur n'est fait que pour les rois!
N'est-ce qu'au trône, enfin, qu'on voit couler des
[larmes?

Les bienfaits du Chrétien excitent vos alarmes;
Ils font à ses autels des sectaires nouveanx :
L'opprimé croit au Dieu qui soulage ses maux.
Pourquoi vous trouve-t-il sourds à ses cris stériles?
Que fait tout l'or du monde aux mains de vos édiles?
Des factieux, dit-on, parmi vos citoyens,
Agitent des complots... Sont-ce donc ces Chrétiens,
Quand neuf fois massacrés, sans murmures, sans
[baines,

Ils allaient, ô Romains, tomber dans vos arènes ?
Est-ce le grand Maurice, alors que des bourreaux
Du bataillon thébain décimaient les héros?
Sont-ce ses compagnons, exceptés de sa gloire,
Qui, pour venger sa mort, vous donnaient la vic-
[toire?
Eux des séditieux !... Iléros du nom chrétien
Que j'aperçois ici, Sévère, Sébastien,
Dites-nous où vos fronts ont conquis leurs blessures?
Est-ce en favorisant des émeutes obscures
Contre vos empereurs? on bien en affrontant
Et la flèche du Parthe et la hache du Franc?
Ah! j'atteste, César, ce nom clément et juste,
Soixante ans de vertus qui vous ont fait Auguste,
Vous vous refuserez-à de si noirs forfaits;
Vous ne souillerez pas du sang de vos sujets
Votre gloire, échappée aux embuches du trône,
Et ce manteau du Sage illustré dans Salone.
J'ai connu ces héros, combattu dans leurs rangs,
Et vos ennemis morts sont partout leurs garants.
Votre estime aux Chrétiens ne peut être ravie;
Demandez-leur, César, leur fortune, leur vie,
Le sang de leurs enfants, ils vous les donneront :
Mais faut-il renoncer à leur culte? Ils mourront!

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(1) Polyeucte avait renversé, dans le temple paien, la statue de Jupiter, en présence du gouveineur et de tout le peuple assemblé.

1440 Marie enfante, et suit, toujours humble, l'exemple Ils se disent entre eux N'est-ce point là l'auDes mères qu'on proscrit, pour un temps, du saint

[lieu;

Mais pourquoi t'effrayer en entrant dans le temple,
O sanctuaire du vrai Dieu ?
Connaissant de son Fils les grandeurs éternelles,
Marie entre ses bras tient l'adorable Enfant;
Et pour le racheter deux jeunes tourterelles
Forment son modeste présent.

Une triple victine à Dieu se sacrifie :
De sa virginité la Mère offre l'honneur;
L'Enfant offre son corps, et Siméon sa vie,
Victime et sacrificateur.

Parmi tant de témoins de l'auguste mystère,
Où la Vierge en secret adorait les grandeurs,
O Verbe alors muet, qu'à ta divine Mère

Tu dévoilais de profondeurs!

Que de traits, ô Marie, entreront dans ton âme,
Quel glaive de douleur, que de frémissements?
Cet Agneau dont l'amour te saisit et t'enflamme
Doit expirer dans les tourments.

A peine il voit le jour que, s'étant fait victime,
De son cruel supplice il se fixe le choix :
Il croîtra; mais son sang pour expier le crime
Sera versé sur une croix.

La vapeur de l'encens se répand dans le temple,
Jésus soumis s'avance. Entrons dans le saint lieu,
Au pied du même autel, Chrétiens, à son exemple,
Courous nous immoler à Dieu.

(Anonyme.)

LA PRESENTATION DE LA VIERGE

OU LE VOEU DE MARIE.

Pourquoi les lyres d'or entre les mains des anges
Ont-elles suspendu le cantique éternel?
Choeurs sacrés des élus, lumineuses phalanges,
Pourquoi descendez vous du ciel?

Dieu vient il révéler sa puissance à la terre ?
Vient-il humilier les flots de l'Océan?
Ou, comme des roscaux, courbés dans sa colère
Les monts orgueilleux du Liban?
Solyme a du vieux temple ouvert les saints por-
[tiques...

Voyez-vous, sur les pas du vieillard Siméon, S'avancer dans la foule, au doux bruit des can[tiques,

Une des filles de Sion?

Ses regards autour d'elle illuminent l'espace;
La gloire de cent rois luit dans sa majesté;
Quelque chose du ciel est déjà dans sa grâce;
Dieu se révèle en sa beauté.

Sur son front rayonnant d'un destin qu'elle ignore
Les vieillards éblouis ont cru voir l'avenir.

(1) Allusion au vœu de Jephté.

(2) La virginité était regardée comme un opprobre chez les femmes juives qui conservaient toutes l'espoir de voir le Messie sortir de leur postérité.

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[rore

Du jour brillant qui doit venir? » Mais elle, renonçant aux amours de la terre, Vient cacher tant d'attraits à l'ombre du saint [lieu ;

La fille de David mourra vierge !... O mystère Que vous seul connaissez, mon Dieu ! Vierge !... Et jamais pourtant des cieux trop fa[vorables Par des vœux indiscrets implorant le secours, Son père n'a promis aux autels implacables

Le tendre fruit de ses amours (1).

Le Pontife, en pleurant, se détourne à sa vue, Les mères par leurs cris ont accusé les cieux, Et bien des jeunes voix ont, dans la foule émue, Exprimé de touchants adieux (2).

Allez, vous qu'elle aimait, ô fidèles compagnes, De cet autre Jephté, vos plus chères amours, Allez porter le deuil sur les hautes montagnes, Allez, et pleurez-la toujours.

Près de leurs nouveau-nés, au nom sacré de
[mère,

Les filles de Juda souriront de bonheur;
Mais elle, dans ces lieux plaintive et solitaire,
Elle mourra dans la douleur...

Hélas! on nous parlait de visions étranges, D'ineffables concerts, d'un enfant merveilleux, Qui souvent; descendu sur les ailes des anges,

Dans ses bras oubliait les cieux.

On disait... vain espoir! Belle comme la rose Que le lévite cueille aux vallons du Carmel, Maric, à son printemps, Marie, à peine éclose, Vient aussi mourir à l'autel.

Adieu, flambeau sacré qui péris avec elle.
Source qui vas tarir, sang auguste des rois !...
Chère et dernière fleur d'une tige si belle,
Adieu pour la dernière fois !... ›
Elle-même a livré sa modeste parure,
Elle-méme en défait les flexibles anneaux,
Et, dans un bassin d'or, sa blonde chevelure
Tombe sous les sacrés ciseaux.

Le sacrifice est fait mais tandis qu'en silence
La foule se retire... aux cieux encore ouverts
Le cantique, un moment suspendu, recommence,
Et ces mots ont frappé les airs:
Gloire, gloire à jamais à la Vierge qui prie,
Au is mystérieux qui se cache à l'autel !
Prophètes, Chérubins, chantez gloire à Marie!
Marie est la Reine du ciel !...
Comme un astre éclatant, sur les ailes des an-
[ges,

Cette remarque, qui est tirée des livres saints, explique pourquoi les filles de Juda pleurent la virginité de Marie, au moment où elle prononce Ser (Note de l'auteur.)

vocu.

Un jour elle viendra dans nos sacrés parvis ; Les élus à genoux chanteront ses louanges; Le Verbe Dieu sera son fils !... ›

L'abbé DUBREUIL.

LE PRÊTRE.

Quelle est la mission de cet être sublime

Qui n'attend qu'un remords pour absoudre un [forfait,

Pour sauver le pécheur se tient près de l'abime
Et des biens d'ici-bas n'a que le bien qu'il fait ?
A son bras désarmé le faible se confie;
Le feu de sa parole épure et vivifie;

Le crime le surprend, le malheur l'attendrit :
C'est un ange venu sur la terre où nous sommes ;
C'est l'homme presque Dieu consolant d'autres
[hommes:

C'est le prêtre de Jésus-Christ.

Le mal qu'il n'a point fait, sa charité l'expie;
Les orages du cœur s'apaisent à sa voix ;
Et béni par le pauvre, insulté par l'impie,
Au malheur de tous deux il se voue à la fois.
La vie est un fardeau que son bras nous allége;
Il est humble de cœur, et pourtant il protége;
Car la force d'en haut est dans ses faibles mains :
Du ciel qu'il nous promet il nous montre la voie,
Et l'enfer étonné dont il retient la proie,

Le trouve sur tous ses chemins. Poursuis, soldat du Christ, tes célestes conquê[tes:

A toutes les douleurs prodigue tes secours;
Mais ne t'éloigne pas de nos brillantes fêtes;
Attends: la joie humaine a des instants si courts;
Traînant loin du festin sa robe nuptiale,
Le mourant s'est jeté sur sa couche fatale;

Il te cherche, il te nomme, il t'implore des yeux :
Et tout nourri du Dieu que ta bouche proclame,
Tu retires d'un corps que la tombe réclame
La part que réclament les cieux.

Sois fier de tes périls, fort de tes sacrifices:
Le monde n'est fatal qu'à celui qui le craint.
Ferme ton chaste cœur à ses vains artifices;
Chasse, comme ton Dieu, les vendeurs du lieu

[saint.

Prêtres, nos passions sont ces vendeurs infâmes
Dont le trafic impur déshonore nos âmes :
De ce temple sacré chassez-les pour toujours.
Comme une sentinelle armez-y la prière,
Et songez que Dieu même en fait son sanctuaire
Puisqu'il y descend tous les jours.

Qu'allez vous demander sur les marches des [trônes? Qu'attendez-vous des rois, hormis leur re[pentir?

Laissez leur tout le poids des terrestres cou[ronnes:

La plus belle est à vous, c'est celle du martyr.

Loin donc, bien loin de vous ces pompes sa[criléges;

Consoler et prier, voilà vos priviléges;
Vous avez dit au monde un solennel adieu :
N'allez pas ramener le monde dans le temple;
Gardez au fond du cœur le précepte et l'exem-
[ple

Du premier prêtre, qui fut Dieu.

Il naît dans une étable, on proscrit son enfance;
Il grandit méconnu, pauvre, persécuté;
Le Sanhedrin l'accuse et le peuple l'offense,
Jusque dans ses bienfaits son nom est insulté.
Abandonné des siens et d'une foule ingrate,
On le traîne expirant de Caiphe à Pilate :
Puis, quand il a subi l'insolence des cours,
Pontife conspué, roi couronné d'épines,
Il scelle sur la croix ses promesses divines,
Sanglant et pardonnant toujours.
Voilà pourtant le Dieu, tel qu'il se montre à l'hom-
[me,

Tel est l'homme fidèle à ses enseignements:
Tels ces premiers Chrétiens qui, dans les murs de
[Rome,

De la sainte Sion jetaient les fondements.
Du Dieu qu'ils attestaient magnanimes complices.
Comme une récompense ils cherchaient les sup-

[plices,
Eux-mêmes du prétoire excitaient les soupçons,
Souriaient, mutilés, à leurs juges sinistres
Et disciples du Christ, tous étaient ses ministres
Pour continuer ses leçons.

Tels nos lévites saints se sont montrés en France Aux sophistes bourreaux qu'irritaient leurs ver

[tus:

Nos prêtres en Dieu seul fondaient leur espérance,
Et par le glaive seul pouvaient être abattus.
Ces grands consolateurs, redevenus victimes,
Allaient chercher aux cieux le pardon de nos cri-
[mes :

Aussi, qu'ils étaient beaux sous le fer qu'ils bra[vaient,

Tous ces martyrs récents, dignes des jours an[tiques, Quand leur voix solennelle entonnait les can[tiques

Que les chérubins achevaient! Vous que leurs bras vieillis, chargés de cica[trices,

Arment contre l'erreur, prêtres du Tout-Puissant,
Tendez au même honneur, renaissantes milices;
Toujours l'arbre de vie a germé dans le sang.
Mais Dieu n'a pas pour tous ces faveurs signalées,
Et vos jeunes vertus, parmi nous appelées,
A nos respects pourtant auront les mêmes droits.
C'est assez que vos jours soient voués à nos
[peines.

Et le prêtre chargé des misères humaines
Marche aussi courbé seus la croix.'

Quel est dans le lieu saint ce réduit solitaire
Où pleurent tour à tour le riche et l'indigent?
Là vient de nos erreurs l'humble dépositaire,
Inflexible à lui seul, et pour tous indulgent;
Là, se livrant lui-même à l'espoir qui l'anime,
Le prêtre, au nom de Dieu, fait l'échange sublime
Des remords de la terre et des pardons du ciel ;
Et quand sa voix absout des crimesqu'il déteste,
Son cœur est inondé de cette paix céleste

Qu'il verse au cœur du criminel.
Faut-il d'un siècle impie arrêter l'insolence?
Porter aux pieds des rois les cris du suppliant?
Des palais qu'il traverse à la chaire il s'élance,
Où son ardeur sublime éclaire en foudroyant.
Là, cette même voix dont les douces paroles
Expliquaient aux enfants les simples paraboles,
De la hauteur des cieux, tout à coup éclaircis,
Tombe comme un torrent sur les vices du monde,
Ou comme une rosée abondante et féconde,

Ranime les cœurs endurcis.

Il lui reste à remplir un devoir plus austère :
Un homme pâle et faible au supplice est traîné,
Le ministre du ciel et celui de la terre,

Le prêtre et le bourreau suivent le condamné ;
La justice de l'homme est fertile en souffrances,
La justice de Dieu féconde en espérances: [crit;
Dieu n'abandonne pas ceux que l'homme pros-
Le prêtre au criminel tend la croix consolante;
Il exhorte, il pardonne, et la hache sanglante
Frappe un membre de Jésus Christ.

Prêtres, voilà vos droits aux hommages du monde
A tout son vain fracas craignez de vous mêler :
Gardez-vous, retirés dans votre paix profonde,
D'envier nos destins qu'il vous faut consoler.
Eh! qui sait mieux que vous nos troubles, nos
[alarmes,

Nos rapides plaisirs payés de tant de larmes !
Prenez un noble essor loin des vulgaires yeux :
Attendant qu'ici-bas nos soupirs vous demandent,
Pour nous mieux élever où tous nos vœux pré-
[tendent,

Tenez-vous rapprochés des cieux.

Alexandre GUIRAUD.

LA PRIERE.

Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire, Descend, avec lenteur, de son char de victoire. Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux, Conserve, en sillons d'or, sa trace dans les cieux, Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue. Comme une lampe d'or dans l'azur suspendue, La lune se balance au bord de l'horizon : Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon, Et le voile des nuits sur les monts se déplie: C'est l'heure où la nature, un moment recueillie, Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit, S'élève au Créateur du jour et de la nuit, Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage,

De la création le magnifique hommage.
Voilà le sacrifice immense, universel:
L'univers est le temple, et la terre est l'autel;
Les cieux en sont le dôme, et ces astres sans
[Hombre,
Ces feux demi-voilés, påle ornement de l'ombre,
Dans la voûte d'azur avec ordre semés,
Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés;
Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore,
Et qu'un souffle léger, du couchant à l'aurore,
Dans les plaines de l'air repliant mollement
Roule en flocons de pourpre aux bords du firma-
[ment,

Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore
Jusqu'au trône du Dieu que la nature adore.
Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints
concerts

D'où s'élèvera l'hymne au Roi de l'univers?
Tout se tait mon cœur seul parle dans ce silence.
La voix de l'univers, c'est mon intelligence:
Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent,
Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant;
Et, donnant un langage à toute créature,
Prête, pour l'adorer, mon âme à la nature.
Seul, invoquant ici son regard paternel,
Je remplis le désert du nom de l'Éternel,
Et celui qui, du sein de sa gloire infinie,
Des sphères qu'il ordonne écoute l'haru:ouie,
Ecoute aussi la voix de mon humble raison
Qui contemple sa gloire et murmure son nom.

Salut, principe et fin de toi-même et du monde, Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde; Ame de l'univers, Dieu, père, créateur,

Sous tous ces noms divers, je crois en toi, Seigneur,
Et sans avoir besoin d'entendre la parole,
Je lis au front des cieux mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur,
La terre la bonté, les astres ta splendeur;
Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage;
L'univers tout entier réfléchit ton image,
Et mon âme à son tour réfléchit l'univers.
Ma pensée, embrassant tes attributs divers,
Partout autour de toi te découvre et l'adore,
Se contemple soi-même et t'y découvre encore:
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux,
Se réfléchit dans l'onde et se peint à mes yeux.
C'est peu de croire en toi, bonté, beauté sn-

[prême;

Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime ;
Mon âme est un rayon de lumière et d'amour
Qui, du foyer divin, détaché pour un jour,
De désirs dévorants loin de toi consumée,
Brûle de remonter à sa source enflammée.
Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi.
Ce monde qui te cache est transparent pour moi;
C'est toi que je découvre au fond de la nature,
C'est toi que je bénis dans toute créature.
Pour m'approcher de toi j'ai fui dans ces déserts,

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