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Votre loi m'instruisit, dès ma tendre jeunesse,

De vos préceptes éternels.

Ah! loin de retirer la main qui me protége,
Versez votre rosée, et plus blanc que la neige,
Mon cœur et mon esprit seront purifiés :
Au souffle créateur que votre bouche envoie,
Mes os humiliés tressailliront de joie,

Tous mes maux seront oubliés.

De mes iniquités détournez votre face,
Effacez mes péchés, rendez-moi votre grâce;
Dans mon sein, ô mon Dieu, créez un cœur nou-
[veau,

Qu'en tous mes sens circule une flamme nouvelle,
Qu'un esprit pur et droit m'embrase d'un saint zèle,
Et dans l'ombre soit mon flambeau.

J'aurais sur vos autels offert des sacrifices,
S'ils avaient pu sur moi fixer vos yeux propices:
Alais le sang répandu ne plaît point au Seigneur;
Sa clémence s'émeut aux larmes du coupable,
Et l'unique holocauste à ses yeux agréable
Est le sacrifice du cœur.

Du temple relevez les pompeux édifices;
Que Sion, de ses fruits y portant les prémices,
Respire enfin le calme et l'oubli de ses maux;
Alors vous recevrez les vœux de sa tendresse,
Et vos autels, témoins de ses chants d'allégresse,
Fumeront du sang des agneaux.

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MISERICORDIAS DOMINI

IN ÆTERNUM CANTABO.

(Tiré du psaume LXXXVIII.)

Ce psaume concerne le temps où Jéchonias et Sédé-
cias, derniers rois de Juda, furent détrônés et
amenés captifs à Babylone. Le prophète y mani-
feste le désir que le Messie véritable, fils de Da-
vid selon la chair, soit envoyé de Dieu pour rem-
plir les promesses faites au saint roi.
Je chanterai, Seigneur, pendant l'éternité,
Ta gloire et tes miséricordes ;
L'avenir connaîtra les biens que tu m'accordes,
Et nos derniers neveux béniront ta bonté.
Tu nous as dit : Les tabernacles
Où se profèrent mes oracles
Dans le ciel ont leur fondement;
C'est dans le ciel que ma justice
Se construisit un édifice
Qui subsiste éternellement.
Tu l'as juré toi-même à ceux que tu choisis;
Rien ne rompra ton alliance:

Le trône d'Israël, fondé par ta puissance,
Est donné pour jamais à David, à ses fils.
La terre a béni ta promesse,
Et les cieux ravis d'allégresse,
Ont dit: Toi seul es grand, Seigneur,
Ta main, Dieu souverain des mondes,
Contient la puissance des ondes,

Déchaîne ou calme leur fureur. Semblable à ces guerriers sur qui plane la mert, Et que dépouille la victoire,

Le superbe, abattu par l'éclat de ta gloire,
Des enfants de l'impie aura bientôt le sort.
A toi sont les cieux et la terre ;
Ton souffle alluma le tonnerre,
Créa les mers et l'aquilon;
Ta gloire en tout lieu se déploie;
A ton nom tressaillent de joie
Les monts de Thabor et d'Hermon,
De ton trône immortel la justice est l'appui :
Ton bras, Seigneur, est invincible,
Ton bras se déploiera sur l'homme humble et pai
[sible,

La clémence et la paix marcheront devant lui.
Heureux si le cours de sa vie
Par ses œuvres te glorifie,
Si t'aimer fait son seul bonheur,
Oui, trois fois est heureux le sage
Dont le tendre et pieux hommage
Te consacre à jamais son cœur.
Ton saint nom est la joie et l'âme de ses chants,
Fidèle à louer ta puissance,

Il met en ton amour sa plus douce espérance,
Et dans un calme heureux voit s'écouler ses ans.
Les rejetons nés de sa race,
Arrosé des eaux de ta grâce,
S'ornent de feuillage et de fleurs,
Pour eux tu calmes les orages,

Et les cieux, jusqu'aux derniers âges;
Epanchent sur eux leurs faveurs.

Le jour même où ta main a couronné David,
Ta voix, Seigneur, s'est fait entendre,

Sur ce prince, as-tu dit, mes dons vont se répandre,
Suivez ses lois, en lui tout Israël revit;

C'est sur lui que mon choix s'arrête ;
L'huile sainte a béni sa tête,
Mon esprit dirige son cœur,
Mes regards veillent sur sa vie,
Et ma droite le fortifie

Contre les enfants de l'erreur.

J'honorerai ses jours et les jours de son fils,

Les méchants ne pourront lui nuire ;

Mon glaive devant lui marche pour les détruire,
A ses pieds tomberont ses mortels ennemis.

David, je suis ton Dieu, ton père;
Au-dessus des rois de la terre,
Mon fils, j'exalterai ton nom,
J'étendrai mon bras sur les ondes,
Et les riches tributs des mondes
Te seront offerts dans Sion.

Cependant si tes fils méconnaissaient mes lois,
S'ils désertent mon sanctuaire,

Sar eux s'allumera le feu de ma colère.

Et par de longs fléaux je vengerai mes droits.
Mais s'ils pleurent sur leur offense,
S'ils ont recours à ma clémence,
Mes dons consoleront tes fils.
J'ai juré dans mon tabernacle

Que rien ne pouvait mettre obstacle
Aux biens qu'à David j'ai promis.

Comme aux jours du printemps, de l'astre du matin
Se répand la magnificence,

Comme l'arc consolant qu'en signe d'alliance
Dans les cieux azurés a coloré ma main,

Je ferai resplendir ma grâce
De siècle en siècle sur sa race,
Et rendrai son regne immortel.
Son trône, à l'abri des orages
Qu'enfante le long cours des âges,
Doit durer autant que le ciel.
Cependant, & mon Dieu, tu détournes de lui

Les bienfaits le ton alliance;

Ton courroux a soudain remplacé la clémence;
Eloignés de ton Christ nous mourons sans appui.
Ton sanctuaire en son enceinte
Voit régner le trouble et la crainte;
Tous ses autels sont abattus :

La main profane qui les souille
Ose en emporter la dépouille,
Bientôt ils n'existeront plus.

Ces faveurs et ces biens, à ton peuple promis,
Ont-ils donc passé comme un rêve ?
Ton courroux a brisé la pointe de leur glaive;
Sous le joug du vainqueur nos jours se sont flétris:
Sur son front l'orgueil se déploie,

Et nous manifeste sa joie

De voir nos rois dans le mépris :
Frappés des feux de ton tonnerre,
Leur trône tombe sur la terre,

Et la couvre de ses débris.

Jusqu'à quand devons-nous de tyrans irrités Souffrir l'humiliant outrage?

Jusqu'à quand, ô mon Dieu, voiles-tu ton visage
Au peuple dont les pleurs invoquent tes bontés?
En vain nous implorons tes grâces,

Ta foudre tonne sur nos traces,
La mort plane sur nos sentiers,
Les pleurs, le repentir sincère,
Ne peuvent-ils de la colère,
Seigneur, éteindre les brasiers?

Quel homme est sans erreur? Tu connais notre sort,
Et combien fragiles nous sommes,

Au trépas sont promis tous les enfants des hommes,
Eh! quel être vivant ne verra pas la mort!
Dans l'affliction, je m'écrie:
Ne nous as-tu donné la vie
Que pour la livrer aux douleurs?
Par l'amour que tu nous accordes,
Rappelle tes miséricordes,

Et prends pitié de nos malheurs.
Du Dieu qui vous soutient, dit le peuple étranger,
Que devient l'antique promesse?

Où donc est votre Christ? Confonds son allégresse,
Dieu qu'Israël attend: viens enfin le venger!
Emu de sa douleur amère
Tu délivreras sa misère,
Il sera par toi conservé,
Et dans ses fêtes solennelles
Fera connaître aux infidèles

Le Dieu clément qui l'a sauvé.

SAPINAUD DE BOISHUGUET.

MISSION DE LA FEMME.

Avant que le Messie eût élevé le monde
Au niveau du ciel même, et que sa voix profonde
Du sommet du Calvaire, en mourant, eût jeté
Ce cri libérateur en tous lieux répété,
L'homme, déchu, traînait dans un vil esclavage
La chaîne de ses jours, loin de ce doux rivage
Où, bénissant de Dieu le sceptre paternel,
Il ne devait servir que ce Maitre éternel.
Mais la femme surtout, qui parut la dernière
Pour étaler aux yeux de la nature entière
La grâce, la beauté dans leur perfection,
Ce chef-d'œuvre divin de la création,

La femme, du Très-Haut la plus riante image,
Elle à qui tout devait le respect et l'hommage,
Sous le joug le plus dur que l'homme ait inventé
Pendant quatre mille ans pleura sa liberté !
Il fallait, pour la rendre à sa noble nature,
Il fallait qu'une femme, Eve nouvelle et pure,
Ecrasât de son pied le front du tentateur,
Et devint, vierge encor, mère du Rédempteur.

Oui, depuis que Marie, astre doux et propice,
Aimable précurseur du Soleil de justice,
Apparut sur la terre, et qu'en son flanc sacré
L'Homme-Dieu s'incarna, la femme a recouvré,
Aux lieux où l'Evangile a porté sa lumière,
Ses droits de souveraine et sa splendeur première.
OEuvre du Créateur, dans Marie, à son tour
Au Fils de l'Eternel elle a donné le jour;
Et Celui qui possède et la gloire et l'empire,
Dont le règne s'étend sur tout ce qui respire,
Celui que l'Enfer même appelle Tout-Puissant,
Comme un enfant soumis lui fut obéissant.
Combien sous sa faiblesse, aimable et douce écorce,
La femme sait cacher de puissance et de force!
C'est elle qui deux fois de l'humble genre humain
Au gré de sa parole a changé le chemin,
Comme un souple instrument à remuer la terre,
Tantôt fatal, tantôt heureux et salutaire,
Satan, Dieu, tour à tour, l'avaient su réserver,
Satan pour nous corrompre, et Dieu pour nous
[sauver!

Mais pour qu'à ses devoirs la femme fût fidèle,
Jésus fit de sa Mère un auguste modèle,
Et dans les cieux des cieux près de lui l'appela
Comme pour dire à tous: La Femme, la voilà!
Soit aux jours du bonheur, soit aux jours de l'é-
[preuve,

Et la vierge et la mère, et l'épouse et la veuve,
Découvrent dans Marie, en qui ces qualités
Brillèrent à la fois de toutes leurs beautés,
Un haut exemple à suivre, une vertu secrète
Qui de son âme pure en la leur se reflète ;
Car, de ce vase élu qui contint le Sauveur,
Il s'épanche toujours quelque douce faveur.
Aussi, quelle auréole ici-bas environne

La femme, dont Marie est vraiment la patronne !
Il semble qu'un rayon des astres merveilleux
Qui décorent le front de la Reine des cieux
L'enveloppe déjà d'une splendeur divine.
On lit dans ses regards sa céleste origine;
Son air aimable et doux, son chaste et digne as-
[pect,

Commandent à la fois l'amour et le respect;
Et son visage, empreint d'innocence et de grâce,
De ses nobles pensers en conservant la trace
Révèle assez, parmi les traits de sa grandeur,
Que toute sa beauté vient du fond de son cœur.
Humblement retirée au sein de sa famille,
Elle vit pour les siens; sur eux son âme brille,
En les réchauffant tous au feu de son amour.
Elle est là, comme au ciel on voit l'astre du jour
Qui, de l'aurore au soir, sur toute la nature
Epanche sa lumière et si douce et si pure.
Mais comme le soleil elle n'a point de nuit;
Autour d'elle toujours sa vigilance luit.
C'est la lampe allumée au milieu du saint temple,
Qu'à travers son bonheur Dieu lui-même contem-

Iple,

Et qui verse l'éclat de ses reflets pieux
A qui lève sur elle un œil religieux.
Oh! combien de vertus dans la femme chrétienne!
Des misères du monde il n'est rien qui n'obtienne
Une part de ses pleurs ou de son amitié;
Il n'est rien qui n'ait droit au moins à sa pitié.
Ainsi, que la fortune, envers quelqu'un sévère,
Fasse de cette vie un pénible Calvaire,
On la trouve debout pleurant près de la croix,
Aux cris de la douleur mêlant sa douce voir,
Et tirant de son sein, si riche de tendresses,
Des paroles d'espoir pour toutes les détresses.
Qu'elle est digne surtout de vénération,
La femme qui remplit sa sainte mission
Dans le cercle restreint où le Ciel l'a placée!
Elle est de sa maison et l'âme et la pensée;
Son sourire est un ordre, et son geste une loi.
C'est le centre d'amour attirant tout à soi;
C'est le foyer vivant, c'est la base sacrée
Où la famille humaine, heureuse et rassurée,
Asseoit, en attendant l'éternelle cité,
Ses rêves d'avenir et de félicité.
Et pourtant, humble épouse à son époux soumise
Comme l'est à Jésus notre mère l'Eglise,
Elle sait où finit son modeste pouvoir;
Et pour elle, obéir est le premier devoir.
Comme l'oiseau qui tient ses petits sous son aile,
Sur ses fils elle étend sa bonté maternelle,
Les couvre tout entiers de ses affections,
Pour qu'en fondant sur eux, les folles passions
Trouvent d'un chaste objet leur âme possédée;
Elle y grave de Dieu l'impérissable idée,
Afin qu'en leur esprit, et toujours, et partout,
Dieu, vainqueur de Satan, reste à jamais debout.
Toujours au-dessus d'eux pour leur donner courage,
Sa prière descend comme un céleste ombrage;
Et sur leur jeune front, de candeur revêtu,
Chacun de ses baisers imprime une vertu!
Mais la femme sans foi, la femme au cœur de

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De plus bas, de plus vil, dans la nature entière.
Et cependant, mon Dieu! pour que tant de lai-
[deur
S'efface, et que cette âme à sa pure splendeur,
A son premier éclat soit tout à coup rendue,
Que faut-il ?... une larme à vos pieds répandue!
Et cet ange tombé, par votre amour absous,
Réjouira vos saints en remontant vers vous!
O femme! comprends bien ta haute destinée.
La tâche qu'ici-bas le Seigneur t'a donnée

Est immense elle est sainte; elle égale en gran

:

L'ardente charité qui te remplit le cœur.

[deur

Mais en l'accomplissant, chaque jour, que ton âme,
Aussi pure que l'or éprouvé par la flamme,
Répande autour de toi cette chaste clarté
Qui fait luire au dehors l'astre de pureté.
Ton front, que la candeur le voile et l'embellisse!
Que la paix le couronne! Oh! que l'ombre du vice
Nen vienne point ternir le miroir! Que tes yeux
Si beaux, et si bien faits pour réfléchir les cieux,
Ne contemplent les biens, vanités de ce monde,
Qu'avec le doux regard d'une pitié profonde !
Que ton cœur, tendre, aimant, avide de bonheur,
Par quelque passion qui flétrisse l'honneur
Ne se laisse jamais égarer, ni séduire !

Et que ta bouche enfin ne s'ouvre que pour dire
Des paroles de foi, d'espoir, de charité !
Comme un ange gardien sers donc l'Humanité,
Femme ! Fais croire en Dieu par ton âme
[croyante;

Loin de la foule impie et follement bruyante,
Fais-en comine un jardin où viendront refleurir
Les aimables vertus que nous laissons mourir !
Désiré CARRIÈRE.

MISSION SAINTE DES POETES.

A M. ALPH. DE LAMARTINE.

I.

Pourtant je m'étais dit: Abritons mon navire,
Ne livrons plus ma voile au vent qui la déchire,
Cachons ce luth. Mes chants peut-être auraient

[vécu...

Soyons comme un soldat qui revient sans murmure
Suspendre à son chevet un vain reste d'armure,
Et s'endort, vainqueur ou vaincu.

Je ne demandais plus à la muse que j'aime
Qu'un seul chant pour ma mort solennel et su-
[prême :

Le poëte avec joie au tombeau doit s'offrir.
S'il ne souriait pas au moment où l'on pleure,

Chacun lui dirait: Voici l'heure,
Pourquoi ne pas chanter, puisque tu vas mourir?
C'est que la mort n'est pas ce que la foule en

[pense,

C'est l'instant où notre âme obtient sa récom[pense,

Où le fils ex lé rentre au sein paternel.

Quand nous penchons près d'elle une oreille in[quiète,

La voix du trépassé que nous croyons muette,
A commencé l'hymne éternel!

II.

Plus tôt que je n'ai dû je reviens dans la lice;
Mais tu le veux, ami, ta muse est ma complice;
Ton bras m'a réveillé : c'est toi qui m'as dit: Va!
Dans la mêlée encor jetons ensemble un gage.

De plus en plus elle s'engage,
Marchons, et confessons le nom de Jéhova!
J'unis donc à tes chants quelques chants témérai-

[res. Prends ton luth immortel; nous combattrons en [frères

Pour les mêmes autels et les mèmes foyers. Montés au même char comme un couple homéri[que,

Nous tiendrons pour lutter dans l'arène lyrique,

Toi la lance, moi les coursiers. Puis, pour faire une part à la faiblesse humaine, Je ne sais quelle pente au combat me ramène. J'ai besoin de revoir ce que j'ai combattu, De jeter sur l'impie un dernier anathème, De te dire à toi que je t'aime,

Et de chanter encore un hymne à la vertu !

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Ah! nous ne sommes plus au temps où le poëte
Parlait au ciel en prêtre, à la terre en prophète !
Que Moïse, Isaïe, apparaisse en nos champs,
Les peuples qu'ils viendront juger, punir, absoudre,
Dans leurs yeux pleins d'éclairs méconnaftront la
[foudre

Qui tonne en éclats dans leurs chants.
Vainement ils iront s'écriant dans les villes:
Plus de rébellions! plus de guerres civiles!
Aux autels du veau d'or pourquoi danser toujours?
Dagon va s'écrouler; Baal va disparaître ;

Le Seigneur a dit à son prêtre :
Pour faire pénitence ils n'ont que peu de jours!
Rois, peuples, couvrez-vous d'un sac souillé de
[cendre,

Bientôt sur la nuée un juge doit descendre.
Vous dormez ! que vos yeux daignent enfin s'ou-
[vrir.
Tyr appartient aux flots, Gomorrhe à l'incendie :
Secouez le sommeil de votre âme engourdie,

Et réveillez-vous pour mourir ! Peuples, vous ignorez le Dieu qui vous fit naître; Et pourtant vos regards le peuvent reconnaitre, Dans vos maux, dans vos biens, à toute heure, en [tous lieux. Un Dieu compte vos jours, un Dieu règne en vos [fêtes:

Lorsqu'un chef vous mène aux conquêtes, Le bras qui vous entraîne est poussé par un Dieu. Frémissez donc bientôt annonçant sa venue,

Le clairon de l'Archange entr'ouvrira la nue; Jour d'éternels tourments, jour d'éternel bonheur. Resplendissant d'éclairs, de rayons, d'auréoles,

Dieu vous montrera vos idoles,

Et vous demandera : Qui donc est le Seigneur?

La trompette sept fois sonnant dans les nuées, Poussera jusqu'à lui, pâles, exténuées,

Les races à grands flots se heurtant dans la nuit;
Jésus appellera sa Mère virginale;
Et la porte céleste et la porte infernale

S'ouvriront ensemble avec bruit.

‹ Dieu vous dénombrera d'une voix solennelle : Les rois se courberont sous le vent de son aile ; Chacun lui portera son espoir, ses remords. Sous les mers, sur les monts, au fond des cata[combes,

A travers le marbre des tombes, Son souffle remuera la poussière des morts. ( O siècle, arrache-toi de tes pensers frivoles ; L'air va bientôt manquer dans l'espace où tu voles. Mortels, gloire, plaisirs, biens, tout est vanité. A quoi pensez-vous donc, vous qui dans vos de[meures

Voulez voir en riant entrer toutes les heures...
L'éternité! l'éternité! ›

IV.

Nos sages répondront: Que nous veulent ces [hommes ?

Ils ne sont pas du monde et du temps où nous Isommes.

Ces poëtes sont-ils nés au sacré vallon?
Cù donc est leur Olympe? où donc est leur Par-
[nasse?

Quel est leur Dieu qui nous menace?
A-t-il le char de Mars? a-t-il l'arc d'Apollon?

S'ils veulent emboucher le clairon de Pindare,
N'ont-ils pas Hiéron, la fille de Tyndare,
Castor, Pollux, l'Elide et les jeux des vieux temps,
L'arène où l'encens roule en longs flots de fumée,
La roue aux rayons d'or de clous d'airain semée,
Et les quadriges éclatants?

Pourquoi nous effrayer de clartés symboliques? Nous aimons qu'on nous charme en des chants [bucoliques,

Qu'on y fasse lutter Ménalque et Palémon.
Pour dire l'avenir à notre âme débile,

On a l'écumante Sibylle,

Que bat à coups pressés l'aile d'un noir démon.

‹ Pourquoi dans nos plaisirs nous suivre comme [une ombre ? Pourquoi nous dévoiler dans sa nudité sombre L'affreux sépulcre, ouvert devant nos pas trem[blants?

Anacréon, chargé du poids des ans moroses,

Pour songer à la mort se comparait aux roses
Qui mouraient sur ses cheveux blancs.
Virgile n'a jamais laissé fuir de sa lyre
Des vers qu'à Lycoris son Gallus ne pût lire.
Toujours l'hymne d'Horace au sein des ris est né;
Jamais il n'a versé de larmes immortelles:

La poussière des cascatelles
Seule a mouillé son luth de myrtes couronné. ›
V.

Voilà de quels dédains leurs âmes satisfaites
Accueilleraient, ami, Dieu même et ses prophètes;
Et puis, tu les verrais, vainement irrité,
Continuer, joyeux, quelque destin folâtre,
Ou pour dormir au son d'une lyre idolâtre
Se tourner de l'autre côté.

Mais qu'importe ! accomplis ta mission sacrée,
Chante, juge, bénis; ta bouche est inspirée.
Le Seigneur en passant t'a touché de sa main;
Et pareil au rocher qu'avait frappé Moïse,
Pour la foule au désert assise
La poésie en flots s'échappe de ton sein.
Moi, fussé-je vaincu, j'aimerai ta victoire,
Tu le sais, pour mon cœur, ami de toute gloire,
Les triomphes d'autrui ne sont pas un affront.
Poete, j'eus toujours un chant pour les poètes;
Et jamais le laurier qui pare d'autres têtes

Ne jeta d'ombre sur mon front.
Souris mênie à l'envie amère et discordante;
Elle outrageait Homère, elle attaquait le Dante;
Sous l'arche triomphale elle insulte au guerrier.
Il faut bien que ton nom dans ses cris retentisse,
Le temps amène la justice;
Laisse tomber l'orage et grandir ton laurier.

VI.

Telle est la majesté de tes concerts suprêmes,
Que tu sembles savoir comment les anges mêmes
Sur les harpes du ciel laissent errer leurs doigts,
On dirait que Dieu même, inspirant ton audace,
Parfois dans le désert l'apparaît face à face,
Et qu'il te parle avec la voix (1).

Victor Iluco.

LE MISSIONNAIRE

CHEZ LES SAUVAGES.

Le navire emporté par une forte brise
N'est plus, à l'horizon, qu'une image indécise,
Et lui, demeuré seul sur la rive, poursuit
D'un regard obstiné ce point blanc qui s'enfuit......
Il regarde toujours... mais la mer courroucée
En battant les récifs l'arrache à sa pensée :
L'isolement l'entoure, et, malgré ses efforts,
Un frisson de terreur fait tressaillir son corps,
Le Ciel, voulant qu'il boive aussi la coupe amère,
Lui montre sa patrie, et sa sœur, et sa mère.....
Alors l'humanité dans son cœur succomba,

(1) Lorsque cette ode fut écrite, la publication des Premières et des Nouvelles Méditations voėlė

ques était encore toute récente.

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