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La mort nourrit la vie et la mort l'épouvante.
Quelle poussière, ô ciel! n'a pas été vivante?
Le soc laborieux heurte les monuments
Où de nos devanciers dorment les ossements,
Et nous les dévorons, en nos festins superbes,
Dans les grains savoureux des grappes et des
[gerbes.

Que de tombeaux poudreux, que de profonds [abris

Des corps jadis vivants renferment les débris!
Du soleil, en nos champs, la lumière éthérée
Boit l'essence des corps dont elle est allérée;
Leur cendre en tourbillon s'élève dans les airs,
Aux sables se mêlant, roule dans les déserts,
Ou s'élève en moisson par les vents balancée,
Et la mort est partout, bors dans notre pensée.
Mais lorsqu'elle a tranché nos misérables jours,
Une autre ère commence et doit durer toujours:
L'homme renaît pour vivre aux palais de lumière;
La vie est de la mort l'immortelle héritière.
PARSEVAL DE GRANDMAISON (1).

IMAGE DE LA VIE.

Vous voyez un faible rameau Qui, par les jeux du vague Eole, Enlevé de quelque arbrisseau, Quitte sa tige, tombe, vole, Sur la surface d un ruisseau ; Là, par une invincible pente, Forcé d'errer et de changer, Il flotte au gré de l'onde errante Et d'un mouvement étranger; Souvent il paraît, il surnage ; Souvent il est au fond des eaux ; Il rencontre sur son passage Tous les jours des pays nouveaux. Tantôt un fertile rivage Bordé de coteaux fortunés, Tantôt une rive sauvage Et des déserts abandonnés : Parmi ces erreurs continues, Il fuit, il vogue jusqu'au jour, Qui l'ensevelit à son tour Au sein de ces mers inconnues Où l'on s'abîme sans retour.

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Et cette onde, dans sa course, Est l'image de nos jours. ›

Mme TASTU.

L'IMAGINATION.

L'imagination, rapide messagère,

Efleure les objets dans sa course légère;

Et bientôt, rassemblant tous ces tableaux divers,
Dans les plis du cerveau reproduit l'univers.
Elle fait plus souvent sa puissante énergie,
Au monde extérieur opposant sa magie,
Dans un monde inconnu cherche à se maintenir,
Se dérobe au présent, et vit dans l'avenir.
Source des voluptés, des erreurs et des crimes,
Elle a ses favoris, comme elle a ses victimes;
Et, toujours des objets altérant les couleurs,
Ainsi que nos plaisirs elle accroit nos douleurs.
Mais pour elle c'est peu lorsque le corps som-
[meille,

Elle aime à retracer les tableaux de la veille.
Je la vois aux héros présenter des lauriers,
Au jeune homme un carquois, un char et des
[coursiers ;

Jeter le barde au bord d'une mer blanchissante ;
Et quelquefois aussi, terrible et menaçante,
Dans des rêves vengeurs effrayer les tyrans,
Ou présenter l'exil aux favoris des grands.
Déesse au front changeant, mobile enchanteresse,
Qui, sans cesse nous flatte, et nous trompe sans
[cesse,

Mère des passions, des arts et des talents;
Qui, peuplant l'univers de fantômes brillants,
Et d'espoir tour à tour et de crainte suivie,
Ou dore ou rembrunit le tableau de la vie.

CHENEDOLLÉ.

IMITER JESUS-CHRIST

ET MÉPRISER TOUTES LES VANITÉS DU MONDE. (Trad. du livre de l'Imitation.)

I.

Heureux, dit le Seigneur, le mortel qui me suit!
Il ne s'égare pas dans l'ombre de la nuit.

C'est ainsi que le Christ nous invite à le suivre ;
Sa vie est une école où l'homme apprend à vivre ;
Marchons à sa lumière, et nos cœurs éclairés
De leur aveuglement se verront délivrés.

Disciples de Jésus, que notre unique envie Soit donc de méditer l'exemple de sa vie.

H.

Tous les enseignements que les saints ont laissés
Devant ceux de Jésus pâlissent effacés ;
Et de l'esprit de Dieu l'âme vraiment touchée
Saurait y découvrir une manne cachée.
Mais combien l'Evangile entendu tant de fois
Trouve encor de Chrétiens indifférents et froids!
C'est que leur âme, hélas ! à Jésus-Christ fermée
Jamais de son esprit ne se sent enflammée.

(1) François Ruy Parseval de Grandmaison, de l'Académie française, né à Paris en 1759, mort

en 1834.

Voulez-vous pleinement des paroles du Christ Et comprendre le sens et savourer le fruit?

Il faut de ses vertus, imitateur fidèle,
Conformer votre vie à ce divin modèle.

III.

Que vous sert de sonder l'immense profondeur
Où le Dieu trois fois saint cache aux yeux sa
[splendeur,

Lorsque d'humilité votre âme dépourvue
De Dieu par son orgueil peut offenser la vue?

Les beaux discours font-ils qu'on soit juste et

[pieux ?

Non, la seule vertu nous rend amis des cieux. Mieux vaut de nos péchés le repentir sincère, Que l'art de définir ce regret salutaire.

Eût-on la Bible entière empreinte en son esprit, Et tout ce qu'autrefois les sages ont écrit, Cette riche moisson que la mémoire entasse N'est rien, si Dieu n'y joint son amour et sa grâce. Vanité, vanité, tout n'est que vanité! Un seul point cependant en doit être excepté : Attacher à Dieu seul notre amour sur la terre, Vouer à le servir notre âme tout entière.

Oui, la sagesse aspire à fonder dans les cieux
Sur le mépris du monde un trône glorieux.
IV.

Vanité donc, d'accroître un trésor périssable,
D'appuyer son espoir sur un bien si peu stable.
Vanité, de briguer la pompe des honneurs,
D'aspirer à monter au faîte des grandeurs.
Vanité, d'aller boire à la coupe du vice
Des plaisirs que doit suivre un éternel supplice.
Vanité, de vouloir entasser jours sur jours,
Sans jamais s'occuper d'en bien régler le cours.
Vanité, de borner ses soins à cette vie,
Et de ne prévoir pas ce dont elle est suivie.
Vanité, de poursuivre un fantôme trompeur,
Au lieu de se håter vers l'éternel bonheur.

V.

Rappelez-vous ce mot que dicta la Sagesse : L'oreille veut entendre et l'œil veut voir sans cesse. Sachez donc, détaché des choses d'ici-bas, Donner tout votre amour aux biens qu'on ne voit

[pas,

Car le cœur, où des sens l'attrait fatal domine, Avec sa pureté perd la grâce divine.

Victor EDAN.

L'IMMACULEE CONCEPTION.

J.

Les cieux n'existaient pas encore,

Le néant attendait le moment du réveil,
Et Dieu n'avait pas dit à la première aurore
D'annoncer le premier soleil.

Cependant, comme on voit dans un miroir fidèle

Se peindre et s'animer les horizons lointains

Dans son immensité la pensée éternelle
Des mondes à venir renfermait les destins.
Déjà, sous le regard de la toute-science,
Le chaos docile a frémi ;
Les siècles passent en silence
Dans le sein du temps endormi.

Déjà du firmament les splendeurs se déroulent,
Le soleil revêt sa clarté,

Les flots obéissants s'écoulent,
Et la fleur se nourrit d'air et de liberté.
Du Créateur vivante image,
Déjà l'homme paraît... Terre, voici ton roi!
Seigneur, contemple ton ouvrage,

Tu peux te reposer, il est digne de toi...
Mais que s'est-il passé ?... L'éternité s'étonne...
Tant d'amour, ô mon Dieu, va te coûter bien cher,
L'homme a péché, le ciel aussitôt lui pardonne,

Et pour lui rendre sa couronne,
Le Verbe un jour se fera chair.
Lui venir parmi nous !... sur la terre coupable
La mort étend partout son empire odieux:
Où serait le berceau de ce Verbe adorable?...
De ta Conception le mystère ineffable,
O Lis immaculé, se dévoile à mes yeux.

Oui, dès que l'Eternel eut prononcé l'oracle
Salut du genre humain,

Du Sauveur à venir auguste tabernacle,

Tu jaillis de sa main.

Les mondes cependant n'existaient pas encore,
Le néant attendait le moment du réveil,
Et Dieu n'avait pas dit à la première aurore
D'annoncer le premier soleil.

II.
Seigneur, à la clarté sublime
Des saintes révélations,
Je t'ai vu, debout sur l'abîme,
Sourire à deux créations (1),
D'un côté, c'était la nature
Avec ses mondes infinis;
De l'autre, une humble créature,
Mais dont le sein cachait ton Fils.
Là tout célèbre la puissance,
Ici tout parle de bonté;
Les cieux ont leur magnificence,

Et la Vierge a sa pureté;
Ils roulent enclos dans l'espace,

Elle engendre l'immensité;

Pour eux, à chaque heure qui passe,
Une grande page s'efface;

Marie est la source de grâce
Qui donne l'immortalité.

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(1) Tabernaculum... non hujus creationis - Quod est Deipara Maria. (S. Dionys. Alex.)

Hélas! n'appartient qu'à Dieu seul,

Etton hymne à Marie est peut-être un blasphème! >
IV.

El quoi! pour recevoir le corps d'un Dieu Sauveur,
Une femme parut, entre toutes bénie;

Le cœur de l'Homme-Dieu se forma dans son cœur,
Dieu, respira son souffle et vécut de sa vie ;
De son sein virginal Dieu passa dans ses bras;
Son lait, d'un Dieu naissant, fut l'unique breuvage;
biea, de ses jeunes mains, caressa son visage,
Et sur ses pas, bientôt, régla ses premiers pas ;
Ils vécurent trente ans, ignorés de la terre,
Soumis aux mêmes lois, sous un même soleil ;
Du chevet de l'enfant au chevet de la mère,
Le même ange pouvait abriter leur sommeil :
El de Satan, un jour, elle eût été victime!
Esclave de l'enfer !... et le souffle du crime
Aurait flétri ce lis, berceau du pur amour!
El, lorsque du serpent elle écrasait la tête,
Le serpent, orgueilleux jusque dans sa défaite,
Aurait pu rappeler ce triomphe d'un jour!...
Non, non, du Roi des rois Epouse bien-aimée,
Bannis la crainte, Esther, de ton âme alarmée ;
Regne; d'Assuérus le sceptre est dans ta main.
Est-ce toi qu'atteindrait la terrible sentence (1)?
Dieu l'appela sa mère, et de ton innocence

Ce titre est un gage certain.

V.

O bonne Vierge immaculée,
Qui sur la terre désolée

fis descendre le Dieu de paix?
O toi que les astres couronnent,
Et dont les douces mains rayonnent
D'amour, de grâce et de bienfaits!
Telest de tes grandeurs le secret adorable:
L'univers tout entier, fils d'un père coupable,
Courbera son front sous la loi ;

Mais, dès l'éternité, tu fus sainte, ô ma Mère !
Et le sang qui devait inonder le Calvaire
Avait déjà coulé sur toi.

L'abbé F. M. DUILHÉ DE SAINT-PROJET.

IMMENSITE DE LA CREATION.

Ob! comme en voyageant dans le vaste empyrée,
L'imagination parle à l'âme inspirée !

Les soleils aux soleils succèdent à nos yeux;
Les cieux évanouis se perdent dans les cieux :
De la création je crois toucher la cime,
Et soudain à mes pieds se montre un autre abime.
0 prodige ! le monde allait s'agrandissant,
Le monde tout à coup s'abaisse en décroissant ;
De degrés en degrés s'étend la chaîne immense;
L'infini s'arrêtait, l'infini recommence.
De l'ouvrage du ciel invisibles tissus,
Invisibles à l'œil, du verre inaperçus,

Des univers sans noms et des mondes d'atomes,
Familles, nations, républiques, royaumes,
Ayant leurs lois leurs mœurs, leur haine, leur
[amour,

Abrégés de la vie et chefs-d'œuvre d'un jour,
Des confins du néant où Dieu mit leur naissance,
Jusqu'en leur petitesse attestant sa puissance,
Le montrent aussi grand que dans l'immensité,
Entouré de l'espace et de l'éternité.

Ainsi, dans la nature insensible et vivante,
Au bord du double abîme, éperdu d'épouvante,
J'atteins par la pensée, ou le verre, ou mes yeux,
Tout ce qui remplit l'air, ou la terre, ou les cieux;
Ne voyant plus de terme où l'univers s'arrête,
Des mondes sous mes pieds, des mondes sur ma tête.
Je ne vois qu'un grand cercle où se perd mon regard,
Dont le centre est partout, et les bords nulle part;
Planètes, terres, mers, en merveilles fécondes;
Et par delà ces mers, ces planètes, ces mondes,
Dieu, le Dieu créateur, qui pour temple a le ciel,
Les astres pour cortége, et pour nom l'Eternel;
Qui donne un frein aux mers et des lois aux comètes,
Allume les soleils, fait tourner les planètes,
Et vient, plus grand encore et plus majestueux,
Se peindre et s'admirer dans un cœur vertueux.
DELILLE.

IMMENSITE DES CIEUX.

Vers les globes lointains qu'observa Cassini,
Mortel, prends ton essor; monte, par la penséc,
Et cherche où du grand tout la borne fut placée.
Laisse après toi Saturne; approche d'Uranus.
Tu l'as quitté, poursuis. Des astres inconnus,
A l'aurore, au couchant, partout sèment la route.
Qu'à ces immensités l'immensité s'ajoute.
Vois-tu ces feux lointains? Ose y voler encor.
Peut-être, ici, fermant ce vaste compas d'or
Qui mesurait des cieux les campagnes profondes,
L'éternel géomètre a terminé les mondes.
Atteins-les vaine erreur! fais un pas à l'instant,
Un nouveau lieu succède, et l'univers s'étend;
Tu t'avances toujours, toujours il t'environne.
Quoi! semblable au mortel que sa force abandonne.
Dieu, qui ne cesse point d'agir et d'enfanter,
Eût dit : Voici la borne où je dois m'arrêter... ›
Oh! si j'osais plus loin prolonger ma carrière,
Je chanterais encor cette cause première,
Ce grand Etre inconnu, dont l'àme fait mouvoir
Les millions de cieux où s'est peint son pouvoir.
Mère antique du monde, ô nuit! peux-tu me dire
Où de ce Dieu caché la grandeur se retire?...
Soleils multipliés, soleils, escortez-vous
Cet astre universel qui vous anime tous?
En approchant de lui, pourrais-je entendre encore
Ces merveilleux concerts dont jouit Pythagore,
Et que forment sans cesse, en des tons mesurés,
Tous les célestes corps l'un par l'autre attirés ?...

(1) Non morieris, Esther; non enim pro te, sed pro omnibus hæc lex constituta est. (Esther, xv.)

D'autres en rediront la savante harmonie :

Moi, je sens succomber mon trop faible génie.
FONTANES.

IMMORTALITE DE L'AME.

O mort! Est-il donc vrai que nos âmes heureuses
N'ont rien à redouter de tes fureurs affreuses,
Et qu'au moment cruel qui nous ravit le jour
Tes victimes ne font que changer de séjour?
Quoi ? même après l'instant où tes ailes funèbres
M'auront enseveli dans tes noires ténèbres,
Je vivrais! doux espoir ! que j'aime à m'y livrer!
De quelle ambition tu te vas enivrer!
Dit l'impie est-ce à toi, faible et vaine étincelle,
Vapeur vile, d'attendre une gloire immortelle ?
Le hasard nous forma, le hasard nous détruit,
Et nous disparaissons comme l'ombre qui fuit.
Malheureux, attendez la fin de vos souffrances;
Et vous, ambitieux, bornez vos espérances:
La mort vient tout finir, et tout meurt avec nous.
Pourquoi, láches humains, pourquoi la craignez-
[vous?

Qu'est-ce donc qu'un cercueil offre de si terrible?
Une froide poussière, une cendre insensible.
Là, nous ne trouvons plus ni plaisir ni douleur.
Un repos éternel est-il donc un malheur?
Plongeons-nous sans effroi dans ce muet abîme
Où la vertu périt aussi bien que le crime;
Et, suivant du plaisir l'aimable mouvement,
Laissons-nous au tombeau conduire mollement.
A ces mots insensés le maître de Lucrèce (1),
Usurpant le grand nom d'ami de la sagesse,
Joint la subtilité de ses faux arguments;
Lucrèce de ses vers prête les ornements (2),
De la noble harmonie indigne et triste usage!
Epicure avec lui m'adresse ce langage :
Cet esprit, ô mortels, qui vous rend si jaloux,
N'est qu'un feu qui s'allume et s'éteint avec nous.
Quand par d'affreux sillons l'implacable vieillesse
A sur un front hideux imprimé la tristesse;
Que dans un corps courbé sous un amas de jours
Le sang comme à regret semble achever son cours;
Lorsqu'en des yeux couverts d'un.lugubre nuage
Il n'entre des objets qu'une infidèle image;
Qu'en débris chaque jour le corps tombe et périɩ,
En ruines aussi je vois tomber l'esprit.
L'âme mourant alors, flambeau sans nourriture,
Jette par intervalle une lueur obscure.

Triste destin de l'homme! il arrive au tombeau (3)
Plus faible, plus enfant qu'il ne l'est au berceau.

(1) Epicure, qui fonda sa doctrine sur le matérialisme et la volupté.

(2) Allusion au poëme impie De natura rerum, réfuté par le cardinal de Polignac, dans son beau poëme latin: L'Anti-Luerèce, qui a été traduit en vers français par l'abbé Berardier de Bataut.

(3) A cette objection de Lucrèce, le cardinal de Polignac répond que cet affaiblissement de l'esprit ne vient que de celui des organes qui le servent; ce n'est point l'âme, c'est le corps qui revient

La mort du coup fatal sape enfin l'édifice :
Dans un dernier soupir achevant son supplice,
Lorsque, vide de sang, le cœur reste glacé,
Son âme s'évapore, et tout l'homme est passé.
Sur la foi de tes chants, ô dangereux poête,
D'un maître trop fameux trop fidèle interprète,
De mon heureux espoir désormais détrompé,
Je dois donc, du plaisir à toute heure occupé,
Consacrer les moments de ma course rapide
A la divinité que tu choisis pour guide,
Et la mère des jeux, des ris et des amours
Doit ainsi qu'à tes vers présider à mes jours.
Si l'homme cependant, au bout de sa carrière,
N'a plus que le néant pour attente dernière,
Comment puis-je goûter ces plaisirs peu flatteurs,
Du destin qui m'attend faibles consolateurs?
Tu veux me rassurer, et tu me désespères.
Vivrai-je dans dans la joie au milieu des misères,
Quand même je n'ai pas où reposer un cœur
Las de tout parcourir en cherchant son bonheur !
Rois, sujets, tout se plaint, et nos fleurs les plus
[belles
Renferment dans leur sein des épines cruelles:
L'amertume secrète empoisonne toujours
L'onde qui nous paraît si claire dans son cours.
C'est le sincère aveu que me fait Epicure (4):
L'orateur du plaisir m'en apprend la nature.
J'abandonne ce maitre. O raison, viens à moi!
Je veux seul méditer et m'instruire avec toi.
Je pense. La pensée, éclatante lumière,
Ne peut sortir du sein de l'épaisse matière.
J'entrevois ma grandeur. Ce corps lourd et grossier
N'est donc pas tout mon bien, n'est pas moi tout

[entier.

Quand je pense, chargé de cet emploi sublime,
Plus noble que mon corps, un autre être m'anime.
Je trouve donc qu'en moi, par d'admirables
[nœuds,

Deux êtres opposés sont réunis entre eux:
De la chair et du sang le corps vil assemblage;
L'âme, rayon de Dieu, son souffle, son image.
Ces deux êtres, liés par des nœuds si secrets,
Séparent rarement leurs plus chers intérêts:
Leurs plaisirs sont communs aussi bien que leurs

[peines.

L'âme, guide du corps, doit en tenir les rênes;
Mais, par des maux cruels quand le corps est trouble,
De l'âme quelquefois l'empire est ébranlé.
Dans un vaisseau brisé, sans voile, sans cordage,
Triste jouet des vents, victime de leur rage,

aux misères de l'enfance:

Tunc vitio primæ ceu debilitatis bebescit Machina, fitque senex iterum puer; unde necesse est Hic semel addictam rursum puerascere mentem, Non per se, verum quia paulatim organa cessant. (4) Tel est en effet l'aveu que la force de la vé rité arrache à son disciple Lucrèce :

.. Usque adeo de fonte leporum Surgit amari aliquid, quod in ipsis floribus angat.

Le pilote effrayé, moins maitre que les flots,
Veut faire entendre en vain sa voix aux matelots,
Et lui-même avec eux s'abandonne à l'orage:
I périt; mais le nôtre est exempt du naufrage.
Comment périrait-il? Le coup fatal au corps
Divise ses liens, dérange ses ressorts:
Un étre simple et pur n'a rien qui se divise,
Et sur l'âme la mort ne trouve point de prise.
Que dis-je? tous ces corps dans la terre engloutis,
Disparus à nos yeux sont-ils anéantis ?

D'où nous vient du néant cette crainte bizarre?
Tout en sort, rien n'y rentre: et la nature avare
Dans tous les changements ne perd jamais son bien.
Ton art ni tes fourneaux n'anéantiront rien,
Toi qui, riche en fumée, ô sublime alchimiste,
Dans ton laboratoire invoques Trismegiste.
Tu peux filtrer, dissoudre, évaporer ce sel;
Mais celui qui l'a fait veut qu'il soit immortel.
Prétendras-tu toujours à l'honneur de produire,
Tandis que tu n'as pas le pouvoir de détruire?
Si du sel ou du sable un grain ne peut périr,
L'être qui pense en moi, craindra-t-il de mou-
[rir? (1)

Qu'est-ce donc que l'instant où l'on cesse de vivre ?
L'instant où de ses fers une âme se délivre.
Le corps, né de la poudre, à la poudre est rendu;
L'esprit retourne au ciel, dont il est descendu.
Peut-on lui disputer sa naissance divine?
Nest-ce pas cet esprit, plein de son origine,
Qui, malgré son fardeau, s'élève, prend l'essor,
A son premier séjour quelquefois vole encor (2).
El revient tout chargé de richesses immenses?
Platon, combien de fois jusqu'au ciel tu t'élances !
Descartes, qui souvent m'y ravis avec toi,
Pascal, que sur la terre à peine j'aperçois,
Vous qui nous remplissez de vos douces manies,
Poëtes enchanteurs, admirables génies,
Virgile, quid'Homère apprit à nous charmer,
Boileau, Corneille et toi que je n'ose nommer,
Vos esprits n'étaient-ils qu'étincelles légères,
Que rapides clartés et vapeurs passagères ?
Que ne puis-je prétendre à votre illustre sort,
O vous dont les grands noms sont exempts de la
[mort!

Eh! pourquoi, dévoré par cette folle envie,
Vais-je étendre mes vœux au delà de ma vie?
Par de brillants travaux je cherche à dissiper
Cette nuit dont le temps me doit envelopper:
Des siècles à venir je m'occupe sans cesse ;
Ce qu'ils diront de moi m'agite et m'intéresse;
Je veux m'éterniser, et dans ma vanité
J'apprends que je suis fait pour l'immortalité.

(4) On peut diviser la matière, on ne peut la détruire, parce que ses éléments sont simples, disent les matérialistes qui la font éternelle. Donc, reprend le poëte, l'âme est éternelle aussi, et à plus forte raison. Il raisonne ici d'après leur systeme et il les combat par leurs propres armes; c'est, comme on dit, un argument ad hominem. Racine ne fait donc que supposer l'éternité de la matiere; il ne l'affirme pas. Que Dieu puisse l'anéan

De tout bien qui périt mon âme est mécontente. Grand Dieu c'est donc à toi de remplir mon at[tente.

Si je dois me borner aux plaisirs d'un instant,
Fallait-il pour si peu m'appeler du néant?
Et si j'attends en vain une gloire immortelle,
Fallait-il me donner un cœur qui n'aimât qu'elle ?
Que dis-je? Libre en tout, je fais ce que je veux;
Mais dépend-il de moi de vouloir être heureux ?
Pour le vouloir, je sens que je ne suis plus libre.
C'est alors qu'en mon cœur il n'est plus d'équilibre,
Et qu'aspirant toujours à la félicité
Dans mon ambition je suis nécessité.
Quoi! l'homme n'est-il pas l'ouvrage d'un bon
[[maître?
Puisqu'il veut être heureux, il est donc fait pour
[l'être.

Sur la terre, il est vrai, je vois dans le malheur
La vertu gémissant et le vice en honneur;
Mais j'élève mes yeux vers ce maître suprême,
Et je le reconnais dans ce désordre même :
S'il le permet, il doit le réparer un jour ;
Il veut que l'homme espère un plus heureux séjour.
Oui, pour un autre temps l'Etre juste et sévère,
Ainsi que sa bonté, réserve sa colère.
Pères des fictions, les poëtes menteurs
De ces dogmes, dit-on, furent les inventeurs;
Et sitôt que la Grèce, ivre de son Homère,
Eut de l'empire sombre admiré la chimère,
Le peuple qu'effrayaient Tisiphone et ses sœurs
D'un charmant Elysée espéra les douceurs.
Pluton fut leur ouvrage, et leurs mains, je l'avoue,
Etendirent jadis Ixion sur la roue.

:

L'onde affreuse du Styx, qui coulait sous leurs lois,
Ferma les noirs cachots qu'elle entoura neuf fois.
Ils livrèrent Tantale à des ondes perfides
Qui s'échappaient sans cesse à ses lèvres arides;
Par l'urne de Minos et ses arrêts cruels
Ils jetèrent l'effroi dans l'âme des mortels;
Ils leur firent entendre une ombre malheureuse
Qui, poussant vers le cicl une voix douloureuse,
S'écriait Par les maux que je souffre en ces lieux
Apprenez, ô mortels, à respecter les dieux!
Hardis fabricateurs de mensonges utiles,
Eussent-ils pu trouver des auditeurs dociles
Sans la secrète voix plus forte que la leur,
Cette voix qui nous crie, au fond de notre cœur,
Qu'un juge nous attend dont la main équitable
Tient de nos actions le compte redoutable?
Il ne laissera point l'innocent en oubli :
Espérons et souffrons; tout sera rétabli.
Louis RACINE.

tir, c'est chose indubitable, mais nous ignorons si, en détruisant l'univers, il anéantira les éléments simples qui le composent. (Note du P. Cahour.)

(2) Il y a ici plus de poésie dans l'image que de vérité dans l'idée. Ce premier séjour de l'âme suppose qu'elle habitait en Dieu avant d'être unie au corps: c'est la fausse doctrine de Platon. (Le même.)

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