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Avec de semblables moyens et de pareilles armes à la main, le Directoire de voit nécessairement l'emporter sur les Conseils, en prenant l'initiative de l'attaque, et surtout si l'on considère quelle étoit la situation du Corps législatif et la divergence de ses opinions sur les moyens de parer aux dangers dont il étoit menacé.

Le Corps législatif ne pouvoit ignorer que sa force reposoit dans la conscience publique, mais que de son courage seul dépendoit le salut des citoyens qui lui étoient attachés. Au lieu d'invoquer des formes contre un ennemi qui n'en reconnoissoit plus, qui mettoit la constitution sous ses pieds en faisant délibérer des corps armés, en les faisant entrer dans le rayon constitutionnel, il devoit s'emparer des canons qu'on tournoit contre lui. Il devoit faire arrêter, juger et condamner militairement les chefs de la révolte, au lieu de s'amuser à leur répondre par des phrases de tribunes, par des puérilités morales, telles que celles employées par

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Pastoret: « Nous opposerons la force mo rale à celle des canons » disoit ce député. Mais est-ce à un homme de son mérite qu'on doit apprendre que si à la longue l'opinion publique, la force morale, mine la tyrannie, jamais dans un danger pressant, et lorsqu'il s'agit d'un coup décisif, la force morale, n'a fait dévier un boulet dirigé par la force phy-. sique,

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Chaque jour affoiblissoit les forces des. Conseils ; chaque événement lui présageoit. le dernier; tous les documens se réunissoient pour l'en garantir; aucun ne fut capable de l'ébranler. Un esprit de vertige s'étoit répandu dans le sein de cette assemblée, qui lui faisoit faire autant de faux pas que de démarches, et la précipitoit insensiblement vers sa ruine. On ne peut nier qu'elle renfermât beaucoup de gens d'esprit, mais point de caractère ; des gens de cœur, et point de résolution; la volonté d'agir, et point d'objet déterminé. En un mot, nul concert dans les délibérations, nulle vigueur dans les moyens,

mais beaucoup de petits intérêts privés, de petits partis obscurs, de petites vanités récalcitrantes.

Pastoret disoit : Nous avons la force morale; mais où résidoit cette force morale? dans les salons des gens riches, où les députés étoient accueillis, parce qu'ils prêchoient hautement contre le jacobinisme; dans les spectacles où l'on faisoit des allusions en leur faveur, et contre le Directoire, et les ministres (1); dans les

(1) Le théâtre ouvert à Louvois, par les soins de la comédienne Raucourt, et où elle avoit réuni à ses frais, ce qui restoit d'artistes distingués de l'ancienne Comédie française, fut impitoyablement fermé après le 18, et cette actrice entièrement ruinée, par rapport à une allusion que fit le public, dans une pièce jouée à ce théâtre, peu de tems avant cette journée. Dans une comédie de Marivaux, un laquais a nom Merlin; ce Merlin est un fripon qui reçoit de toutes mains au dénouement, ses larcins sont reconnus. ceux qu'il a trompés lui disent: M. Merlin, vous êtes un coquin : vous serez pendu M. Merlin. Le public applaudit avec enthousiasme ces paroles qu'il appliquoit à Merlin, afors ministre de la

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diners splendides qu'on leur donnoit, et où l'on buvoit au retour d'un meilleur ordre de choses. Qu'est-ce qu'une pareille force morale qu'est-ce qu'une foule disséminée de pareils gens qui sont très-hardis, pour vous encourager à un coup de main, quand ils n'y mettent rien du leur et qui craignent de quitter leur cabinet, ou se renferment dans leur boudoir quand le canon se fait entendre? Le bourdonnement occasionné par les clameurs, et les applaudissemens de pareils êtres se dissipe à la lueur de la première amorce que l'on brûle.

justice, qui étoit du bord de Barras, et qui, parvenu au Directoire par la journée du 18, s'empressa de faire fermer un spectacle dont les artistes ne jouissoient pas d'une grande réputation de patriotisme, et où il avoit été si cruellement bafoué. Des comédiens qui avoient joué dans cette pièce nous ont affirmé, à nous-mêmes, qu'ils n'avoient point eu l'intention de biesser Merlin en la donnant, et qu'ils ne s'étoient aperçu de leur faute, qu'au moment où le public avoit saisi l'allusion et fait l'application. Cela est - if exact ? nous ne l'affirmons pas,

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Qu'avoient encore pour eux les Con seils ? une contre-police organisée à l'instar de celle du ministre Sotin; une police à la tête de laquelle étoit Dossonville qui, tous les jours, rendoit un compre assez exact à la commission des inspecteurs, des complots qu'on ourdissoit contre la représentation nationale; mais, nous l'avons déjà dit, dans l'état d'inaction où restoient les Conseils, que leur servoiril d'avoir des espions, quand ils ne vou-, loient point parer aux coups dont on leur disoit sans cesse qu'ils étoient journellement menacés ?

Pour sa défense, le Corps législatif avoit aussi une garde fort bien habillée, fort bien équipée, et composée de douze cents hommes, nombre insuffisant pour le sauver s'il étoit attaqué, et dont plusieurs des chefs patriotes chauds étoient vendus à Barras, ou plutôt au parti républicain que Barras avoir l'air de soutenir.

Les Conseils sentirent si bien l'insuffisance de cette troupe qui ne peut avoir d'attachement pour sept cent cinquante personnes qu'elle ne connoît ni en masse

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