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stile, c'est que tous les efforts du temps, c'est-àdire une infinité de vieux mots, & beaucoup de phrases qui ne sont plus d'usage, n'empêchent pas qu'il n'ait encore de la grace, & qu'il ne conferve en beaucoup de choses toute la fleur de la nouveauté. On peut dire de sa maniere d'écrire ce que Terence dit d'une belle personne qu'on avoit trouvée avec de méchans habits, & dans un grand defordre.

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Ni vis boni

In ipfa ineffet forma, hac formam extinguerent.

Si elle n'avoit eu un fond de beauté à ne rien craindre, tant de chofes desavantageuses n'auroient pas manqué de l'éteindre de l'effacer. Mais il ne faut pas paf. fer ces bornes; car de loüer ce stile dans ce qu'il y a de trop negligé, de vieux & d'entierement hors d'usage, c'est tomber presque dans l'entêtement de ceux dont §Horace parle, qui trop amoureux du vieux langage, juroient que les Muses mêmes avoient dicté sur le mont d'Albe les loix des douze Tables, les livres des Pontifes & les antiques volumes des Devins.

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En effet il y a plus de cinquante ans qu'un des plus grands admirateurs d'Amiot, & un des meilleurs juges que la France ait eu fur ces matieres, a avoüé que la moitié de ses phrases & de ses exprefsious n'étoient plus Françoises, & qu'on ne pouvoit plus s'en servir. Depuis cinquante ans on a retranché encore une grande partie de cette autre moitié; ainsi voila une traduction qui a merité l'estime de son siecle & du nôtre, dont cependant les trois quarts sont dans une langue qu'on ne parle

* Phorm. act. 1. fc. 2. § Epift. 1. Liv. 2. † Vaugelas. plus

plus. Ce n'est pas la faute de son Auteur, c'est le fort de toutes les langues vivantes, elles ne font que paffer. Quand on voit les changemens qui arrivent à ce qu'il y a de plus fort & de plus solide dans la Nature, peut-on esperer que la beauté d'une langue subsistera toûjours, & que la grace des mots sera à l'épreuve des fiecles? Il faut donc s'opposer à ce torrent des choses humaines, en renouvellant celles qui peuvent être utiles, & que le Temps se hâte de nous ravir.

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Mais, dit-on, ce vieux langage donne à ces vies de Plutarque la même force que le temps donne quelquefois à des tableaux, dont il releve la beauté, & fait qu'on prendroit presque pour des originaux de simples copies. Ce n'est-là qu'une illusion. Le temps peut bien adoucir ou rembrunir les teintes ou le coloris d'un tableau, & le rendre plus naturel & par confequent plus parfait, mais il ne peut que gâter une langue vivante parce que la beauté des langues vivantes consiste toûjours dans la nouveauté, & dans la grace de l'usage. D'ailleurs quand on regarde Amiot,comme le Traducteur de Plutarque, cette idée d'original s'évanoüit. Quelle malheureuse condition ne feroit-ce point pour nous & pour les grands hommes dont Plutarque a écrit les vies, que la langue d'Amiot fust devenuë la langue dont il faudroit se servir toutes les fois qu'on parleroitde leurs actions? Il n'est pas malaisé de ruïner cette imagination par un exemple sensible. Plutarque & Quinte-Curse ont écrit la vie d'Alexandre; Amiot a traduit celle de Plutarque, & Vaugelas celle de Quinte-Curse. Il n'ya personne qui ne life cette vie avec plus de plaisir dans la langue de Vaugelas que dans celle d'Amiot, & par confequent cette derniere n'est pas necessaire

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ment consacrée à écrire les vies de ces hommes illuftres.

Ce vieux langage n'est pas seulement obfcur & desagreable, il est encore dangereux pour les mœurs en ce qu'il peint les choses d'une maniere trop libre & trop naïve, & qu'il s'y trouve quelques termes qui ont aujourd'huy une fignification peu honnête, qu'ils n'avoient pas du temps d'Amiot.

Mais quand il n'y auroit d'autre danger que de corrompre le langage des jeunes gens, il seroit toûjours d'une extrême necessité de leur donner ce trefor sous une autre forme; car ils perdront toûjours plus qu'ils ne gagneront, si dans leurs études on leur laisse negliger leur langue, qui étant une des principales parties & le fondement même de l'éloquence, doit être cultivée avec beaucoup de soin. On ne sçauroit commencer de trop bonne heure à leur en faire connoître la pureté, l'élegance & la délicatesse. Quintilien veut qu'on donne aux enfans qui font à la mamelle des nourrices qui parlent purement. A plus forte raison quand ils font dans un âge plus avancé, doit-on ne leur mettre entre les mains que des livres qui soient purement écrits. Pourquoy les accoutumer à un langage qu'ils doivent defaprendre, ou qu'ils ne doivent pas parler ?

On nous a auili objecté le peu d'honneur qui nous peut revenir d'une entreprise déja faite avec beaucoup de succés, & cette objection n'a rien de solide. En matiere d'ouvrages la gloire doit toûjours se mesurer par l'utilité que les hommes en recevront. Celuy cy sera allez glorieux pour nous, s'il leur eft utile. Cependant comme il n'y a rien de plus mortifiant, ni de plus capable d'abattre le courage & l'esprit, que de n'ofer efperer de plaire aux gens du premier ordre, j'a

j'avoue que nous aurions été rebutez de ce travail, 'il n'y avoit eu dans la traduction d'Amiot que le vieux langage à reprendre; mais je prendraila liberté de dire qu'il y a de grandes obscuritez, je diray même, puisque d'autres l'ont déja dit, qu'il y a beaucoup de fautes. Veritablement il y'en a moins qu'on n'en devoit attendre de la longueur & de la difficulté de l'ouvrage & du temps où il a été fait, c'est-à-dire du temps où les lettres ne faifoient que de renaître; mais il y en a qui meritent d'être corrigées, & il est certain, au jugement des Sages, qu'il n'est pas moins glorieux de corriger ce qui eft mauvais, que de donner le premier ce qui est bon; car c'est l'effet de la même intelligence.

D'ailleurs c'est icy un dessein tout different de celuy d'Amiot. Ce grand homme s'est contenté de donner une simple traduction, & nous y ajoûtons des Remarques où nous nous fommes proposé d'expliquer tout ce qui merite d'être éclairci, & qui doit neceflairement arrêter un Lecteur peu instruit de l'antiquité, qui lit avec jugement & qui veut profiter de sa lecture, & c'est ce qu'on n'a pas encore fait. Il y a peu de gens à qui ce travail ne fust utile, si l'on s'en étoit bien acquité. Il le seroit au moins aux enfans qui à dix ans pourroient, avoir lû Plutarque & acquis une grande partie des connoissances qui leur font neceffaires pour la fuite de leurs études, dont le succés dépend de ce fonde

ment.

Voila tout ce que j'avois à dire pour justifier nôtre dessein. Nous n'avons pas la presomption de croire que nous l'ayous execute; mais ce que j'ay dit suffira toûjours pour faire voir que ceux qui auront plus de lumiere & plus de force que nous, feront bien receus à l'entreprendre, jusqu'ace qu'on

as

qu'on y ait bien réuffi. Cependant nous esperons que les plus grands amateurs d'Amiot ne pourront condamner les efforts que nous faisons pour mettre Plutarque entre les mains de ceux, qui ne pouvant goûter ni entendre la traduction de ce grand homme, font privez d'une lecture delicieuse, & dont on peut tirer autant de profit que de plaifir. Voicy la conduite que nous nous sommes prescri

te.

Plutarque n'est pas recommandable par sa maniere d'écrire. Son stile est dur & embarraflé. On pourroit le comparer à ces anciens bâtimens dont les pierres ne sont ni polies, ni bien arrangées, mais bien assises & ont plus de soliditéque de grace, & reffentent plus la nature que l'art. Il n'a presque aucune des graces de fa langue, il neglige le nombre & l'harmonie, il ignore ou recherche peu la beauté de l'arrangement, & n'a nulle regle pour ses periodes; Mais toutes ses paroles sont pleines de sens; il a beaucoup de force & de gravité, & il égale ordinairement la grandeur & la profondeur de ses pensées par le poids de ses termes. Dans la traduction nous tâchons de conserver toute la force qu'il a & nous aurions bien voulu pouvoir luy donner les agrémens qui luy manquent. Nous separons & renversons même ses periodes quand elles nous paroiffent trop embarraffées ou que le genie de nôtre langue ne s'accommode pas de l'ordre qu'il a suivi. Nous donnons plus de jour à ce qu'il nous a semblé avoir laillé dans une trop grande obscurité, & nous adouciffons des images trop fortes & trop libres que la chasteté de nôtre langue ne pourroit fouffrir. Enfin nous cherchons particulierement la netteté & l'elegance; & il y a des occasions où nous tâchons de donner au discours la force, qu'un soin top scrupuleux de la pureté du langage fait perdre fort

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