a même des medailles, où il n'eft pas appellé Marc Aurele, mais seulement Marc Antonin. Et pour ce qui eft des alarmes où eft ce Critique, qu'en appellant ainfi cet Empereur, on ne le confonde avec Commode, Caracalle Diadumenien & Heliogabale, je le prie de fe raffurer, jamais cela ne caufera la moindre confufion dans l'Hif toire; car jamais Hiftorien ne s'eft avifé de defigner ni Commode, ni Caracalle, ni Diadumenien, ni Heliogabale, par ce feul nom de Marc Antonin. En voila affez fur une bagatelle, qui ne meritoit peut-être pas qu'on y répondît. Revenons donc à Plutarque, & felon la fage Maxime de Marc Antonin, laiffons les fautes qu'on fait où on les fait. Si l'on avoit une vie de Plutarque bien exacte & bien étendue, je ne doute pas qu'on ne la luft avec beaucoup de plaifir & d'utilité; mais malheureusement nous ne fçavons de luy que trés peu de chofe, & que ce qu'il nous en apprend luy - même dans fes écrits. Il étoit de Cheronée ville de Beotie, c'est-à-dire du pays du monde le plus groffier, & dont les habitans paffoient pour fi ftupides, qu'ils avoient donné lieu à ce proverbe, * pourceau de Beotie. Le plus grand de tous les Poëtes Lyriques commença à effacer ce reproche qu'on faifoit à fon pays, & Plutar que l'a entierement aboli. Il y a peu de lieux dans le monde, qui puiflent oppofer à la Beotie deux hommes qui égalent ces deux - là: Preuve certaine que nôtre ame n'eft pas fi dépendante des élemens, qu'elle ne puifle conferver ce feu divin qu'elle tient de fon origine, fi par le travail, la meditation & l'étude, elle tâche de l'entretenir, & de diffiper ces vapeurs épailles, qui *Pindare. l'obfcur l'obscurciffent & qui l'éteignent, quand elle cede à leurs efforts. Ce grand homme nâquit fous l'Empereur Claudius; il étoit d'une naiflance illuftre; fon Ayeul s'appelloit Lamprias, & fon Bifayeul Nicarchus. Il ne nous apprend point le nom de fon pere; mais il luy fait un tres grand honneur en rapportant une leçon qu'il luy fit & qui merite d'avoir icy fa place. Plutarque encore jeune fut envoyé en Ambaffade vers le Proconful avec un autre Citoyen de Cheronée. Celuy cy s'étant trouvé indifpofé fur la route, Plutarque acheva feul le voyage & termina heureufement les affaires qui en étoient le fujet. Quand il fut de retour à Cheronée, & qu'il voulut rendre compte de fon employ, fon pere le prenant en particulier luy dit, Mon fils, dans le rapport que tu vas faire, garde toy bien de dire, je fuis allé, j'ay parlé, j'ay fait, mais dis toujours, nous fommes al lex, nous avons parlé, nous avons fait, en affociant ton Collegue à toutes tes actions, afin que ta Pairie doive la moitié du fuccés à celuy qu'elle a honore de la moitié de la charge, & que tu éloignes l'envie, qui fuit toujours la gloire d'avoir bien reaffi. Il fit fes études à Delphes fous le Philofophe Ammonius. Il alla à Rome fous le Regne de Domitien, & y enfeigna publiquement. On a crû qu'il fut Precepteur de Trajan; mais cela n'eft fondé que fur une lettre Latine, qui paroît manifeftement fuppofée. Trajan étoit aufli âgé que luy. Cet Empereur fut fi touché de fon merite, qu'il luy donna les ornemens Confulaires, & ordonna aux Magiftrats d'Illyrie, de ne rien faire que fous fon autorité. Sur la fin du Regne de Trajan, il s'en retourna dans fa patrie où il eut les premieres charges, & fut Prêtre d'Apollon. Il époufa une femme nommée Timoxene, qui avoit beaucoup de merite & de vertu. Il fait luy-même fon éloge dans une lettre qu'il luy écrit fur la mort d'une petite fille, où il loue extremement sa fimplicité, fa moderation, fa fageffe, fa force, & la droiture de fes opinions fur la Religion, particulierement fur l'immortalité de l'ame. Il dit qu'elle ne s'étoit jamais parée pour paroître dans les theatres & aux proceffions des Dieux, perfuadée que le luxe & la magnificence font inutiles, non feulement dans les occafions ferieufes ou triftes; mais encore dans celles de plaifir. Il en eut quatre garçons & deux filles ; & il l'aima avec tant de tendreffe, qu'il l'accompagna à un voyage qu'elle fit au mont Helicon, pour facrifier à l'Amour, afin que ce Dieu empêchât les fuites fâcheufes que pouvoit avoir quelque differend qu'il avoit eu avec fa famille. Ses premiers ouvrages furent quelques Traitez de Morale; il fit enfuite les Vies des Hommes Illuftres. Mais tous les écrits ne font pas venus jufques à nous, le temps nous a enlevé plufieurs Vies & plus de 1 50. Traitez de Morale, comme on le verra par la lifte que nous mettrons à la fin de cette Preface, & qui eft tirée du catalogue que Lamprias fils de Plutarque avoit fait de tous les ouvrages de fon pere, encore faut-il remar quer que ce catalogue eft imparfait. On a crû que Plutarque avoit emprunté de la Religion Chrétienne beaucoup de principes qu'il a melez parmy ceux qu'il a tirez de fes Philofophes. Il y a dans toutes fes Oeuvres une infinité de chofes dignes d'un Chrétien. On ne fçauroit mieux parler de l'unité de Dieu, de fon immenfité, de fa bonté, & de la pureté de fon effence. Il dit que Dieu eft par tout, que c'eft un un Etre heureux, immuable & incorruptible; que fon veritable nom eft, celuy qui eft. Qu'il a pour les hommes une bonté de pere, qu'il les aime d'une maniere pleine de tendresse, & ne ceffe jamais de leur faire du bien. Que le plus grand malheur d'une ame, c'eft d'être privée de la connoiffance de Dieu; que c'eft luy feul qui la donne, & qu'il ne faut jamais ceffer de la luy demander. Que Dieu ne peut être reprefenté fous aucune forme humaine, & qu'on ne peut s'élever à luy que par la penfée. Que l'ellence de Dieu n'eft que grandeur, majefté, bonté, magnificence & amour. Il ne parle pas moins bien de l'immortalité de l'ame, qu'il reconnoît fondée fur des rai fons qui fe tirent de la Divinité même, c'eft-àdire qu'elle eft une fuite de la bonté & de la juftice de Dieu. Mais Platon feul peut luy avoir donné toutes ces lumieres quelque grandes qu'elles foient. Si Plutarque avoit connu les écrits des Chrétiens, je ne fçaurois m'imaginer qu'il n'euft pas eu un trés grand mépris pour les Confrairies de Bacchus dont il étoit, pour fa Prêtrife d'Apollon, & pour toutes les autres fuperftitions où il étoit plongé. Ileft vray qu'il a avoué, que les oracles étoient l'ouvrage des Demons; mais il ne faut pas fe tromper à ce paflage. Par ces Demons il n'entend pas des Diables, mais des Efprits qui tiennent le milieu entre Dieu & les Hommes, des Anges, à qui il prétend que Dieu avoit commis le foin des oracles, qui étoient pourtant toûjours animez par fon efprit; car aucun Oracle, dit-il, n'eft fans Divinité. Ces fortes de matieres feront traitées plus au long dans les Remarques. S'il S'il falloit choifir entre fes Vies & fes Morales & renoncer à l'un de ces deux ouvrages pour avoir l'autre, peut-être trouveroit-on des gens qui balanceroient fur le choix. Pour moy je me contenteray de dire, qu'il y infiniment plus d'efprit, plus de jugement & plus d'art dans les Vies, & plus de lecture & de fçavoir dans les Morales. Scaliger a fait de ces ouvrages deux jugemens qui paroiffent bien oppofez. Dans l'un il appelle Plutarque l'œil de la Sageffe, & dans l'autre il dit, qu'il a écrit pour les Courtifans, non pas pour les Sçavans, & ils paroîtront tous deux trés juftes, fi l'on rapporte le premier à fes Vies, où il y a autant de fagefle que dans aucun ouvrage qui nous refte de l'antiquité, & fi l'on entend le fecond de fes Morales, où prefque rien n'eft entierement aprofondi ni demontré, & où toutes les matieres, j'en excepte un petit nombre, font traitées fort fuperficiellement. Mais ce qui me paroît au deffus de tout, ce font fes Comparaifons. Je donnerois plufieurs de fes Traitez de Morale pour celles qui nous manquent. Il met dans une balance fi jufte les mœurs, les inclinations & les actions des hommes, qu'il compare les uns aux autres, & il fait fi bien fentir ce qu'ils ont chacun de femblable & de different, qu'il n'y a rien où le jugement, l'étenduë d'efprit, la fageffe, &, ce qui étoit rare de fon temps en Grece, la bonne foy, fe trouvent ensemble avec plus d'éclat. L'amour de fon pays ne le porte jamais à favorifer la nation. Il eft vray qu'il oppofe quelquefois à des Romains fort illuftres, des Grecs qui le font beaucoup moins; mais il ne prétend pas les pefer en gros & avec toute leur fortune, ni les égaler les uns aux autres, il compare action à action, & non |