DES HOMMES ILLUSTRES DE PLUTARQUE Traduites en François, AVEC DES REMARQUES Par Mr. & M. DACIER A PARIS, Chez CLAUDE BARBIN, au Palais M. D C. XC V. AVEC PRIVILEGE DU ROY. iij PREFACE. U NE des plus grandes marques de folie que Democrite trouvoit dans les homimes, c'eft qu'ils ne daignent pas s'inftruire de ce qui s'eft fait avant eux, & que le long âge du Monde leur eft une leçon inutile, parce qu'ils ne s'en fervent pas comme ils devroient pour profiter de tant de grands exemples dont l'Hiftoire conferve le fouvenir, & pour tirer de ce qui eft arrivé des conjectures de ce qui doit arriver encore. Ce Philofophe en faisant par-là l'éloge de l'Hiftoire en general, fait particulierement celuy de Plutarque qui eft le plus atile de tous les Hiftoriens, & qui poffede parfaitement tous les talens neceffaires pour corriger & pour inftruire. C'est le livre, non-feulement de tous les hommes, mais de tous les âges; car il eft peut-être le feul qui puiffe amufer trés utilement les enfans, dans le même temps qu'il peut occuper trés folidement les hommes. Il n'y a point de poëfie où l'art foit mieux employé, & qui foit plus admirablement diverfifiée. Plutarque a feul cet avan tage, qu'à la verité de l'Hiftoire, il joint tous les agrémens, qu'on croyoit que la Fable feule pouvoit fournir, & que fes narrations font animées par tout des preceptes de la plus haute Philofophie, qu'il humanife, s'il eft permis de parler ainfi, & dont il fe fert trés à propos pour rendre generales des actions particulieres, afin qu'elles convienent à tout le monde, & que tout le monde puiffe en profiter. Il ne nous peint pas feulement les hommes tels qu'ils font dans le public, ce n'est les montrer que d'une maniere tres imparfaite, il nous les fait voir tels qu'ils font dans le particulier, où ils ne different point d'eux-mêmes, & où par confequent ils font plus prés de nous, & c'est ce qu'il y a de plus utile; car par-là nous voyons leurs mœurs, leurs paffions, enfin toutes leurs inclinations à nud, & nous pouvons démêler la verité d'avec le mafque & l'apparence, & diftinguer ce qui eft proprement à eux, de ce que la Fortune leur prête. Si Plutarque ne nous avoit donné que les vies des grands hommes qui nous font inconnus, & dont nous n'avons que ce qu'il en a écrit, nous l'admirerions fans voir encore toutes les merveilles de fon art, & toute l'étenduë de fon genie; mais il nous fait connoître ceux, dont l'antiquité a le plus parlé, dont nous avons les plus beaux ouvrages, en un mot, ceux que nous connoiffions, & voila ce qui me paroît de plus admirable. Auffi ne craindray - je point de dire, dût-on m'accufer de m'exprimer trop poëtiquement dans une Preface, que fi l'on compare fes vies avec celles qu'on a faites avant & aprés luy, on y trouvera la même difference qui étoit entre la ftatuë miraculeuse de Pygmalion, & celles de tous les autres Statuaires; ces dernieres paroiffoient vivantes & l'autre l'étoit. Tout eft vivant de même dans dans Plutarque, ce ne font pas des Hiftoires qu'on lit, ce font ces grands hommes même qu'on voit, & qui parlent. L'excellence de cet ouvrage & l'utilité dont il eft, nous ont excitez à en entreprendre une nouvelle traduction, perfuadez que dans ce genre on ne fçauroit rendre au public un plus grand fervice. Mais avant que de nous engager dans un travail fi difficile & fi long, nous avons crû qu'il falloit éprouver fon goût par l'eflai de ce premier volume, afin que, s'il en eft content, nous ayons plus de courage pour continuer, & s'il ne l'eft pas, que nous nous épargnions une peine inutile. Toutes les oppofitions & toutes les contradictions que cette traduction aura à effuyer de la part de ceux qui admirent celle d'Amiot dans les endroits même qu'ils n'entendent point nous font counuës, & nous y avons fouvent répondu. Mais nous aimerions bien mieux laiffer découvrir nos raifons à ceux qui prendront la peine de conferer nôtre ouvrage avec celuy de ce grand homme, que de les étaler dans une Preface, où la modeftie perfuade peu, & où la moindre liberté offenfe tout le monde. Cependant de peur qu'on ne nous condamne fans nous entendre, voicy une petite apologie de nôtre deffein. Nous fommes bien éloignez de vouloir rabaisfer le merite de la traduction d'Amiot; parmy fes plus zelez Partifans, il n'y en a point qui luy rendent plus de juftice. Le genie de fa langue, luy a été parfaitement connu, il a des phrafes trés naturelles & trés françoifes, & un tour trés propre & trés élegant. Je diray même qu'il eft le premier qui ait connu, combien nôtre langue étoit capable de nombre & d'harmonie. La plus grande marque de la force & de la beauté de fon a 3 fti |