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à l'unisson de la même émotion patriotique. Ce serait la magnifique contre-partie des inoubliables et touchantes funérailles que l'on fit à Michelet, en 1876, et auxquelles l'Université prit une si large part.

Qui sait, enfin, si deux ans avant que le monde de l'industrie convie l'Europe jalouse à venir admirer, en 1900, les merveilles que la France seule est capable de créer, l'Université française ne pourrait, en recevant le 23 juin prochain, les délégations des corps savants étrangers, montrer aux peuples étonnés que toutes nos querelles intestines peuvent s'apaiser, en une heure, dès qu'il s'agit de célébrer nos gloires nationales les plus pures? L'enseignement de Michelet, il ne faut pas l'oublier, s'est adressé souvent à des étrangers qui se pressaient avidement autour de sa chaire: à côté de la France, il concevait l'humanité. « Je les ai tant aimées, ces grandes patries de l'Europe, a-t-il écrit, les trouvant toutes en moi dans leurs diversités. Je les enseignais, et chacune d'elles, à son tour, était pour moi une éducation. >> Cette belle parole de Michelet est une invitation à chacune de ces «< grandes patries » et plus d'une, sans doute, tiendra à honneur d'y répondre.

Nous ne croyons pas nous faire de vaines illusions, mais il nous semble bien que l'Université rendrait service au pays non seulement en s'associant à une fête dont les circonstances rendent l'opportunité si évidente, mais en prenant résolument la place importante qu'elle doit occuper dans une cérémonie de ce genre. Elle seule, nous croyons l'avoir démontré, a les moyens d'action nécessaires pour préparer l'opinion, pour entrainer le Peuple, ce peuple en faveur duquel Michelet a plaidé toute sa vie. M. le Ministre de l'Instruction publique peut beaucoup en encourageant les efforts individuels et les tentatives générales d'organisation en vue du Centenaire. L'Université lui sera reconnaissante de toutes les mesures qu'il voudra bien prendre pour lui permettre de contribuer de toutes ses forces à une œuvre féconde et libérale entre toutes.

GEORGES MEUNIER,

Professeur agrégé au lycée de Sens.

ALMA MATER1

1867

A MES ÉLÈVES.

Ils sont quelques milliers, répandus par le monde,
En qui j'ai déposé la semence féconde.

Qu'un sophiste aux abois, novateur imprudent,
De sa foudre attardée écrase le pédant,

Et suppose, acharné contre tout privilège,

Que nous sommes toujours des régents de collège,
Armés de la férule, effrayants de latin,

Vieux cuistres, nous drapant du pourpoint de Cotin,
Jaloux, hideux, plissés des rides d'un autre âge,
Gens en proie aux rieurs et rampant sous l'outrage;
Que, débitant sans fin des mots vides et creux,
Nos lèvres n'ont pas même un souffle généreux,

Et que la serge antique avec la toque noire

Cache un spectre qui rôde aux charniers de l'histoire,

Outre que le portrait n'a rien de ressemblant,

Et que, prompts à casser un arrêt accablant,

Deux siècles, dissipant cette obscure manœuvre,

Se dresseraient, les mains pleines de cent chefs-d'œuvre :
Jeunes gens, répondez! Est-il un sentiment,

De ceux dont notre siècle a vu l'enfantement,

Est-il un cri d'amour, de gloire ou de colère,

Est-il un saint élan de vertu populaire,
Un péril, un effort, un espoir, un regret,
Pour la cause du juste est-il un intérêt,

1. On trouvera dans ces vers, écrits en 1865, alors que l'auteur était professeur de seconde au lycée Bonaparte (aujourd'hui Condorcet), une éloquente protestation contre ces mêmes injustes attaques auxquelles faisait allusion, dans son dernier article, M. Paul Crouzet. L'Université a toujours à se défendre contre ceux qui ne la connaissent pas ou qui la trahissent, et ce plaidoyer rétrospectif reste toujours d'actualité.

Un éloge à l'honneur, à l'infamie un blâme,
Où nous n'ayons pris part de la voix et de l'âme ?
Avons-nous méconnu des signes éclatants?
Vivons-nous enterrés sous la poudre des temps?
Et, quand notre parole a gardé sa puissance,
Avons-nous, ô jeunesse, étouffé ta croissance?
Le ciel m'en est témoin : le jour où librement,
Ici-bas, j'ai choisi ma part de dévouement,
J'ai vu le monde entier resplendir dans l'école;
Le vrai fut mon souci, le beau fut mon idole.
Et, fier du pur froment que j'allais partager,
Nul des plus nobles soins ne me fut étranger!
Aux choses du passé ma foi n'est point servile;
J'entends les bruits prochains qui font vibrer la ville :
Je n'ai point rattaché l'homme et tout son destin
Aux superstitions du grec et du latin;

Pour moi, l'antiquité n'a que son droit d'aînesse;
Je sais trouver partout la vie et la jeunesse,

Et noter, dans l'histoire aux spectacles mouvants,

Des vivants qui sont morts, des morts qui sont vivants!
Et nous sommes nombreux! Vieux amis, jeunes frères,
Dites si vous marchez dans des routes contraires,
Si mon orgueil s'égare en des devoirs nouveaux ?
Je ne suis qu'ouvrier de nos communs travaux.
Jeunes, nous mesurions déjà l'ample domaine
Où lutte, en grandissant, l'intelligence humaine.
La main sur le passé, les yeux sur l'avenir,
Nous savons quelle flamme il faut entretenir;
Nous étions à vingt ans, et nous sommes encore
Fiers d'expliquer le monde à l'enfant qui l'ignore.
De pays en pays, notre admiration

Saluant chaque siècle et chaque nation,
Franche en ses jugements, se dérobe à l'entrave,
Et n'attend pas d'autrui la leçon qu'elle grave.
Aux disciples choisis, comme en un réservoir,
Nous versons chaque jour un limpide savoir;
Les âmes, lentement par la raison guidées,
Sous le tissu des mots ont palpé les idées,
Et la jeune ignorance, au vrai s'accoutumant,
S'est armée avec nous d'un ferme jugement!
Mais nous laissons germer et fleurir la nature;
L'arbre étend ses rameaux sans rien qui le torture;
Jamais d'une espérance ou d'une illusion
Nul de nous n'étouffa l'obscure éclosion;

REVUE UNIV. (7* Ann., no 5). — I.

30

Notre âme, aux grands sommets aspirant la première,
Se baigne avec amour dans des flots de lumière;
Et notre main de plomb sur le frêle cerveau
N'a jamais fait peser un stupide niveau.
Au-dessus des partis, dont la haine est stérile,
Nous remplissons sans bruit une tâche virile;
La France, qui travaille et pense à ta clarté,
Sait ce qu'elle te doit, vieille Université!
Où sont-ils aujourd'hui, ces enfants de mes veilles,
A qui j'ai révélé le monde des merveilles,
Les secrets du langage et les lois de l'esprit,
Comment un peuple naît, se transforme ou périt,
Quels noms ont surnagé sur les débris des âges,
Ce qu'on doit aux guerriers, aux poètes, aux sages,
Et comment l'univers, gravitant vers sa fin,
De l'atome à l'étoile, est dans l'ordre divin?
Ils ont grandi, vieilli dans cent routes diverses
Ils marchent, rencontrant la joie ou les traverses;
Ils ont senti le vent de mille opinions;

Ils ont leurs intérêts, leurs soins, leurs passions;
Dans le livre de vie, où la jeunesse épelle,
Ils tournent chaque jour quelque page nouvelle;
Mais tout au fond du cœur doit survivre à demi
L'enseignement du maître, ou plutôt de l'ami.
Ils vivent désormais marqués de mon empreinte :
Et vingt ans cette main, sans faiblesse et sans crainte,
Dans les siilons ouverts que Dieu daigna bénir,

A semé largement des germes d'avenir!

(Pages intimes).

EUGENE MANUEL.

LES BOURSES DE LANGUES VIVANTES

Quand, il y a un peu moins d'un an, le ministre de l'Instruction publique a annoncé son intention de supprimer les bourses de voyage, autrefois créées pour les élèves des lycées et collèges qui se destinaient à l'enseignement des langues vivantes, nous avons pris la liberté de lui demander de ne pas laisser disparaitre ce crédit de son budget. Puisque, disions-nous', il est en effet très inutile de faire. naître de nouvelles candidatures à des examens déjà trop encombrés, pourquoi les ressources qui vont se trouver disponibles ne seraient-elles pas employées à faciliter aux professeurs de langues vivantes de courts séjours à l'étranger?

Un bon nombre d'entre eux éprouvent le besoin d'aller « se retremper» de temps en temps en Angleterre ou en Allemagne. C'est une obligation de leur métier. Ils s'imposent donc pendant leurs vacances des voyages fort onéreux. Comme ils se les imposent dans l'intérêt de leurs élèves, ne serait-il pas juste que, dans la mesure du possible, l'État prit à son compte une partie de leurs frais?

Or voici qu'une circulaire ministérielle du 20 avril nous annonce que le crédit disponible va recevoir l'affectation que nous souhaitions. « Il sera principalement employé, dit la circulaire, en subventions à des maîtres déjà en exercice dans les lycées ou collèges, afin de leur permettre d'aller passer un certain temps à l'étranger et de se perfectionner ainsi dans l'étude et la pratique de la langue. »>

Le ministre ajoute :

La plus grande partie du crédit de l'exercice 1898 se trouvant engagée depuis le 1" janvier, je ne pourrai, cette année, accorder

1. Revue universitaire du 15 juillet 1897.

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