Page images
PDF
EPUB

CHAP. CV. n'avoit pas cessé de protester de l'amitié de son 1509. maître, prit aussi ce moment pour demander

son audience de congé. Ferdinand avoit envoyé deux mille fantassins espagnols à Naples, qui, joints à trois mille fantassins napolitains, s'étoient approchés de Trani à la fin de mai pour en faire le siége. Une flotte française étoit venue joindre la flotte sicilienne, et s'étoit présentée devant le port de la même ville; toutefois à la persuasion de Fabrice Colonna, le vice-roi de Naples avoit procédé avec beaucoup de lenteur à cette expédition. Les Vénitiens, qui songeoient déjà à détacher Ferdinand de la ligue formée contre eux, prirent cette occasion pour lui offrir la restitution de tout ce qu'ils possédoient dans le royaume de Naples; ils rappelèrent tous leurs commandans, et leur ordonnèrent, en évacuant leurs villes, de les consigner aux Espagnols (1).

Pendant ce temps, l'armée de Maximilien ne comparoissoit encore nulle part; mais ses vassaux et les gouverneurs de ses provinces limitrophes, profitoient de la terreur où tout l'état de Venise étoit plongé, pour l'attaquer de plusieurs côtés à la fois. En Istrie, Christophe Frangipani s'empara de Pisino et de Duino; le

(1) Jo. Marianæ de rebus Hispania. Lib. XXIX, cap. XIX, p. 287. Fr. Guicciardini. Lib. VIII, p. 435. — Petri Bembi histor. Ven. L. VIII, p. 175.

duc de Brunswick entra dans le Friuli avec CHAP. CV. deux mille hommes, et y prit Feltre et Bel- 1509. lune. En même temps Trieste, Fiume et les autres villes conquises au commencement de l'année précédente, relevèrent les drapeaux de la maison d'Autriche; le comte de Lodrone soumit quelques châteaux dans le voisinage du lac de Garda; l'évêque de Trente enfin s'empara de Riva-di-Trento et d'Agresto (1). La république entière sembloit tomber en dissolution, et dans l'intérieur même des murs de Venise, le sénat ne se regardoit point comme assuré, ou de cette multitude infinie d'étrangers que le commerce y avoit attirés, ou de ces plébéiens que la constitution avoit exclus de toute part au gouvernement, et qui réclamoient contre une usurpation que la prospérité, symptôme extérieur de la sagesse des conseils, ne légitimoit plus (2).

La désertion avoit réduit à un état déplorable l'armée vénitienne. Abandonnant toute la terre-ferme, s'écartant de toutes les villes qui successivement avoient refusé de la recevoir, elle s'étoit réfugiée à Mestre sur le bord de la Lagune, et elle n'y conservoit plus ni discipline, ni obéissance à ses supérieurs. Le sénat

(1) Fr. Guicciardini. L. VIII, p. 43o. - Fr. Belcarii. L. XI, p. 321.

(2) Fr. Guicciardini. L. VIII, p. 430.

CV.

év.

CHAP. Ev. n'épargna ni son activité ni ses trésors pour 150g. former une nouvelle armée : il envoya offrir

à Prosper Colonna, qui se trouvoit alors sur les frontières du royaume de Naples, le commandement de toutes ses troupes, et un traitement annuel de soixante mille ducats, pourvu que Colonna amenât sans retard à la republique douze cents chevaux (1). Les garnisons retirées des villes de Romagne et de l'Adriatique, les troupes légères engagées en Grèce et en Illyrie, auroient suffi pour réparer les pertes de l'armée; mais la conséquence la plus funeste d'une déroute n'est pas la mort de quelques milliers d'hommes, c'est la destruction de la confiance et de la fidélité du soldat.

Dans ce désastre universel, les Vénitiens ne songèrent pas même à fléchir le roi de France: la mauvaise foi avec laquelle il avoit dissimulé son ressentiment, la perfidie de ses complots contre eux au temps même où ils combattoient pour lui, l'acharnement qu'il mettoit à poursuivre ses succès, et sa cruauté envers les pri- . sonniers et les vaincus, inspiroient pour lui un invincible éloignement. Il n'y avoit aucun autre ennemi avec lequel les Vénitiens ne désirassent se réconcilier plutôt qu'avec lui; il n'y en avoit aucun à qui ils ne préférassent cé

(1) Petri Bembi histor. Ven. L. VIII, p. 175.

der les places de guerre qu'ils n'espéroient plus défendre. Déjà ils avoient remis à Ferdinand toutes les villes de Pouille auxquelles ce monarque prétendoit; ils essayèrent de satisfaire par les mêmes moyens l'ambition du pape et de l'empereur, pour les détacher ainsi de la France. Ils avoient à plusieurs reprises tenté d'envoyer des députés en Allemagne ; mais l'évêque de Trente leur avoit refusé l'entrée du pays, parce qu'ils étoient excommuniés. Enfin Antonio Giustiniani, élu ambassadeur auprès de Maximilien, put parvenir à sa cour : il lui demanda grâce avec une humilité, avec un abaissement de la république, qui auroient été faits pour inspirer le mépris plutôt que la pitié, si la pédanterie même de sa harangue latine, qui nous a été conservée, n'avoit pas averti que, selon l'usage des rhéteurs, Giustiniani exagéroit les sentimens qu'il étoit chargé d'exprimer, et ne savoit leur donner aucune mesure (1).

Mais l'instruction dont cet orateur étoit chargé

(1). Guicciardini annonce expressément qu'il a traduit cette harangue mot pour mot du texte latin, et ce texte a été publié ensuite en 1613, par Goldast, Politica imperialis, p. 977. Cependant les Vénitiens ont prétendu qu'elle étoit l'ouvrage de Guicciardini. Ils s'en sont plaints avec amertume, et cette con→ troverse littéraire et politique a été soutenue des deux parts avec bien plus d'aigreur qu'elle n'a d'importance réelle. Voyez Histoire de la Ligue de Cambrai, T. I, p. 138-160. Guicciardini, Lib. VIII, p. 431.

TOME XIII.

30

СНАР, СУ.

1509.

CHAP. CV. étoit plus explicite encore que sa harangue. Il 1509. déclara à l'empereur que la république étoit

prête à lui remettre tous ses états de terre ferme, qu'elle avoit retiré ses garnisons de toutes les terres de l'Empire, qu'elle les consigueroit aux officiers de Maximilien dès que ceux-ci se présenteroient pour les recevoir. Tant de soumission et d'humilité demeurèrent sans effet; le roi des Romains ne voulut entendre à aucun traité sans la participation.du roi de France.

En même temps, le sénat avoit aussi envoyé en Romagne un secrétaire d'état, avec ordre de consigner au pape la citadelle de Ravenne, et tout ce qui restoit encore dans cette province sous les ordres de Venise, ne se réservant que l'artillerie des places de guerre, et la liberté de tous les prisonniers faits par l'armée pontificale. Les cardinaux vénitiens supplièrent ensuite le pape d'accorder l'absolution à leur patrie, en raison de ce que, conformément à son monitoire, elle lui avoit obéi avant l'expiration des vingt-quatre jours qu'il lui avoit assignés. Mais le pape déclara que cette obéissance, au lieu d'être complète, avoit été conditionnelle; que de plus la république n'avoit point rendu les fruits perçus pendant son usurpation, et qu'ainsi il ne pouvoit l'absoudre (1). Cependant le pon

(1) Fr. Guicciardini. L. VIII, p. 33. - Fr. Belcarii. L. XI, p. 321.

« PreviousContinue »